"Lille 2004", c’est une occasion inespérée de participer au plus grand événement culturel 2004, nous a déclaré Azzouz Tnifess, le partenaire marocain désigné par les organisateurs. Pour ce critique d’art et professeur à l’Institut de l’ISADAC affecté au Centre international du théâtre méditerranéen, le choix de Marrakech est une occasion d’or pour le Maroc de se mesurer à des villes comme New York ou Shanghaï. Ceci d’autant plus que Marrakech a été programmée à l’arraché grâce à l’intervention d’une association Attacafa, dont il est l’un des membres fondateurs. Pour le moment, nous dit-il, si la participation marocaine est garantie, l’intérêt et le déclic financier de ce côté-ci de la Méditerranée tardent à se déclencher.
Lille, capitale culturelle de l’Europe 2004, pourquoi devrions-nous nous y intéresser ici au Maroc ?
Chaque année, deux villes sont choisies pour être capitales de l’Europe. C’est une idée qui a été initiée par la ministre mythique de la Culture grecque Melina Mercouri et depuis 1985, des villes à tour de rôle en Europe sont choisies pour être capitales de l’Europe. Il s’agit d’une occasion extraordinaire pour une ville de se montrer aux autres villes, aux citoyens européens et même au reste du monde. Ce sont des occasions qui sont généralement données à des villes moyennes pour leur donner une occasion de communication totale pour confirmer ce qu’elles sont ou changer leur image, comme c’est le cas de Lille 2004. Lille était connue pendant la Renaissance comme une ville de commerce après elle est devenue une ville industrielle, minière et Lille cherche aujourd’hui à se façonner une autre image, une autre identité.
Pour répondre à votre question, Lille de par sa situation géographique est coincée entre de très grandes villes européennes : Bruxelles, Paris, Londres, Cologne, Amsterdam. Donc, elle peut aussi avoir une stature de ville internationale. Les responsables de l’événement ont pour cette raison invité au départ des villes comme New York, Shanghaï, Montréal. New York parce que c’est la capitale du monde d’aujourd’hui et Shanghaï, la capitale du monde de demain. En invitant ces grandes villes, Lille se cherche une place dans le monde.
Oui mais le Maroc ?
Dans la première programmation, Marrakech ne figurait pas parmi les villes élues. Parce que dans la grammaire des villes capitales européennes, quand une ville est capitale, elle invite d’autres villes, pas des pays. Des associations ont posé le problème de l’absence d’une ville du Sud dans la programmation. Attacafa, une association très dynamique de Lille dirigée d’ailleurs par un Marocain Bouchaïb Miftah, a fini par proposer Marrakech en janvier 2003. Alors très vite, on m’a contacté pour asseoir et crédibiliser la candidature de Marrakch. J’ai proposé quatre idées en m’inspirant de l’idée générale de Lille 2004 Aujourd’hui, Marrakech est officiellement invitée de Lille 2004 .
Que va-t-il se passer maintenant ?
Je voudrais commencer par dire que la barre est placée très haut. Tous les grands créateurs du monde sont réunis à Lille 2004. Il y a une exposition Rubens. Peter Brook qui fait une création de la danse new-yorkaise. J’ai très rapidement envoyé l’ébauche de quatre idées.
La première a directement été acceptée : le transfert d’une nuit à Jama l’Fna par satellite sur la grande place Charles de Gaulle à Lille. Mais ce que je dois ajouter, c’est qu’à cette occasion il faudra relooker Jamaa l’Fna.
Ensuite, en m’inspirant encore une fois de ce que les autres villes ont réalisé, mais avec beaucoup plus de moyens, c’est une promenade virtuelle dans Marrakech accompagnée de grands textes littéraires écrits sur la ville. Il existe des textes de Colette, de Goytisolo, de Louakira, de Zniber, d’Elias Cannetti. Pour la réalisation, j’ai pensé à un jeune vidéaste très talentueux de Marrakech qui s’appelle Noureddine Temsamani.
La troisième idée concerne l’hommage à Matisse prévu tout au long de Lille 2004. Cet artiste a vécu au Maroc et il a transformé son art suite à son séjour tangérois qui a fondamentalement marqué le style de Matisse. J’ai pensé à la fabrication d’un tissu qui s’appellerait "Matisse au Maroc". Il existe au Maroc une usine de textile très connue qui fait des imprimés et l’idée, c’est de donner ce tissu à des jeunes stylistes de Marrakech pour qu’ils puissent s’y exprimer avec toujours en arrière-plan toute la réflexion sur cette période très importante dans l’histoire de la peinture au XXèmesiècle.
La quatrième idée, c’est d’inscrire Marrakech dans la thématique "Lille art de vivre". Dans cet esprit-là, j’ai proposé "Art de vivre dans les jardins marocains". Marrakech est justement très connue pour cet art de vivre, à travers le concept de "Nzaha" et on va tenter de traduire toute la poésie de la Nzaha à Lille pour que les visiteurs puissent vivre une journée dans les jardins du Maroc.
Toutes ces idées ont été acceptées, maintenant il faut des moyens. Il faut savoir que près de 30 millions de visiteurs sont attendus.
Est-ce que vous les avez déjà, ces moyens ?
A part les 80.000 euros pris en charge par Lille 2004, nous n’avons pour l’instant obtenu aucune aide concrète. Ce que je voudrais dire, c’est que 60% de nos concitoyens vivant à l’étranger sont à deux heures de Lille, une ville où, je tiens à le rappeler, les derniers mineurs ont été des Marocains. A cet effet d’ailleurs, je rappellerai que les organisateurs ont tenu à laisser une trace de cet événement, un peu comme à Séville. Le concept s’appelle "Maison folies" et consiste à récupérer toutes les friches, industrielles abandonnées en leur donnant une autre mission.
Pour avoir passé près de dix ans dans cette région comme étudiant et enseignant, j’ai pensé qu’il serait intéressant de laisser un lieu à la mémoire de la dernière génération des mineurs du Nord qui sont pratiquement tous des Marocains du Sud. Il serait formidable de créer un lieu pour que ce passage des Marocains dans le Nord ne s’efface pas.
Libération
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