Elle révèle que la diaspora marocaine est difficilement, voire faiblement intégrée dans l’environnement socio-économique des pays d’accueil. Un constat qui se dégage au travers des indicateurs explorés par les enquêteurs.
De l’emploi à la mobilité sociale en passant par l’implication politique, les chiffres dénotent d’une faible intégration, ou du moins d’une réussite limitée dans le pays d’accueil. Des réussites spectaculaires ne sont pas légion, mais elles existent de plus en plus.
Selon que les émigrés soient de la première, deuxième ou troisième génération, le constat est nuancé. Les jeunes résidents à l’étranger semblent mieux lotis que leurs parents. Ces derniers sont en revanche animés par un fort sentiment d’attachement au pays d’origine. Ainsi, plus de la moitié (57%) d’entre eux projettent de retourner s’installer au pays et y gérer un projet. L’intention de retour est manifestée par plus de 7 personnes sur 10 chez les « plus de 60 ans », la population des retraités.
En revanche, la population de la deuxième génération est moins tentée par le retour. Seul un tiers des personnes interrogées, 35% chez les garçons et 36% chez les filles affirment vouloir revenir un jour au Maroc. Mais contre toute attente, l’intention de retour est fortement manifestée parmi les jeunes de 20-24 ans. Les deux tiers de ces jeunes affichent clairement leur souhait de retourner au pays.
Comment peut-on interpréter le fort désir de cette jeune population de renouer avec les racines ? Serait-ce là une expression de difficultés à s’intégrer dans un pays où ils sont nés et dont ils ont la nationalité ? L’enquête du HCP ne fournit pas de réponse à cette interrogation. Mais, un début d’explication est fourni par un autre chiffre avancé par les chercheurs du Cered : près de 15% de l’échantillon sondé exprime clairement la volonté de revenir dans leur pays d’origine à cause de « l’insatisfaction des conditions de vie dans le pays hôte ».
La situation sur le marché de l’emploi illustre parfaitement cet état de fait. Ainsi, plus des deux tiers des MRE actifs, 71% selon l’enquête, sont concentrés dans des professions à faible qualification. Seuls 7,5% des sondés exercent des professions libérales ou sont des cadres supérieurs. Cette situation serait-elle appelée à changer à l’heure de l’émigration choisie ? En attendant, les émigrés ou les populations dont les parents sont d’origine étrangère, même diplômés souffrent plus que les autres de discrimination sur le marché de l’emploi. En France par exemple, le taux de chômage dans cette population est en général deux à deux fois et demi la moyenne nationale.
D’autant plus que le diplôme de ceux formés au Maroc n’a pas été valorisée par les pays d’accueil. D’où ce sentiment fortement exprimé par les MRE que les emplois qu’ils occupent ne correspondent pas à leur formation.
Du coup, l’ascenseur social semble en panne pour nos ressortissants. Même parmi la population des 2e et 3e générations, le modèle des parents est reproduit dans une large mesure. C’est le cas pour un peu plus de la moitié des enfants d’immigrés qui se retrouve à exercer des métiers identiques à ceux de leurs pères. Et encore, ceux-là ne sont pas les plus à plaindre. Une autre catégorie accuse une nette dégradation socioprofessionnelle. C’est le cas d’une bonne petite proportion : 13,3%.
Le sort de leurs parents ouvriers semble en comparaison enviable. Et encore, l’enquête ne parle pas des « laissés-pour-compte » des politiques migratoires des pays d’accueil. Une situation que les pays d’accueil pensent limiter par leurs appels itératifs à une immigration choisie. De leur côté, les MRE dans les pays où les étrangers ont le droit de vote, rechignent à s’impliquer dans la vie politique. Ils sont ainsi près d’un tiers à ne pas être inscrit sur les listes électorales dans ces pays. Pourtant, en pesant de leur poids, bien des choses pourraient être améliorées.
Ils veulent investir…mais dans la pierre
Pour plus de la moitié (56%) des MRE interrogés déclarent avoir investi soit dans leur pays d’accueil, soit dans celui d’origine. Mais leur préférence va plutôt à ce dernier. Deux tiers de leurs investissements y sont en effet réalisés. Mais attention, ce constat est à nuancer puisqu’il n’est fortement relevé qu’auprès des chefs de famille de première génération. Parmi les 2e et 3e, ce taux est plus faible. Il diminue progressivement d’un maximum (61%) chez les chefs de ménage enquêtés qui n’ont jamais fréquenté l’école à un minimum parmi ceux ayant effectué des études supérieures (28%). En tout cas, pour ceux qui choisissent pour leur investissement le pays d’origine, l’immobilier reste la valeur sûre. Avec 87%, ce secteur reste le créneau ciblé par leurs investissements. D’où la floraison des offres par les banques. Pour les enquêteurs, le choix d’acquérir un logement ou une résidence secondaire au Maroc est un autre signe de l’attachement des MRE à leur pays d’origine.
Le nouveau visage du MRE
La communauté des Marocains résidant à l’étranger rajeunit. Selon les résultats de l’enquête du HCP, la moyenne d’âge relevée est de l’ordre de 26 ans. Les pionniers de l’immigration cèdent du terrain aux nouvelles générations. Elles représentent désormais le gros de la population vivant à l’étranger. Mieux, un peu moins de la moitié (44%) de la communauté résidant à l’étranger a vu le jour sur le sol du pays hôte. En revanche, l’âge de l’émigration des chefs de ménage a plutôt tendance à s’élever. De 20 ans en moyenne dans les années 60, il est passé à 23 ans dans les années 80 et 28 dans les années 2000. Par ailleurs, cette catégorie jouit d’une certaine stabilité qu’illustre le taux élevé des chefs de ménage mariés (86%).
Autre évolution notoire révélée par les enquêteurs du HCP : la féminisation de la communauté marocaine résidant à l’étranger. La tendance observée depuis quelque temps s’accentue. L’on tendrait de plus en plus vers une parité hommes/femmes avec 54,6% pour les premiers et 45,4% pour les secondes.
Côté formation, le changement est également notoire. La figure du MRE, analphabète, corvéable à merci, semble s’estomper au profit d’une autre catégorie mieux formée et aux exigences socioprofessionnelles plus prononcées. Même si leur formation n’est pas toujours valorisée sur le marché de l’emploi, les MRE des nouvelles générations sont mieux formés. Les résultats de l’enquête du HCP font état de quelque 15,6% de diplômés de niveau supérieur. Un peu plus du tiers de l’échantillon sondé (37,9%) sont de formation secondaire et 20,3% primaire. Ceux qui n’ont jamais été à l’école représentent quand même un cinquième de l’échantillon (26%). Parmi l’ensemble des sondés, seuls 30% ont eu accès à une formation professionnelle dans leur pays d’accueil.
Le niveau de vie 26% en dessous de la moyenne
Selon le rapport Milhaud, les émigrés originaires de pays tiers (hors Union européenne) en France connaissent un taux de chômage de 17,6%, nettement supérieur à la moyenne nationale. Ce chiffre cache en plus de profondes disparités en fonction de l’origine géographique. Ainsi, avec un taux de 25%, le chômage touche particulièrement les personnes originaires du bassin méditerranéen (Maghreb, Turquie).
L’intégration par le travail présente donc des difficultés particulières pour les catégories de population qui cumulent plusieurs handicaps (formation inadaptée, difficultés linguistiques, manque de réseaux d’accompagnement, concurrence de la main-d’œuvre irrégulière).
Conséquence de ces difficultés d’accès à l’emploi, le niveau de vie des migrants est inférieur de 26% au niveau de vie moyen des ménages. Cette situation se traduit, en termes financiers, par la faible importance du patrimoine détenu par les ménages de migrants. Pour 57% d’entre eux, ce patrimoine est inférieur à 15.000 euros (165.000 dirhams). Les perspectives de progression en ce domaine paraissent en outre peu favorables, dans la mesure où une proportion importante des ménages des émigrés vit actuellement au-dessous du seuil de pauvreté (cette proportion atteint 20% pour les ménages dont la personne de référence est née dans un pays du Maghreb).
L’Economiste - Khadija El Hassani