Sapho

23 octobre 2005 - 14h03 - Chanteurs Marocains - Ecrit par : Bladi.net

Rockeuse de choc ou diva orientale, on hésite avant de faire un portrait définitif de Sapho. Rebelle de la première heure, voyageuse infatigable, elle parcourt le monde entier, de scène en scène, lieu incontesté de l’expression de son talent.

Sapho est née à Marrakech au Maroc le 10 janvier 1950. Issue d’une famille juive, elle passe son enfance et son adolescence dans ce pays jusqu’à l’âge de 16 ans, date de la décolonisation du Maroc. Avec ses parents, elle part pour la France, à Lyon d’abord, puis dans un pensionnat suisse.

A dix-huit ans, Sapho "monte" à Paris et s’inscrit à la faculté de lettres. Elle découvre le quartier quasi mythique de Saint-Germain-des-Prés et profite de sa nouvelle liberté. Persuadée d’avoir trouvé sa voie dans le théâtre, elle suit quelques temps les cours du grand metteur en scène français Antoine Vitez. En même temps, elle joue un peu de guitare dans les rues parisiennes. Un de ses amis, Hervé Cristiani (qui se fera connaître dans les années 80 avec quelques tubes) l’emmène auditionner au Petit Conservatoire de Mireille, figure légendaire de la chanson française. Elle se fait passer pour une québécoise sous le pseudonyme de Bergamote et commence alors à écrire des chansons pour ce personnage préfabriqué.

Ayant définitivement abandonné ses ambitions théâtrales, la jeune femme qui prend dorénavant le pseudonyme de Sapho, du nom de la poétesse grecque, entame la tournée des maisons de disques. Pari réussi puisqu’elle signe un premier album (chez RCA) en 77, "Le balayeur du Rex". Ce premier essai, s’il n’est pas forcément convaincant voit en tout cas émerger une artiste à la personnalité particulière et forte.

Après quelques essais scéniques, elle part à New York pour écrire une série d’articles pour le compte du magazine Actuel. Elle rencontre sur place des musiciens et monte un groupe éphémère. Elle tourne même dans quelques clubs underground de la région. Elle reste en fait un an dans la grande ville américaine. Trois ans après son premier disque, elle enregistre à Londres un nouvel album "Janis". De nature révoltée, Sapho propose un rock agressif dont les influences viennent évidemment de la musique américaine de la fin des années 60, des Doors à Janis Joplin. Son apparence est à l’image de ce qu’elle chante. Teint de porcelaine, lèvres peintes en noir et cheveux hirsutes deviennent les signes de reconnaissance de la chanteuse.

A partir de là, elle enchaîne d’ailleurs l’enregistrement d’albums, "le Paris stupide" en 81, suivi en 82, du "Passage d’enfer" et de "Barbarie" en 83, le tout chez Pathé Marconi. Sapho s’exprime, elle démonte le racisme et s’en prend au machisme. Elle a le courage de ses opinions. Ecrire est chez elle un acte important. Elle choisit aussi la littérature et donc la fiction pour parler de ce qui lui tient à cour. En 82, sort son premier roman "Douce Violence" (chez Ramsay).

Dès ses premiers albums, elle monte sur scène, où elle montre un certain côté exubérant voire exhibitionniste. En 80, elle se produit au Bataclan à Paris. Elle entreprend par la suite, des tournées aux Etats-Unis, au Japon (première fois en 83), au Canada et en Allemagne.

De retour en France, elle n’a plus de maison de disques. Elle en profite pour sortir un recueil de dessins intitulé "Sous la coupole" (chez Ultramarine).

Elle enregistre tout de même un nouvel album "Passions, passons" en 85 sous la direction de Peter Murray. Le disque sort en novembre sur le label Antigel/Celluloïd. D’aucuns prétendent que c’est le plus abouti. C’est aussi celui sur lequel la chanteuse étiquetée rock jusqu’ici, retrouve ses racines, le monde judéo-arabe dans lequel elle a grandi mais que depuis son arrivée à Paris, elle avait un peu oublié. Elle se produit au Bataclan à Paris du 17 au 27 septembre 86. Au programme du rock évidemment, mais aussi un hommage à la musique égyptienne avec des airs de la diva Oum Kalthoum. Un double album live sera publié un peu plus tard.

Juste après la sortie de son nouveau roman "Ils préféraient la lune" en janvier 87, elle se marie en février à Oaxaca au Mexique avec un homme d’affaire. En octobre, la chanteuse sort un album "El sol y la luna" (chez EPM) du nom d’une des boîtes que l’on trouve dans cette ville. Les thèmes évoqués montrent une fois de plus son engagement personnel quasi-politique, sa sensibilité à l’égard des problèmes de pauvreté, des droits de l’Homme et des droits des femmes.

Elle se produit à Paris dans la mythique salle de l’Olympia du 12 au 17 janvier 88, avec en plus de ses musiciens habituels, un groupe de Gnawas (confrérie mystique, descendante des esclaves noirs) venus spécialement du Maroc. Jusqu’en mars, elle part en tournée en France puis s’embarque pour les Pays-Bas, la Scandinavie, l’Allemagne, le Japon (évidemment), l’Argentine et le Canada. Entre temps, elle participe à un opéra contemporain de Michael Levinas "La conférence des oiseaux". L’année suivante, elle se rend à Tel-Aviv en Israël pour filmer les enfants de l’Intifada. "Discours à la mer" ne trouvera pas de distributeur mais l’engagement de l’artiste pour la cause palestinienne devient de plus en plus important. Elle rencontre même le dirigeant palestinien Yasser Arafat en visite à Paris en mai 89 et lui dédie un poème. Mais ses activités sont multiples et en 90, sort son nouveau roman aux éditions Balland, "Un mensonge". Cette année-là, elle tient aussi le rôle de Jenny dans l’opéra de Bertold Brecht et Kurt Weill "L’Opera de quat’sous".

Sapho fait sa rentrée musicale en octobre 91 avec un album et un spectacle (à la Cigale à Paris) intitulés "La traversée du désir". Album enregistré à Rabat au Maroc, à Berlin en Allemagne et à Lille en France. Chanté en arabe, en français et en anglais. Les influences musicales sont toujours aussi diverses et les textes souvent engagés, pleins de poésie, mais la maturité aidant, l’artiste se veut plus précise, donnant ainsi plus de puissance à son ouvre. "La Chanteuse du monde", comme elle dit elle-même, part ensuite en tournée internationale.

Toujours partante pour de nouveaux défis, voire de nouvelles aventures, Sapho se produit les 29 et 30 mai 92 pour deux concerts exceptionnels au Théâtre de la Ville à Paris où elle interprète notamment une partie de "El Atlal" (Les ruines), morceau phare du répertoire d’Oum Kalthoum. Cet exercice périlleux (il n’est pas question d’imiter la diva égyptienne mais de donner une "lecture" personnelle" du morceau) est une véritable réussite artistique.

Elle reprend en 93 le spectacle "la Traversée du désir" et se produit aux Eurockéennes de Belfort, aux Francofolies de la Rochelle et de Bulgarie ainsi qu’à l’Exposition Universelle de Séville.

Les 18 et 19 mars 94, elle enregistre sur la scène du Bataclan à Paris, "El Atlal". Elle part ensuite pour Jerusalem et participe au Festival culturel annuel de la Ville Sainte. L’organisation du concert n’est pas facile. Chanter Oum Kalthoum en Israël est loin d’être une évidence mais la chanteuse déclare "Pour moi le fait de chanter El Atlal à Jerusalem est un acte politique qui me permet de crier mon désir de paix". Elle gagne son pari car Palestiniens et Israéliens viennent danser ensemble sur la scène sur laquelle elle chante. L’année suivante, elle effectue une tournée européenne avec le même "El Atlal". Elle sort aussi un nouveau roman "Patio, opéra intime" aux éditions Stock.

Difficile après l’expérience de "El Atlal" de reprendre le chemin classique de la variété-rock. Pourtant Sapho imagine un nouvel album qui sort en mai 96 "Jardin andalou". Ce jardin musical renferme des sonorités différentes, souvent acoustiques, d’influence arabe, andalouse avec quelques incursions rock. A la fin de l’année, elle se produit dans une salle parisienne, le Trianon du 5 au 16 novembre.

Infatigable et toujours à la recherche de projets novateurs, Sapho envisage de faire connaître les Sheikhates, chanteuses maghrébines traditionnelles et femmes de mauvaises vies qui chantent dans les fêtes et les mariages. Avec l’aide de Pat Jabbar responsable du label suisse Baraka, elle enregistre des morceaux en français et en arabe à Casablanca en compagnie de ces chanteuses. Après un passage par Bâle en Suisse pour quelques mix techno, ambient ou house ainsi que quatre titres produits par le célèbre Bill Laswell à New York, le résultat final "Digital Sheikha" est très surprenant et peu conventionnel. L’album que le label de Jabbar qualifie d"ethno-dance" sort en 97 et déroute une partie du public.

Militante depuis maintenant de nombreuses années pour le rapprochement israélo-palestinien, Sapho se produit en mars 98 à Gaza, territoire palestinien occupé par Israël. La situation est tendue et les conditions dans lesquelles se déroule le spectacle sont difficiles. Pourtant la chanteuse est déterminée. Le succès qu’elle rencontre à cette occasion, ne fait que confirmer ses sentiments et ses opinions. A son retour, Sapho donne un cours, une "master-class", au Centre des Musiques Actuelles. Elle y a passé six jours avec une douzaine de stagiaires avec lesquels elle a composé quelques titres et préparé un concert.

Deux ans après "Jardin andalou", Sapho retrouve la chaleur du Maghreb via son un tout nouvel album, "La Route nue des hirondelles". Quelques semaines plus tard, c’est un ouvrage, "Beaucoup autour de rien", que sort la chanteuse. Elle y évoque sa ville natale, Marrakech.

A l’automne 99, Sapho présente un spectacle inspiré de son album à l’Auditorium Saint-Germain à Paris. En 2000, elle le mène à travers la France, les Pays-Bas (8 février) et la Suisse (11 au 15 avril). Mais également au Maroc où elle visite cinq villes. Elle participe au 25ème anniversaire du Paléo festival de Nyon en Suisse. Puis on la retrouve à la rentrée mais dans un tout autre rôle, celui de comédienne et lectrice. En effet, invitée par la Maison de la poésie à Paris, la chanteuse se lance dans un spectacle consacré aux textes et poèmes de quatre auteurs, Garcia Lorca, Rilke, Baudelaire et Henri Michaud. Mais le principe est de dire et non de chanter. C’est ainsi que du 21 septembre au 29 octobre, elle se lance à corps perdu dans cet exercice qu’elle réussit avec brio. Elle reprend ce spectacle singulier en mars 2001.

Au printemps 2001, Sapho visite les Pays-Bas et la Belgique avec "El Atlal" puis l’Allemagne ave "la Route nue des hirondelles". Enfin, elle est au Québec en juillet, d’une part pour l’ouverture des Jeux de la francophonie puis pour le Festival d’été de Québec. Le 5 octobre, cette femme engagée est présente lors du concert anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France. Elle partage l’affiche avec Jane Birkin et Cheb Mami.

En mars 2002, la chanteuse donne quelques concerts en Afrique : les 22 février et 1er mars au Sénégal, le 25 février en Mauritanie et le 5 mars à Conakry en Guinée. Puis, elle part au Moyen Orient au mois de mai : les 9 & 10, elle se produit à Bagdad et le 18 à Nazareth. Le succès rencontré est immense.

Après cette tournée au Moyen Orient, elle entreprend l’enregistrement d’un nouvel album Orients, pour lequel elle réunit l’orchestre de Nazareth, grand orchestre oriental composé de vingt musiciens musulmans, juifs et chrétiens et des artistes férus de nouvelles technologies avec les synthétiseurs de Richard Mortier et Simon Bendahan. Le guitariste flamenco Vicente Almaraz complète le groupe. Elle confie à un de ses amis chefs d’orchestres libanais, Elie Askhar, la réalisation du disque.

L’album sort en février 2003. La première représentation de cet opus se fait fin janvier à Chalon sur Saône avec les artistes ayant participé à l’élaboration de l’album. Le spectacle est présenté au Théâtre National de Chaillot du 7 au 9 février avant une tournée française prévue jusqu’à la fin mars. Les 18 et 19 juillet, c’est à l’Institut du Monde Arabe à Paris, qu’elle se produit accompagnée de l’Orchestre de Nazareth.

Véritable artiste polyvalente, de la chanson à la littérature, Sapho prouve chaque fois qu’elle le peut, que "l’Art n’est pas gratuit". Elle mêle depuis toujours, carrière artistique et défense des causes qu’elle croit justes.

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