Suite à l’ouverture de l’exposition à la mémoire du martyr Mehdi Ben Barka le 7 février à la Galerie de l’Entrepôt à Paris, Bachir Ben Barka a accordé cet entretien à Libération :
Pourquoi l’Institut Mehdi Ben Barka -Mémoire vivante- a-t-il choisi pour célébrer le 41ème anniversaire de la disparition et l’assassinat du leader marocain la démarche artistique en organisant une exposition à la mémoire du martyr à la Galerie de l’Entrepôt à Paris ?
Cette exposition-manifeste est le résultat d’une double démarche : d’abord de la part du comité de préparation du colloque du Sénat en octobre 2005 (De la tricontinentale à l’altermondialisme) , avaient mené une réflexion sur la recherche d’autres formes pour rendre hommage à la mémoire de Mehdi Ben Barka , pour sensibiliser un plus large public à la problématique de l’assassinat politique et de la raison d’Etat. Ensuite de la part d’un certain nombre d’artistes qui avaient déjà créé ou souhaitaient créer une œuvre saluant le combat de Mehdi Ben Barka. A cela s’ajoute le fait que ces artistes sont d’abord des citoyens attachés à l’intégrité de la personne humaine et à la défense de ses droits fondamentaux, et qui condamnent le recours à la disparition forcée et l’assassinat politique.
Très rapidement, un grand nombre d’artistes a répondu favorablement à l’idée d’organiser une manifestation autour du thème de la disparition. Il a fallu un an pour trouver un lieu d’exposition à Paris, à la mesure du projet, pouvant regrouper dans de bonnes conditions les diverses toiles, sculptures, collages, photographies …
Le résultat est cette exposition-manifeste à la Galerie de l’Entrepôt.
Certains artistes participant à cette exposition ont aussi souffert de la répression, comment ont-ils réagi quand vous les avez invités à participer à ce travail sur la disparition et l’assassinat ? La réponse a toujours été très rapide et l’adhésion au projet très enthousiaste. Pour eux, c’était une manière de témoigner de leur douloureuse expérience. Ils affirment, par leur œuvre, que l’incarcération, la torture, l’exil n’ont pas pu briser leur créativité et leur sensibilité. De plus, cette manifestation leur permet d’exprimer leur admiration et leur respect pour Mehdi Ben Barka, que certains ont connu.
« Disparition aussi, d’un projet, d’une espérance qu’incarnait le leader assassiné ». Est-ce que la mémoire de Mehdi Ben Barka est menacée aujourd’hui au Maroc ? Pourquoi à votre avis ?
En 1965, Mehdi Ben Barka avait pu aplanir les différentes divergences entre les diverses tendances du mouvement progressiste international (entre l’URSS et la Chine, entre la Chine et l’Inde, entre la Chine et Cuba,…). Sa personnalité, le respect et l’estime qu’il suscitait de la part des leaders du Tiers-monde et sa connaissance des composantes des mouvements de libération nationale ont permis que se concrétise le projet de la tenue de la Conférence tricontinentale de La Havane, dont il supervisait la préparation. Après son enlèvement et son assassinat, toutes ces divergences ont ressurgi au cours de la Conférence. Les objectifs qui lui étaient fixés ne se sont pas réalisés, en particulier la mise en place d’une seule organisation des peuples des trois continents. On ne peut pas réécrire l’Histoire avec des si… On ne sait pas ce qu’aurait été l’évolution du mouvement tricontinental si Mehdi n’avait pas disparu. Ce qui est certain, c’est que cette disparition l’a affaibli ; de même qu’elle a en particulier affaibli le mouvement progressiste au Maroc.
Pour revenir à votre question, il est indéniable qu’après l’avoir fait disparaître physiquement, le pouvoir marocain a essayé d’effacer son image et toute son action militante de la mémoire collective marocaine. Mais cette tentative a été vaine. Mehdi Ben Barka est issu des profondeurs du peuple marocain ; sa pensée politique et son action militante se sont inspirées autant des traditions culturelles, historiques de résistance et de combat politique du peuple marocain que de celles des autres expériences militantes des autres peuples. Sa pensée politique et son action militante ont eu pour principal objectif de répondre aux aspirations profondes des masses populaires au progrès social, au bien-être et à la démocratie. C’est pour toutes ces raisons qu’il a été assassiné et que son nom, son image et l’immense espoir qu’il a représentés sont toujours vivants dans le cœur et la mémoire, non seulement du peuple marocain, mais des autres peuples du Tiers-monde. Mehdi Ben Barka fait partie aujourd’hui du patrimoine populaire universel. Ce qu’il faut, par contre, souligner est que les autorités politiques marocaines ne sont pas aujourd’hui en phase avec cette dimension historique.
Le meilleur hommage à rendre à la mémoire de Mehdi Ben Barka de la part des autorités marocaines serait de contribuer efficacement à faire connaître la vérité sur son sort et établir toutes les responsabilités, à quelque niveau elles se situent.
Alors pourquoi aucune action concrète n’est menée par les autorités marocaines pour faire toute la lumière sur le sort de mon père ? Pourquoi les témoins encore vivants au Maroc n’ont-ils pas pu être entendus par la justice ? Pourquoi les fouilles n’ont-elles pas été effectuées là où on soupçonne pouvoir trouver des indices ? La vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka est-elle si terrible que 41 ans après sa mort le Maroc de 2007 n’est pas capable de l’assumer ?
Ne pas apporter de réponses à ces questions ne peut que susciter des interrogations sur la réelle volonté de tourner les pages sombres d’un passé que nous souhaitons et voulons révolu.
Dans certaines presses au Maroc, certains interprètent l’action de Ben Barka à leur guise, on avait le droit à tout jusqu’à lui enlever le droit d’être martyr de son peuple ? Pourquoi cet acharnement 41 ans après ?
Plus de 41 ans après sa disparition, l’actualité et la vivacité de sa pensée font encore peur aux ennemis du progrès, de la justice sociale et de la démocratie. Pour d’autres, zélateurs des responsables des années de plomb, ils cherchent à justifier les enlèvements, les tortures, les séquestrations arbitraires et les assassinats politiques en les mettant sur le même plan que la résistance politique et l’action militante auprès des masses populaires qu’ont menées des responsables politiques, syndicaux et associatifs comme Mehdi Ben Barka et tous ceux qui ont payé dans leur chair et par leur vie leur espoir d’une société de liberté, de progrès et de démocratie.
Quelles sont les prochaines actions de l’Institut Mehdi Ben Barka -Mémoire vivante ?
La très prochaine action est la publication des Actes du colloque « De la tricontinentale à l’altermondialisme ».
Libération - Youssef Lahlali
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