Décidément, lorsque l’Otan se met une idée en tête, c’est du sérieux. C’est non sans insistance que l’Organisation atlantiste a réitéré au siège de la CDG son chant des sirènes au travers d’une prestation (peu convaincante) du secrétaire général adjoint délégué aux Affaires régionales, économiques et de sécurité de l’Otan, le docteur Patrick Hardouin.
L’audience irritée a déserté très vite une salle qui, pourtant au début, était quasiment pleine d’experts et de journalistes, mais aussi de simples citoyens venus attraper la perche de la discussion tendue par l’Otan. « De toute façon, c’est toujours la même chose avec eux, ils nous invitent à discuter mais ils ne parlent que de ce qui les préoccupe », s’exclame, sur un ton désabusé, un médecin retraité. Pourtant, au début de la conférence, le Français Hardouin n’a eu de cesse de vanter les mérites d’une collaboration dite équilibrée et ouverte aux préoccupations de l’autre.
« Il y a une réelle nécessité de dialogue entre les populations des rives Sud et Nord, mais aussi avec les Etats-Unis, un pays qui reste une pièce maîtresse de l’Otan », a expliqué le diplomate atlantiste, qui tout au long de son exposé, a insisté sur le danger terroriste, l’assimilant maladroitement aux défis du développement des pays du Sud. A bon entendeur, à peine son discours officiel terminé que les questions fusent de toute la salle, démontrant un intérêt très important des Marocains sur ces sujets de défense comme de paix.
Intérêts divergents
« Pourquoi l’Otan délaisse-t-elle le continent africain, alors que les questions sécuritaires y sont graves ? Pourquoi le Sahel ne jouit-il pas d’un plan officiel de stabilisation ? A quand une réaction de l’Otan face aux massacres de Palestiniens ?... »
Bref, une ribambelle de questions démontrant une conscience collective des Marocains sur leur vraie communauté de destin, et que Hardouin aura eu beaucoup de mal à éluder. Cultivée et avertie des manœuvres et des négociations parallèles de l’organisation atlantiste en Méditerranée et dans le reste du monde, l’audience a largement axé ses questions sur les réelles motivations des Alliés autour du détroit de Gibraltar, où transitent chaque jour quelque 3.000 cargaisons commerciales. « Votre sécurité énergétique dépend de la sécurité de nos mers, est-ce la seule chose qui vous intéresse ? » demande, faussement naïf, un membre de l’audience.
En effet, les routes maritimes en Méditerranée devenant un enjeu grandissant autant pour l’Europe que pour les Etats-Unis, la Méditerranée, depuis le 11-Septembre, est sur les radars. Du seul point de vue énergétique, quelque 65% du pétrole et du gaz naturel consommés en Europe occidentale passent chaque année par la Méditerranée, les principaux pipelines reliant la Libye à l’Italie et le Maroc à l’Espagne.
« La question énergétique n’est pas seulement géopolitique, c’est surtout économique, sinon on retourne au partage de l’Afrique du XIXe siècle », a daigné répondre très rapidement Hardouin, après que la question a été répétée maintes fois. Idem pour les projets des Etats-Unis, que l’on présume installer, avec l’aide de l’Otan, la base militaire « AfricaCom » au Sahel, après plusieurs visites et tractations officieuses de délégations civiles et militaires en Mauritanie, en Tunisie comme au Maroc. L’objectif inavoué serait le contrôle des flux d’armes, de matières premières, échappant toujours aux dispositifs atlantistes déjà installés dans ces zones d’ombre, où les camps d’entraînement officieux côtoient les commerces humains et matériels illégaux.
« Je n’ai jamais entendu parler de ces projets, c’est de l’ordre du fantasme », a fini par répondre l’adjoint au secrétaire général de l’Otan, après avoir éludé la question de la non-intervention dans cette région, nouveau terreau du terrorisme.
Coopération militaire ciblée
« Nous n’avons pas vocation à devenir les gendarmes du monde », n’a-t-il eu de cesse de répéter, dès que des questions suscitaient la complaisance de l’Otan envers des alliés des Etats-Unis, tels qu’Israël au Moyen-Orient ou la Russie en Tchétchénie. D’ailleurs, à la question du mutisme de l’Otan face aux exactions israéliennes, Hardouin répond que les forces atlantistes « regrettent les dommages collatéraux lourds en vie humaines en Afghanistan ».
Déjà à ce moment-là, plus de la moitié de la salle avait disparue. « On perd notre temps », pouvait-on entendre près de la porte ! Les auditeurs votent avec leurs pieds !
Qu’à cela ne tienne. Les plus courageux résistent et tentent le débat de l’Europe. En effet, le Maroc comme les autres pays de la Méditerranée sont aujourd’hui courtisés de toute part dans le cadre d’une bataille d’influence aux dessous des plus pragmatiques.
D’ailleurs, dès son élection à la présidence française, Sarkozy annonce la couleur : « Il nous faut absolument redynamiser le processus de Barcelone avec une nouvelle architecture de défense dans le cadre du partenariat d’Euromed, c’est un enjeu vital et prioritaire pour l’Europe et sa collaboration historique avec les pays du Sud ».
Le Maroc n’est pas dupe de ces opportunités. Au contraire, la diversification est la meilleure garantie de l’indépendance d’un pays. Le Royaume est d’ailleurs le seul pays du pourtour méditerranéen, avec la Turquie, à participer aux opérations euroméditerranéennes de défense baptisées Altéa, et ce, depuis 2004. En d’autres termes, les pays du Sud n’auraient-ils pas intérêt à privilégier la collaboration avec leurs « Etats-Unis d’Europe », selon l’expression consacrée par Charles de Gaulle ?
Sur ces questions, le diplomate atlantiste retrouve miraculeusement sa verve : « le fédéralisme européen existe dans le domaine économique mais la défense reste du domaine national, il ne faut donc pas trop y croire pour la résolution des problèmes sécuritaires », ajoutant que l’Otan était la première force armée au monde et que les Etats-Unis étaient le pays dépensant le plus au monde dans l’armement.
Il est certain que l’expertise de l’Otan en termes de modernisation des forces armées est incontestable. D’ailleurs, ces écoles de formation et ces entraînements dispensés dans des régions en guerre sont autant de chevaux de Troie, comme actuellement en Irak, que de nouveaux axes de pénétration auprès des pays méfiants, voire hostiles à cette institution.
« Nous cherchons à mettre en place un réseau mondial d’écoles et de formation, dans lequel se crée une communauté atlantique », a expliqué le diplomate.
Oui, certes, car ces pays partenaires ne pourront que bénéficier d’une expertise mondiale unique en termes de défense militaire et d’opérabilité. Mais dans quel cadre et pour quel objectif ?
« 85% du programme de l’Otan en Méditerranée est militaire, dans le cadre de la lutte antiterroriste avec des opérations tel qu’Active Endeavour », expliquait à Bruxelles le colonel Giuseppe Clemente, chef militaire de la section Dialogue méditerranéen.
Mais qu’est-ce que le terrorisme ? Vaste terme délibérément utilisé dans son sens le plus large sans jamais le définir, il est la raison d’être aujourd’hui de l’Otan, la meilleure justification des Etats-Unis pour ces opérations militaires contestées.
Lorsqu’un auditeur demande à Hardouin si l’Otan avait pris en considération la décision récente de la Cour suprême d’Italie, qui a condamné l’assimilation des peuples luttant pour leur libération à des terroristes, celui-ci répond sans vergogne qu’« il n’y a pas besoin de parler de cela, il existe des lois internationales, voilà ma définition ». Pas étonnant qu’à la fin de cette séance de discussion, qui ait tout logiquement tourné court, Hardouin ait fait face à une salle quasiment vide. Une belle leçon de diplomatie que les Marocains auront eu l’intelligence d’éviter...
L’Economiste - Najlae Naaoumi
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