Entretien avec l’Ambassadeur du Maroc en France Fathallah Sijilmassi
Vous avez fait récemment un état des lieux du Consulat marocain. Vous avez remarqué la dégradation avancée des locaux et la vétusté des équipements. Avez-vous un programme pour rénover les 15 établissements du corps diplomatique en France ? Avez-vous une politique de rénovation du corps consulaire pour qu’il soit adapté à l’évolution de la communauté marocaine en France ?
Il y a 15 consulats sur l’ensemble du territoire français, nous sommes dans une logique d’extension géographique pour faire en sorte qu’il y ait une logique et une proximité plus grande de nos consuls et de nos consulats vis-à-vis de la communauté marocaine. Cette communauté est présente sur tout le territoire, par conséquent notre souci de proximité nous impose d’être plus proches et plus efficaces vis-à-vis de cette communauté. Je dois noter sur la situation des consulats deux réalités : Il y a eu tout d’abord des avancées notables, j’ai fait récemment l’inauguration du consulat de Dijon avec des fonctionnalités modernes et utiles et d’ un nouveau consulat à Orléans. Mais je ne peux être totalement satisfait car je mesure l’effort qu’il reste à faire.
Nous en sommes pleinement conscients et nous avons même une organisation particulière au niveau du ministère des Affaires étrangères à Rabat pour mobiliser les fonds nécessaires pour une rénovation de l’ensemble des consulats dans tous les pays où nous sommes présents, avec bien entendu, une priorité pour la France compte tenu de notre besoin à la hauteur du service que nous devons rendre à nos compatriotes.
Pour moderniser ces services consulaires, c’est une question de moyens matériels ou de ressources humaines ?
En réalité un peu les deux, c’est-à-dire l’état des lieux c’est une chose mais nous sommes aussi soucieux de faire en sorte ,c’est notre politique actuelle,que les personnes affectées au consulat soient au fait des réalités de l’évolution des Marocains en France. On ne peut pas concevoir que le discours des consulats soit en déphasage avec l’évolution de cette communauté en France. Nous en sommes très conscients et nous appliquons une politique d’adaptation des ressources humaines aux besoins d’exigence et d’efficacité.
Est-ce que vous avez un accueil spécifique pour les nouvelles générations qui sont nées en France et qui sont habituées à d’autres pratiques qui ne ressemblent pas du tout à celles de la première génération ?
Dans ce cas, vous n’avez pas que la différence de génération à laquelle vous faites allusion, mais il y aussi des logiques différentes : il y a des hommes affaires, des universitaires, des ouvriers, des femmes et des hommes, des gens du Nord, des gens du Sud. Nous avons une communauté très diversifiée et le discours doit être uni et harmonieux par rapport à la marocanité et tout ce qui constitue le socle global de notre marocanité. Mais il faut s’adapter pour refléter les diversités sociologiques que nous pourrons rencontrer. Il n’y a pas de consigne, mais il y a la nécessité d’être le plus efficace possible. Nous devons avoir les bras ouverts envers la 3ème et la 4ème générations qui ont besoin d’approfondir leurs relations avec le pays d’origine.
Elles n’ont pas la même intensité comme pour les gens de la première et de la deuxième générations. Je voudrais rendre hommage à ces gens des 3ème et 4ème générations même s’ils connaissent moins le pays d’origine. Mais je les vois se mobiliser, s’intéresser, être curieux, venir vers l’information, et nous devons être au rendez-vous pour conforter cet élan patriotique, cette curiosité naturelle, en tout cas je m’y emploie personnellement. C’est inscrit dans nos priorités de pouvoir avoir une action spécifique en direction de ces jeunes pour garder leurs liens forts avec leurs pays d’origine.
Le Maroc connaît aujourd’hui un débat autour des questions de l’immigration avec une consultation menée par le CCDH. A votre avis, les Marocains résidant en France sont- ils utiles à leur pays en adhérant à la vie politique du pays d’origine ou en adhérant à la vie politique du pays d’accueil ?
Aujourd’hui, ce qui m’importe c’est faire en sorte que les Marocains en France puissent participer à l’élan quia lieu au Maroc sur tous les plans, politique, économique, social, culturel et je constate que c’est le cas de nombreuses associations franco-marocaines en France qui initient des projets socio-culturels ou humanitaires avec le Maroc, c’est un sorte de fierté. Des chefs d’entreprise franco-marocains initient des projets au Maroc et beaucoup s’y installent .
Pour les perspectives politiques au Maroc soit dans la formation du Haut Conseil de l’immigration soit dans les prochaines élections, je vois leur intérêt ; c’est le signe d’un lien fort de ces Marocains, quel que soit leur pays d’installation.
Le transfert d’argent des Marocains résidant à l’étranger avoisine les 4 milliards d’euros, l’un des plus importants revenus de l’Etat. Est-ce que le Maroc pourra continuer à dépenser ce revenu dans la consommation et l’immobilier sans l’investir d’une façon productive ?
Oui, évidemment nous devons gérer les situations et leur évolution. Il ne faut pas oublier que ce flux a été destiné pendant longtemps à la consommation et à l’aide les familles. Après il y a eu une orientation vers l’investissement dans l’immobilier, le tourisme et les activités de ces gens. Aujourd’hui, ça se diversifie un peu vers d’autres investissements, et c’est normal que la politique de l’Etat évolue avec ses changements et les accompagne. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une prise de conscience très forte. Madame Nouzha Chakrouni, ministre chargée de la communauté marocaine à l’étranger, suit cela de près en tant que personnalité du gouvernement chargée de cela, de manière générale est sur construction de Sa Majesté, le gouvernement travaille sur différentes formules. Par exemple, un cas concret : dans le cadre de programmes immobiliers le ministère de l’Habitat, avec le secteur bancaire, accorde des prêts qui peuvent aller jusqu’à 40 ans, c’est un taux un peu spécifique. Cette initiative prise par le gouvernement avec les secteurs bancaire et privé est née d’un besoin exprimé par la communauté marocaine à l’étranger pour avoir un prêt adapté à leur pouvoir d’achat et à leur spécificité.
Le principe même de mettre en place un Haut Conseil des Marocains à l’étranger peut être une force de proposition sur différentes questions qu’elles soient thématiques ou sectorielles qui peuvent représenter les intérêt de la communauté.Le conseil peut être une force de proposition dans une logique partenariale. Il n’y a pas d’un côté la communauté et de l’autre, l’Etat, nous devons travailler ensemble, nous devons concevoir ensemble les solutions aux différentes préoccupations de la communauté et je suis déterminé ici à Paris à concrétiser cet état d’esprit, avec les associations marocaines à qui je voudrais rendre hommage parce que je constate leur dynamisme dans les propositions et sur le terrain.
Il y a certains acteurs et certaines banques dans les pays du Nord qui commencent à dire qu’il faut utiliser le transfert de l’argent de l’immigration pour le développement. Les pouvoirs publics ont-ils des solutions dans ce sens ?
C’est un flux important ces 4 milliards d’euros, ce n’est pas un flux faible si vous ajoutez le flux vers l’Algérie et la Tunisie, ce sont des sommes importantes qui sortent. Le problème et le défi qui vont se poser, c’est que nous Marocains, Etat marocain et banques marocaines, nous devons être compétitifs ,à la fois au niveau des taux et des conditions financières et au niveau des services qui sont rendus.
Les relations entre Paris et Rabat ne risquent-elles pas de connaître des changements avec le prochain locataire de l’Elysée ?
Non, je crois que nous sommes inscrits dans une relation sereine, très stable, très positive et portée par les peuples. Jamais les relations entre la France et le Maroc n’ont été aussi fortes. Nous avons un volume d’affaires de 10 milliards d’euros, un taux de croissance régulier de nos exportations, jamais il y a eu autant d’investissements français au Maroc, jamais il n’y a eu aussi autant de Français qui visitent le Maroc, jamais il n’y a autant de Français qui s’installent au Maroc. Nous sommes dans l’un des meilleurs moments de l’histoire des relations entre la France et le Maroc. En même temps, vous constatez que le Maroc n’a jamais autant de relations fortes avec l’Espagne, les échanges avec ce pays ont augmenté de 20% en 2006. Le Maroc a signé récemment un accord de libre-échange avec les USA, ce qui nous ouvre une nouvelle perspective sur un marché à forte croissance. L’Afrique sur le plan économique trouve aussi un prolongement naturel, je vous rappelle les différents investissements de la Royal Air Maroc, et de Maroc Telecom, de l’ONA des différentes banques sans parler des PME qui sont très nombreuses dans différents pays africains et le Maroc a beaucoup développé ses relations avec les pays arabes que ce soit les pays du Maghreb, combien il y a des relations entre les hommes d’affaires, les banques marocaines sont en train d’installer en Algérie, c’est déjà fait en Tunisie, en Mauritanie ; il y a un développement spectaculaire des relation économique et la même chose avec les pays du Golfe et les pays asiatiques comme la Chine qui est un partenaire très important et l’Inde aussi. Nous sommes dans une logique de faire rentrer le Maroc de façon plus compétitive dans la mondialisation.
Vous avez déclaré que « Singulières et exceptionnelles étaient les relations qui unissent le Maroc et la France ». Est-ce que c’est facile pour vous, ambassadeur, d’avoir cette dynamique diplomatique vu cette situation des relations entre les deux pays ?
L’essentiel est de faire en sorte que la dynamique se poursuive et s’accélère, jamais on ne peut estimer avoir atteint un seuil de satisfaction, il faut être en permanence en quête d’abord de maintien de dynamique et bien entendu, il faut être ambitieux. Les relations franco-marocaines même en étant au niveau où elles sont, ont encore du potentiel devant elles. L’opération Maroc-Hexagone que mène l’ambassade vise précisément à aller vers les PME en province, car elles commencent à s’internationaliser. Je ne me satisfais pas qu’il y ait 38 entreprises de CAC 40 au Maroc. Nous sommes toujours dans l’amélioration.
Comment faites-vous pour rassurer notre premier partenaire économique devant le nombre de livres publiés en France qui donnent une image chaotique sur le Royaume, je pense au livre « Quand le Maroc sera islamiste » de Nicolas Beau et Catherine Graciet et à bien d’autres ?
D’abord, il faut dire que l’image du Maroc en France est très positive. A partir de là il faut continuer à faire l’effort de communication du Maroc. C’est une société qui évolue Le Royaume sous l’impulsion de Sa Majesté Mohammed VI a connu de grands changements, des mutations. Evidemment, il y a toujours des gens ici ou là d’un autre temps qui sortent des livres et ce genre de livres fait sourire ici en France et ne suscite aucun débat .
Youssef Lahlali - Libération
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