Applaudi après sa première prestation avec Manchester United, Sofyan Amrabat a déçu lors de la réception de Crystal Palace en match de premier League samedi. Un ancien des Mancuniens le tient pour responsable de la défaite du club (1-0).
Après avoir défrayé la chronique sportive en France, le défenseur des Lions de l’Atlas revient sur le racisme dans les stades et donne son explication de la débâcle de l’équipe nationale lors de la CAN 2008. Instructif.
Le 16 février dernier, vous avez été victime d’insultes racistes lors d’un match du championnat de France (Valenciennes - Metz). Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?
J’essaie de tourner définitivement cette page douloureuse pour me concentrer sur mon métier : jouer au football. Mes impératifs
consistent à être à 100% de mes moyens lorsque je suis sur le terrain. Mais ce n’est pas si évident, sachant que j’ai vécu une expérience humainement très pénible.
On vous dit très affecté par cette affaire…
Je le suis. Ces insultes ont blessé au plus profond de lui-même le joueur que je suis, mais surtout l’être humain. En tant que professionnels, nous sommes là pour proposer un spectacle à un public qui a bien sûr le droit de nous critiquer, c’est ce qui nous fait d’ailleurs progresser. Mais de là à nous arroser d’insultes racistes… Vous savez, même ma famille a été éclaboussée par cette histoire. Le soir du fameux match, mes parents étaient présents dans le stade. C’était l’une des rares fois qu’ils venaient me voir jouer, eux qui n’ont aucune culture footballistique. Pourtant, ils étaient heureux d’être là et ils sont rentrés à la maison en pleurs, choqués par ce qu’ils avaient vu et entendu. Et puis il y a mon fils de six ans, qui n’arrêtait pas de me poser des questions. Il voulait savoir pourquoi je suis monté dans les gradins et pourquoi j’ai pris un carton jaune…
Qu’avez-vous répondu à votre fils ?
Il n’est pas en âge de tout comprendre. Je lui ai tout simplement répondu que son papa avait fait une bêtise en quittant l’aire du jeu et qu’il méritait ce carton jaune. Pourtant, dans cette histoire, c’est bien moi la victime.
Justement, pourquoi êtes-vous monté dans les gradins ?
Pendant toute la première mi-temps, je n’ai pas cessé d’avertir l’arbitre au sujet des propos insultants de ce spectateur, que j’avais pu identifier. Mais il n’y a pas eu de réaction de l’arbitre, qui a préféré ne pas prendre mes réclamations en compte. J’ai donc décidé d’aller à la rencontre du spectateur en question pour lui demander des explications. Sur le coup, les stadiers ont cru que je voulais m’en prendre à lui, mais ce n’était pas du tout le cas. Je voulais simplement qu’il m’explique ce qu’il avait contre moi, contre les noirs en général.
Il vous arrive de regretter votre acte ?
Vous savez, lorsque vous êtes sur un terrain, vous devez faire avec la pression de milliers de spectateurs, qui suivent le moindre de vos faits et gestes, sans parler de l’entraîneur, des médias, etc. Si, en plus, vous devez subir des ignominies, lâchement proférées, il y a des chances que vous réagissiez à chaud. C’est quelque chose d’humain. Aujourd’hui, avec le recul, je le dis : oui, je regrette mon geste. Surtout que dans les gradins, il y avait aussi des familles, des enfants pour qui un joueur de football est un exemple à suivre. De mon côté, j’ai fait mon autocritique. Mais il y a encore d’autres acteurs dans cette affaire, notamment l’arbitre et ce prétendu “supporter”, qui devraient en faire autant.
Lilian Thuram, capitaine de l’équipe de France, a déclaré que cet incident, loin d’être isolé, n’est qu’un reflet de la société. Qu’en pensez-vous ?
Je suis entièrement d’accord avec lui. J’en ai d’ailleurs discuté avec Lilian il y a quelques jours. Personnellement, ce n’est pas la première fois que j’ai droit à ce genre d’insultes, sauf que là, j’ai fini par craquer. Et il n’y a malheureusement pas que dans le sport où de telles choses arrivent.
Aviez-vous souffert du racisme en Angleterre, ou en Grèce, où vous avez évolué auparavant ?
Jamais. En Angleterre, les stades ne sont pas des défouloirs. La personne qui va s’amuser à lancer ce genre de propos encourt de très lourdes sanctions. Et puis, dans les stades anglais, lorsqu’un supporter se risque à proférer de telles insultes, ceux qui l’entourent sont les premiers à l’en empêcher. Même chose en Grèce, où j’ai eu la chance de jouer avec l’Olympiakos, un grand club dont les supporters respectent les joueurs qui se produisent devant eux.
Pensez-vous que le racisme épargne les stades marocains ?
Ne nous voilons pas la face. Le racisme existe également au Maroc, et je l’ai ressenti personnellement à plusieurs reprises, mais à un degré moindre. C’est quelque chose d’ignoble. Les personnes qui viennent dans les stades doivent respecter l’adversaire, quelle que que soit son origine. Lorsque le public traite les joueurs d’une équipe africaine de “cannibales”, je me sens également concerné. Je suis Marocain, mais aussi noir de peau, il ne faut pas l’oublier.
Qu’avez-vous ressenti lorsque la Marseillaise a été sifflée avant la rencontre France-Maroc, disputée en novembre 2007 ?
Les jours qui ont précédé cette rencontre, j’ai essayé à travers différents médias de sensibiliser le public, afin qu’on ne siffle pas les hymnes nationaux. Malheureusement, le jour J, le public n’en a pas tenu compte. Sur le coup, j’ai été très déçu par ce comportement, surtout venant de jeunes qui ont grandi, comme moi, en France. C’est regrettable, parce que cela donne raison aux extrémistes de tout poil. Il faudrait prendre exemple sur les Anglo-saxons qui, eux, n’ont jamais sifflé les hymnes nationaux.
Selon vous, comment peut-on éradiquer le racisme dans les stades ?
Je ne pense pas qu’on puisse l’éradiquer à 100%, mais il faut absolument le combattre. Je reste opposé à la logique de la répression. J’opte plutôt pour la prévention. Il faut tout miser sur la pédagogie, au niveau des éducateurs, des associations de supporters, des dirigeants de club… Et des familles, surtout, puisque c’est cela la base. C’est là où tout commence.
Revenons à l’équipe du Maroc. Comment expliquez-vous, aujourd’hui, la débâcle de la CAN ?
C’est dommage, parce que, durant la phase de préparation, nous avions montré de bonnes dispositions devant la France et le Sénégal. On avait un groupe de qualité, on travaillait dans de très bonnes conditions. Mais en arrivant au stage de concentration de Skhirat, peu avant le départ pour le Ghana, j’ai constaté qu’un fossé énorme s’était creusé entre les joueurs évoluant en Europe et les autres. On ne retrouvait plus cette solidarité qu’on ressentait en 2004. Il y avait deux clans, qui étaient quasiment en guerre. Et comme chacun le sait, un bloc qui n’est pas solidaire, même s’il a des qualités techniques exceptionnelles, ne peut pas aller très loin. Une fois au Ghana, ce fossé n’a fait que se creuser davantage. Certains mouillaient le maillot, d’autres - permettez-moi l’expression - s’en foutaient totalement. Il y aurait même eu des joueurs, sur le banc de touche, qui rigolaient lorsqu’on encaissait des buts.
À quoi est due cette fracture, selon vous ?
Je l’ignore. Mais une chose est sûre : elle ne date pas d’aujourd’hui. Cette fracture a toujours existé au sein de l’équipe nationale marocaine. Et cela nous coûte cher à chaque fois. C’est totalement stupide comme réaction, surtout qu’on est appelé à représenter le même pays, à jouer sous le même maillot.
Quelle est la part de responsabilité du sélectionneur Henri Michel dans cet échec ?
Depuis notre retour du Ghana, tout le monde s’est empressé de lui tirer dessus, de lui faire porter le chapeau. Certes, tous les entraîneurs sont en partie responsables des échecs de leurs équipes. Mais c’est trop facile d’en faire des boucs émissaires. Lorsque le ballon est devant les buts adverses, ce n’est pas le sélectionneur qui doit le mettre au fond. Et ce n’est pas lui non plus qui garde nos cages. Il faut arrêter de raconter n’importe quoi aux gens. Les joueurs doivent arrêter de se cacher derrière ce type d’excuses, car ils sont les premiers responsables dans cette histoire. À eux maintenant d’analyser leurs erreurs. Quant à Henri Michel, on peut lui reprocher une seule chose : il connaissait très bien l’équipe marocaine, pour l’avoir entraînée par le passé. Il devait par conséquent anticiper ce problème entre les joueurs évoluant en Europe et les autres.
Vous avez revu Henri Michel depuis son limogeage ?
Oui, il m’a assuré n’avoir rien dit de mal des joueurs. Il m’a également rappelé que son objectif était de nous qualifier pour le Mondial 2010, et rien d’autre. Et nous nous sommes souhaité bonne chance, lui et moi, pour le reste de nos carrières.
Vous continuerez à répondre à l’appel de l’équipe du Maroc ?
Et comment ! Je défendrai le Maroc à 200%, comme je l’ai toujours fait. Les seules fois où j’ai refusé une sélection, c’était lorsque les conditions d’un travail professionnel n’étaient pas réunies.
Quelle est votre situation, aujourd’hui, à Valenciennes ?
J’ai un contrat qui court jusqu’en 2010. Et, en toute honnêteté, je n’ai pas envie de quitter Valenciennes, je m’y sens très bien et ma famille aussi. Et puis, suite à ce malheureux épisode, j’ai vu à quel point les gens, ici, sont sincères et solidaires. Cela m’a beaucoup touché.
Source : TelQuel - Mehdi Sekkouri Alaoui
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