Le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports vient d’annoncer son plan de généralisation de l’enseignement de la langue amazighe dans tous les établissements du primaire d’ici à l’année 2029-2030.
L’amazighité a été toujours la conscience tragique de l’élite intellectuelle amazighe. Au cours de l’histoire de la lutte des Imazighen en tant que mouvement de protestation, seuls, les intellectuels amazighs se sont considérés concernés et responsables de la lutte identitaire. Est-ce par égoïsme militant ?
La charte d’Agadir, le Congrès Mondial Amazigh, le Conseil de Coordination National, le Manifeste Amazigh et toutes les actions des associations amazighes étaient, et le sont encore, des stratégies élitistes issues d’une minorité donnant l’impression comme si l’Amazighité était une cause de minorité. La stratégie de l’action mobilisatrice a été toujours centralisée sur l’élite, les étudiants, les enseignants, les avocats, les cadres ....
Est-ce le fruit d’un égoïsme militant ou tout simplement une carence dans la capacité à mieux concevoir une stratégie orientée vers la base, vers la masse Amazighe en vue de radicaliser notre mouvement ? Aujourd’hui l’état des choses nous impose à changer de visions, de stratégies, d’actions pour que l’Amazighité soit une cause des masses de tous les Imazighens. Nos projets d’action d’avenir doivent avoir de nouvelles bases, de nouveaux aspects, de nouvelles dimensions.
Quelles références doit d’abord avoir un projet de plate forme Amazighe ?
Elle sont au nombre de deux. Nous avons d’abord la référence identitaire issue de notre patrimoine, de nos valeurs ancestrales. Toutes plate forme doit alors rejaillir de l’histoire, de la culture, de la société, de la terre Amazighes. Autrement, toute plate forme doit être codifiée par des concepts sociologiques faisant référence à une société Amazighe avec des valeurs Amazighes, à savoir Tamazgha, Timmuzgha, Tawiza et en tant que formes d’organisations sociale, économique, politique, et culturelle et étant l’esprit de communautés Amazighes.
Notre projet d’avenir est condamné à avoir également une autre dimension, une dimension universelle ouverte sur la proximité de notre pays, sur ses voisins et sur le monde entier. Il y a des valeurs universelles de l’humanité qui ne peuvent être niées par aucune forme d’organisation socio-économique et culturelle telles : la démocratie, la modernité et tant d’autres concepts de valeurs humaines. Ainsi la cohabitation de deux références dans un projet de société n’est elle pas une rude épreuve. Bien sûr tout en investissant les expériences d’autres mouvements de lutte dans le monde entier (Printemps Kabyle, Mai 68, Mouvement d’Amérique du sud, Mouvement Zapatiste au Chapas au Mexique ...).
Quelle serait la problématique de la plate forme ?
Elle doit s’interroger sur le Maroc futur. Comment se construit-il ? Qui dominera sa construction ? Qui seront ses acteurs ? Au profit de qui sera-t-il ? Et aux dépens de qui ? quelle sera la place des Imazighen dans le Maroc à venir ? Resteront-ils toujours assimilés ou soumis à une idéologie panarabiste transférée d’ailleurs ?
Imazighen ne doivent pas toujours être des victimes de la conception classique de “L’histoire” puisque « l’historicité n’est pas un ensemble de valeurs solidement établies au centre de la société, elle représente un ensemble d’instruments d’orientations culturelles, à travers lesquelles les pratiques sociales sont constituées » - Alain Touraine, “le retour de l’acteur”, 1984, page 76.
Comment alors le mouvement Amazigh en tant que mouvement de lutte puisse agir pour orienter le courant des conflits, les transformations en cours, afin que les conséquences de ces transformations soient à sa faveur, en faveur de l’Amazighité d’abord ?
Notre problématique, que faire ? Comment faire ? n’est pas uniquement d’ordre organique ou d’ordre théorique, notre problème est selon A. Touraine est comment passer d’une action indifférenciée à une action différenciée, du changement lent et discontinu aux transformations rapides et incessantes, d’une faible à une forte densité d’échange ? Notre action est située dans l’évolution qui conduit du simple au complexe. Bref, la question est comment faire pour étendre le champ d’action, pour impliquer Imazighen de façon à attribuer à l’Amazighité le rôle central de la lutte de toute la population Amazighe au Maroc au lieu de rester une affaire d’une élite isolée. De quelle façon l’Amazighité, en tant que cause identitaire, aura-t-elle plus d’impact auprès de nos concitoyens ? La question se pose ici sur notre stratégie future de mobilisation pour avoir plus de pression sur l’état.
Je propose ici deux concepts : la proximité et la spécificité.
Si l’Amazighité s’intègre dans une perspective de proximité, notre compétence/performance de mobilisation aura plus d’ampleur et vis - versa. C’est une dialectique de l’action et de son résultat, de la conséquence de l’action, de son objectif et du moyen pour la réalisation de cet objectif. Autrement dit, nous devons faire de l’Amazighité une des préoccupations quotidiennes de la population Amazighe telle, l’eau, l’école, la santé, l’emploi ... Bref nous devons faire d’elle une cause de citoyenneté.
Il faut alors déculturaliser notre action sinon “désélitiser” notre mouvement. Comment cela peut-il s’accomplir ?
Il est surprenant, voire inquiétant, par exemple, que des associations de développement, des centres d’études et de développement local aient « désamazighisé » leurs actions, alors qu’ils prétendent adopter une approche intégrée impliquant l’Homme, la Terre et la Culture. Ses associations de quartiers représenteraient des appuis de base d’une action de proximité telles les coopératives, les associations de femmes.... Il est temps que l’action s’inscrive dans une approche de développement intégré et durable qui met en scène tous les acteurs de la scène socio-économiques et culturels. Il est clair que les capacités d’actions de nos associations sont devenues très réduites vu leur état d’épuisement et la multiplication de leurs tâches : activités culturelles, revendications, mobilisations, protestations, coordinations ...
Les instances civiles Amazighes doivent désormais délimiter, plutôt réduire leurs champs d’action en spécifiant mieux leurs objectifs et leurs actions. L’initiative du Groupe de l’Action Amazighe tend à faire, par exemple, de l’Amazighité une action de la rue, dans la rue. Cette expérience aurait plus grand effet si son organisation avait été mieux conçue et son indépendance serait assurée dans l’avenir. C’est ce que j’ai appelé la spécification du champ d’action. Nos associations ne doivent pas faire du tout en même temps, du militarisme, de la revendication, du culturel ....
Je suis pour, par exemple, la constitution d’un comité national de Tawada plutôt une association nationale pour la réalisation du projet de Tawada. Les acteurs de ce projet concentreront surtout leurs efforts à la mobilisation pour la réalisation d’une marche digne des Imazighen. Reste à réfléchir sur un système d’interaction entre les différents acteurs, au niveau local, régional, national et entre différents secteurs d’action : Associations Amazighes, associations de développement, comités de quartiers .... Reste encore que la lutte des Imazighen est aussi un combat politique. Ainsi faut-il s’interroger sur l’environnement politique, ses acteurs, ses partis qui agissent avec/contre le mouvement Amazigh pour freiner, voire disperser notre action. Il est clair que le projet des partis politiques ne dépend point des attentes du mouvement Amazigh pour la construction du Maroc futur. A ce sujet les élections vers lesquelles se ruent les partis politiques n’ont aucun sens sans la réalisation des plus grandes revendications du mouvement Amazigh. Comment ne pas réagir, se taire sur des projets politiques partisans qui tendent de plus en plus à exclure Imazighen ? Nous, en tant que mouvement Amazigh, nous ne sommes plus, ne devons pas être concernés par les élections de septembre 2002.
Nos actions et nos prises de positions politiques doivent viser les élections pour dénoncer ce processus politicien électoraliste aux dépens, voire contre Imazighen, leur mouvement et dénoncer tous les commanditaires les exécutants de ce projet. Bref, ces élections ne sont plus les nôtres.
Enfin, aucun parti politique, issu du mouvement Amazigh ne doit prétendre la représentativité politique de notre mouvement car sa persévérance et sa continuité sont assurés tant qu’il n’est l’annexe d’aucune institution de l’état et des parties politiques ou de leurs organismes parallèles.
N.B : Cette communication a été faite au cours d’une table ronde organisée par le comité régional du Manifeste Amazigh Haut Atlas - Tensift à Marrakech le 11 mai 2002.
Par : Soliman EL BAGHDADI (Nador) pour tawiza
Ces articles devraient vous intéresser :