Trois ministères devraient être associés à cette fondation qui pourra légalement recevoir des subventions de l’Etat français vu le statut d’utilité publique dont elle peut se jouir. De nombreux pays musulmans habitués à aider le culte musulman en France ont freiné leur aide après les événements du 11 septembre.
Elle est aujourd’hui conditionnée à plus de transparence et à un engagement de l’Etat français dans le contrôle de l’aide qu’ils peuvent apporter. La prochaine “Fondation française des œuvres musulmanes” qui sera sous le contrôle de la Caisse de dépôt et de consignation (CDC, équivalent à la CDG du Maroc) leur garantira cette transparence.
Le financement de la fondation pourra se faire également par des dons lesquels peuvent bénéficier d’une réduction d’impôts.
La loi française permet également aux donateurs particuliers de bénéficier de ce dispositif, à savoir 60% du don dans la limite de 20% du revenu imposable. Des mécènes sont également attendus pour y participer. L’autre moyen étudié est celui d’une taxe qui sera prélevé sur la viande halal.
Un marché de 150 milliards de dollars
Le marché halal mondial est évalué à 150 milliards de dollars (ce marché n’existe pas dans le monde musulman). Pour Florence Bergeaud-Blaker, chercheur au CNRS et spécialiste du marché halal, “il y a plusieurs marchés halal et pas uniquement celui de la viande de boucherie”.
La publication d’un standard halal par le Codex alimentarius (FAO) vise à supprimer les barrières aux échanges. Pour les exportateurs non musulmans comme les USA, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, ce nouveau marché s’avère très prometteur avec l’arrivée de gros importateurs comme l’Indonésie et la Malaisie.
En France, la convention qui donnait le monopole de la certification contre une taxe de 1FF par kilo de viande halal à la Mosquée de Paris a été un échec. Les consommateurs sont peu satisfaits même si les quantités vendues ne cessent d’augmenter depuis dix ans. Comment redonner confiance aux consommateurs ? Il faudra que l’Etat fasse appliquer les recommandations sur l’étiquetage (conformément à la directive européenne existante). Il faut également donner l’exemple pour les populations sous responsabilité de l’Etat (hôpitaux, prisons...). En Grande-Bretagne, la Food Standard Agency consulte régulièrement les autorités religieuses, les acteurs économiques, les ONG de protection animale. Selon F. Bergeaud-Blaker, “l’instance idéale n’est pas le CFCM, c’est plutôt un Conseil national de l’alimentation”. Elle se demande cependant si “l’Etat français pourra rationaliser ce marché sans la bonne volonté des acteurs économiques, une nouvelle taxe ne fera qu’alourdir les charges qui seront perçues sur le prix déjà élevé de la viande halal et ses dérivés”. Abdelkader Arbi, membre de la commission viande halal du CFCM, confirme que “vouloir taxer d’emblée fait peur aux professionnels, cela met une barrière ; aujourd’hui, le CFCM ne souhaite pas se positionner en préleveur de taxes. Il n’est pas logique de prétendre à des subsides sans rien vendre en échange”. La commission halal du CFCM veut faire un état des lieux de ce marché qui reste flou. Il y a plusieurs catégories de consommateurs : le musulman qui veut avoir la certitude de manger halal et égorger lui-même son mouton, celui qui va chez le boucher parce qu’il est musulman (donc la responsabilité repose sur le boucher), celui qui n’est ni l’un ni l’autre et qui veut simplement manger sain “comme le dit le Coran”.
La confiance pour le boucher
Abdelkader Arbi met en garde les autorités françaises : “On risque de voir le marché de la viande halal nous passer sous le nez face à des pays comme les Pays-Bas où les organisations islamiques ont beaucoup avancé”. Il ajoute que la communauté “a intérêt à réagir rapidement pour produire cette certification du halal en incluant le consommateur musulman”.
L’autre question est celle de l’Aïd-El-Kébir. En effet, l’Aïd est lié au problème de l’abattage rituel pour la législation française et européenne, qui envisage l’abattoir comme le seul lieu légal de la mort d’un animal de boucherie.
Devant les grandes difficultés d’application, les associations musulmanes ont appelé à ne pas sacrifier. Il a eu en 2004 des prototypes d’abattoirs temporaires régionaux, à Evry et Pantin, mais ils n’ont pas été aussi performants qu’espéré. Anne-Marie Brisebarre, chercheur au CNRS et spécialiste des questions relatives à l’Aïd-El-Kébir, reste sceptique : “Pour 2005 on est dans l’expectative. Le jour où existera une confiance des familles musulmanes vis-à-vis de leur boucher, beaucoup cesseront le parcours du combattant de la fête de l’Aïd et achèteront une carcasse à leur boucher”. Pour elle, “la dénonciation de l’Etat français me semble hypocrite puisque les abattages rituels se poursuivent ailleurs dans l’Union européenne, en Belgique, en Grande-Bretagne (mais dans des quartiers réservés où l’on se garde bien d’aller voir) et en Allemagne dans des fermes autorisées par exemple. Ainsi, dans le département de Mulhouse où il n’y a pas d’abattoirs, les familles traversent la frontière”.
“Ces lois ont été impulsées par les lobbies de la protection animale créés en Grande-Bretagne et le ministère français de l’Agriculture n’a même pas vraiment organisé sa défense”, ajoute Anne-Marie Brisbarre. Des associations culturelles oeuvrent pour donner un aspect plus culturel et symbolique à la fête de l’Aïd et de la faire sortir ainsi des schémas préconçus qui limitent cette fête à une consommation de la viande et la souffrance infligée aux animaux. Ainsi, à Marseille, une semaine culturelle est organisée chaque année avant la fête du sacrifice. Des associations musulmanes proposent aujourd’hui des substitutions par des offrandes qui seront distribuées à des populations pauvres dans le monde musulman.
C’est un autre terrain d’innovation en matière culturelle qui est en train de s’opérer en Europe, un signe aujourd’hui de l’évolution des moeurs des musulmans vivant en Europe.
Hakim EL GHISSASSI - L’Economiste