C’est aujourd’hui, mercredi 30 mars, que le Premier ministre turc, Recep Tayyib Erdogan, entame une visite officielle au Maroc. Rabat est la deuxième étape du périple maghrébin après la Tunisie, les deux pays de la région à avoir signé un accord de libre-échange avec Ankara.
Erdogan est accompagné d’une délégation de 45 personnes, comprenant notamment le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ali Coskun, le ministre de l’Agriculture et des Affaires rurales, Sami Guçlu, des députés et hommes d’affaires. Deux temps forts lors de cette visite : la signature d’accords bilatéraux et la tenue du « Forum des hommes d’affaires » maroco-turc le jeudi 31 mars à Casablanca.
C’est en effet essentiellement dans le domaine économique que les deux pays entretiennent de denses relations. La signature d’un accord de libre-échange entre Rabat et Ankara représente une « opportunité mutuelle », comme des risques de part et d’autre. Les opérateurs des secteurs du BTP, électronique et services, textile-habillement, hôtellerie doivent étudier la « faisabilité de projets conjoints ». Les économies peuvent être complémentaires ou concurrentes, selon l’angle sous lesquelles elles sont abordées. « L’accord de libre-échange qui n’est pas encore entré en vigueur est une aubaine pour certaines branches d’activité, mais il peut également représenter une menace pour d’autre », explique un analyste.
La présence de produits turcs sur le marché marocain n’est toutefois pas récente. Les Turcs exportent sur le Maroc des articles divers et ont décroché des marchés de TP. Inversement, les Marocains sont peu présents en Turquie. L’entrée en vigueur de l’accord devra constituer le point de départ d’une coopération renforcée.
Mais c’est aussi le volet politique que les responsables gouvernementaux doivent aborder durant ces deux jours. Une rencontre qualifiée « d’importante » est programmée avec le président de la Chambre des représentants. Les députés ne manqueront pas d’évoquer la récente visite d’une délégation marocaine du Parti de la justice et du développement marocain en Turquie pour s’imprégner des méthodes de gestion communales du Parti de la justice et du développement (AKP), dont est issu le Premier ministre Recep Erdogan. L’AKP avait, le 3 novembre 2002, remporté les élections législatives avec 34% des suffrages exprimés et obtenu une confortable majorité. Les deux partis, marocain et turc, portent le même nom, et ont pourtant peu de similitudes. Les environnements des deux pays sont fondamentalement différents. Mostafa Kamal, dit Atatürk (père des Turcs), l’homme qui a jeté les bases de la Turquie moderne, a fait de l’Etat turc un pays laïc en remplaçant la charia par un code civil inspiré du code allemand. Au Maroc, l’islam est religion d’Etat. Autre différence de taille : de nombreux membres du PJD marocain proviennent d’un association, Al Adl Wal Ihssane. L’AKP a, dès le départ, été une représentation politique et possède une véritable représentativité particulièrement pour les couches moyennes. La récente visite en Turquie des PJDistes marocains a été interprétée par certains analystes comme une « préparation » aux futures échéances législatives.
Autre point de différence, la Constitution turque interdit la religion dans la politique et désigne l’armée comme gardienne de cette disposition, garde qu’elle a effectivement exercée « manu militari », comme il convenait : ceci a eu pour effet d’écarter du pouvoir les islamistes fascisants et les démagogues. Au Maroc, la Constitution ne dit rien d’autre « islam religion d’Etat », mais l’usage constitutionnel fait que politique et religion ne se joignent qu’en un point, le Trône, qui est aussi protecteur des autres religions.
Proche de l’Union européenne par sa longue histoire de 23 siècles de liens étroits avec l’Occident, la Turquie, dont 97% du territoire se trouvent en Asie mineure, cherche des ouvertures sur le Sud. Cette puissance, qui n’arrive pas encore à intégrer l’Europe, semble faire peur. En 2020, elle comptera 85 millions d’habitants, contre 82 en Allemagne et 63 en France. Trente ans plus tard, les Turcs seront 98 millions, soit 19 millions de plus que les Allemands et 33 millions de plus que les Français. Grâce à son poids démographique, Ankara aurait droit à plus de sièges que Paris ou Berlin au Parlement européen.
Amale DAOUD - L’Economiste
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