Porte-parole de “la marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos”, Loubna Méliane, 24 ans, dijonnaise d’origine marocaine, se bat pour être traitée comme une fille de la République.
“Mon père m’a élevé en me disant sans cesse : ‘Sois discrète, tu sais, on est en France, il faut prouver que l’on est des gens biens...’ Mais je ne suis pas d’accord. Et puis qu’est ce que je dois prouver, au fait ?”. Loubna Méliane, avec son visage rond et sa voix posée, décoche ses phrases sans hésitation, presque avec violence... Elle s’est affranchie depuis longtemps des leçons paternelles, “parce que nos parents ont passé leur vie à baisser la tête et à quoi ça a servi ? A rien. Ils n’ont jamais pu avoir une vraie place dans la société française”. Et surtout, parce qu’elle pense que le débat est ailleurs. “Le vrai problème, c’est l’absence de mixité sociale, poursuit Loubna. Comment peut-on envisager que les gens sortent de leurs problèmes s’ils sont toujours entre eux. En France, aujourd’hui, les chiens ont de meilleures niches que les pauvres !”. La provocation ne lui déplaît pas, bien au contraire. C’est même généralement comme ça qu’elle communique.
Une habitude prise depuis qu’elle a “appris à dire non”. Un mariage arrangé à 19 ans, suivi d’un divorce douloureux, des souvenirs qu’elle préfère “ne pas trop ressasser”, lui ont permis d’apprendre la leçon. A ses dépens, malheureusement. Une leçon qu’elle compte aujourd’hui transmettre à toutes les filles des cités. Depuis cinq semaines, accompagnée d’une dizaine de militants de la Fédération nationale de la maison des potes, elle sillonne la France pour “libérer la parole” sur la violence et le machisme qui se banalisent dans les banlieues.“La marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos”, Loubna, 24 ans, l’aînée d’une famille de sept enfants, l’a fait aussi pour ses frangines. “Moi, quand j’étais ado, j’avais de la rage dans les yeux. Ma sœur, elle, elle a de la haine. C’est grave ! La situation s’est tellement dégradée dans les banlieues que les filles n’ont souvent pas d’autres choix pour se faire respecter. Elles sont obligées d’être haineuses”.
Loubna, militante dans l’âme, a choisi de “s’imposer comme fille”. Elle s’est engagée dans le mouvement lycéen, s’est ensuite “investie à fond” à SOS-Racisme. “J’ai été éjectée du lycée. On m’a orienté vers un BEP de comptabilité alors que ça ne m’intéressait pas du tout. J’étais malheureuse, l’histoire-géographie et le Français, mes deux matières favorites se résumaient à deux heures par semaine. Alors, j’ai décidé de militer activement. C’était une façon d’assouvir mon besoin de reconnaissance, de dire que je n’étais pas une conne...”. Ni conne, ni soumise. Aujourd’hui, elle se bat “pour ne pas être obligée de baisser les yeux quand (elle) croise des mecs dans la rue.” Pour que les filles et les femmes des quartiers n’acceptent pas la banalisation de la “loi du plus fort” et la logique de l’enfermement des cités. La peur de l’autre, le communautarisme, la misère culturelle...
Tout au long de son tour de France, elle a entendu mille fois les mêmes histoires, de vies cloîtrées, d’agressions permanentes, de traditions pesantes... Au terme de cette marche, elle avoue tout de même se sentir épuisée physiquement et moralement. “Ces témoignages m’ont ramené à une histoire personnelle que j’essaie d’oublier, avec laquelle j’essaie de prendre du recul... ”. Malgré tout, elle croit dur comme fer que s’affranchir de la tutelle du père, du frère, du mari, c’est possible. “On peut affronter les traditions et les coutumes quand elles se figent en interdits et s’érigent en prison, sans pour autant renier ses origines”, aime t-elle répéter.
Pour briser les tabous, Loubna n’hésite donc pas à ouvrir des débats difficiles, comme celui des jeunes filles qui s’adressent au Planning familial pour obtenir de faux certificats de virginité... “Je suis devenue ‘Madame sexualité’ de la Marche” s’amuse t-elle à dire, avant de rajouter en pouffant, “si mon père m’entendait, je crois que ça l’achèverait... ”. Ni ####s, ni soumises... La marche des femmes des quartiers cherche avant tout à bousculer les mentalités. Pour inciter les femmes (et aussi les hommes) des cités populaires à prendre la parole. Pour leur donner aussi l’envie de s’organiser pour refuser le ghetto. “Nous sommes tous des enfants de la République, dit-elle en s’énervant. Nous voulons que nos droits soient respectés. C’est le minimum quand même ! ”
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