Pas de terrains aux normes, peu de public, encore moins de sponsors… Ainsi va le quotidien du rugby au Maroc. Quant aux tentatives entreprises pour le relancer, elles s’apparentent surtout à du bricolage.
D’après les estimations, ils seraient plus de 300 rugbymen marocains à évoluer dans les différents championnats européens, toutes divisions confondues bien sûr ! Trois cents à avoir suivi le chemin tracé par l’un des plus brillants capitaines du prestigieux Quinze de France, le fameux Abdellatif Benazzi. Le président de la Confédération africaine de rugby,
Abdelaziz Bougja, est également marocain. Quant à notre équipe nationale, elle occupe une honorable 26ème place sur le classement mondial. De là à affirmer que le Maroc est une grande (ou même petite) nation de rugby, il y a un pas qu’il est indécent d’oser. Le rare public qui a fait le déplacement, la semaine dernière, à Kelâat Sraghna, a eu droit à une parfaite illustration de la réalité du ballon ovale rouge et vert.
Et vogue la galère
C’est donc dans cette minuscule ville de la région de Marrakech que se jouait une rencontre, comptant pour les huitièmes de finale de la Coupe du trône. À l’affiche, le Wydad local face au légendaire Mouloudia d’Oujda. Situé au beau milieu d’un complexe résidentiel, le terrain mis à disposition par la municipalité, ressemble à beaucoup d’endroits, sauf à un terrain de rugby. Une vaste étendue de terre battue, dont les corps des joueurs ramènent souvent de bien mauvais souvenirs. “Après chaque match joué sur ce terrain, on se retrouve avec cinq ou six joueurs blessés sur les bras, explique Khalid Bedri, président fondateur du Wydad de Kelâat Sraghna. Le pire, c’est qu’il ressemble à la grande majorité des terrains du pays”. Pour les vestiaires, il faudra repasser. Pour se changer, les joueurs n’ont d’autre choix que de le faire sur le terrain, et pour les plus timides, de s’isoler derrière un bâtiment des alentours. Pas d’ambulance à l’horizon, pas plus qu’une quelconque séparation entre le public et l’aire de jeu. On est dans l’univers de l’amateurisme, dans son expression la plus basique.
Deux policiers en uniforme essaient tant bien que mal de faire régner l’ordre dans le public. Il faut dire qu’il n’y a pas de risque d’affrontement entre les publics des deux camps. Les supporters oujdis se font rares. Et de toute manière, ils sont bien trop éreintés par le déplacement pour créer la moindre agitation. Les joueurs du Mouloudia paraissent également épuisés par ce long voyage : partis la veille en train de la capitale de l’Oriental, ils ont dû faire une courte halte à Marrakech, avant de louer deux minibus pour rallier leur destination finale, quelques heures à peine avant le coup d’envoi.
Aussitôt la rencontre terminée, ils devront faire le chemin inverse. Pas d’argent pour l’hôtel ou l’avion. “Nos juniors, qui jouaient le même jour, ont pris la route à minuit, à bord d’un minibus à la fiabilité douteuse. Après avoir roulé toute la nuit, ils sont arrivés à Fès à sept heures du matin pour jouer à midi. C’est complètement insensé, mais nous n’avons pas le choix”, raconte Khalid Bedri.
Joueurs bénévoles
La dizaine d’équipes qui se dispute chaque année le titre de champion et la Coupe du trône manque cruellement de moyens. À titre d’exemple, le club de Kelâat Sraghna ne peut compter que sur un budget annuel de 175 000 dirhams. “Avec cette somme qui nous vient de la préfecture, de la municipalité, en plus d’un mécène, nous sommes obligés de déclarer forfait pour certains matchs en déplacement”, explique Bedri. Les autres clubs du championnat font à peine mieux, puisque le budget du plus “riche” n’atteint pas le demi-million de dirhams. “Heureusement pour leurs finances qu’ils n’ont pas à payer les joueurs”, rappelle, avec ironie, un journaliste sportif. Effectivement, au Maroc, le joueur de rugby ne perçoit ni salaire, ni prime de match. “On nous donne quand même de quoi nous payer le hammam”, ironise Faïçal, jeune joueur de Kelâat Sraghna. L’entraîneur du club, pourtant bardé de diplômes, n’est pas mieux loti, puisqu’il doit se contenter de 1250 dirhams par mois. Et il ne faut pas compter sur la fédération pour renflouer les caisses. “Il n’y a quasiment rien de prévu pour les clubs. Le gros de notre budget, près de cinq millions de dirhams, est consacré à notre équipe nationale. Le reste permet, entre autres, de financer l’administration et de payer les arbitres”, affirme sous couvert d’anonymat un membre de la Fédération royale marocaine de Rugby (FRMR). Petite consolation : une prime de 35 000 mille dirhams est quand même promise au champion. Quant aux sponsors, ils préfèrent rester loin du ballon ovale. À raison, semble soutenir ce responsable sponsoring d’un opérateur téléphonique : “Nous n’avons aucune raison d’associer notre image à un sport sans terrains, sans public, sans vedettes emblématiques et sans couverture médiatique”.
Une ère révolue
Et dire que le rugby marocain a connu son âge d’or, qui a débuté dans les années 60, pour durer jusqu’au milieu des années 80. “Notre championnat était plus attrayant et plus compétitif, se rappelle Abderrahim Bougja, ancien président de la FRMR. Et notre Quinze national se permettait le luxe de bousculer, de temps à autre, les équipes les plus prestigieuses”. À l’époque, le Maroc pouvait même s’enorgueillir d’aligner une sélection féminines. La dernière en date, ressucitée en 2000, s’est volatilisée dans la nature, après un tournoi au Portugal en 2004. Aujourd’hui, la sélection marocaine de rugby se contente de briller sur la scène africaine, remportant ainsi le sacre continental à deux reprises (2004 et 2006). Toutefois, il faut relativiser, les géants sud-africains n’étaient pas de la partie et l’effectif marocain était (et reste) constitué essentiellement d’expatriés, malgré les 9 000 licenciés annoncés par la FRMR. “La plupart pratiquent ce sport uniquement par passion. Mais il y en a aussi qui n’y voient qu’une opportunité pour quitter le pays”, nuance un journaliste sportif.
Quant à la qualification à une Coupe du monde, la 3ème plus importante compétition de la planète, elle se fait toujours attendre. Et le rebond ne semble pas se profiler de sitôt. Pour Saïd Bouhajeb, le président de la fédération, celui-ci passerait d’abord par une mise à niveau de l’infrastructure sportive : “Les chaînes de télévision, qui sont les seules à pouvoir rendre ce sport plus visible, refusent de diffuser les matchs du championnat, car elles trouvent que nos terrains ne sont pas adaptés, explique-t-il. Même les parents refusent d’envoyer leurs enfants apprendre le rugby dans de telles conditions”. Khalid Bedri, lui, voit le problème dans sa globalité : “Soyons clairs, c’est un manque de volonté politique qui est derrière l’état actuel du rugby marocain. Il est délaissé, comme beaucoup d’autres sports, au profit du sacro-saint football”.
En attendant, la fédération fait mine de se tourner vers les jeunes, avec les moyens du bord. Une convention a été récemment signée avec l’Entraide nationale, pour que le rugby fasse son entrée… dans les orphelinats. Et 5000 dirhams ont été proposés aux clubs pour les encourager à créer des écoles de rugby. Décidément, dans le monde de l’ovalie marocaine, les choses ne tournent pas rond.
TelQuel - Mehdi Sekkouri Alaoui
Ces articles devraient vous intéresser :