"On observe à la fois une permanence et une recrudescence. Une permanence puisque depuis 2009, l’essentiel de la presse indépendante née de la transition marocaine des années 1990 avait été démantelée. Cela n’empêche pas certains titres ni des plumes de renaître de manière indépendante, mais alors, très vite, les ennuis commencent : diffamation, procès, prison…", a déclaré l’auteur de l’ouvrage, Le Maroc en 100 questions dans une interview accordée au journal Le Figaro. Selon lui, on observe un sursaut de ce durcissement en ces temps de Covid-19.
De plus, "la contestation du pouvoir dans une région clef du pays -le Rif-, qui se situe aux portes de l’Europe et de l’Algérie, puis le soulèvement contre le système vingtenaire corrompu d’Abdelaziz Bouteflika, et enfin, la mise à l’arrêt forcée des économies du Maghreb au printemps 2020, suite à la coupure de facto des relations internationales, ont été ressenties par le pouvoir comme autant de menaces systémiques", a fait remarquer Pierre Vermeren.
"Dans de nombreux pays pauvres ou très contrôlés comme le Maroc, la presse est depuis des décennies une affaire d’État. Tout titre de presse qui ne consent pas à passer les messages du pouvoir, à faire en sorte de bénéficier des annonces des entreprises publiques ou amies qui lui permettent de vivre, ou qui aurait l’impudence de critiquer les fameuses ’lignes rouges’ définies par le régime -c’est-à-dire l’évocation du roi et de la famille royale, de la sacralité de l’islam et du régime politique, de la corruption financière, des proches du roi, de l’intégrité territoriale- entre dans des difficultés économiques insurmontables, aggravées par des procès et des amendes", a-t-il ajouté.
Selon l’écrivain, le résultat est que la suppression des subventions, le chômage de masse, la quasi-impossibilité d’émigrer etc. rendent la situation potentiellement explosive. Pour étayer son argumentation, il parle du pillage d’un marché de Casablanca pendant la fête de l’Aïd et du pillage de deux camions de livraisons de Coca-Cola dans la même ville. Les tensions sociales et économiques au Maghreb amènent le spécialiste à conclure qu’il "devient urgentissime de prendre conscience d’un phénomène à peine évoqué et potentiellement à haut risque".