Les officiers marocains de l’état civil sont à présent dans l’obligation d’accepter temporairement les prénoms déclarés, y compris ceux en contradiction avec la loi, contrairement aux pratiques antérieures, selon un décret qui vient d’être publié.
Azrou. En berbère amazighe, veut dire rocher ou roc. Il domine en effet la petite ville au cœur du Moyen Atlas, il la surplombe et fait face à deux grandes montagnes qui enclavent la cité, la mettant en creux, la couvrant de centaines de milliers de cèdres et de pins dont l’étendue n’en finit jamais.
A quelque dix-sept ou dix-huit mille mètres carrés d’altitude, fouettée par les vents glacés, couverte aussi d’un blanc manteau de neige des semaines durant, Azrou surgit quasiment par inadvertance selon que l’on y arrive par la route de Meknès via El Hajeb - la seule voie vers le Sud et le Tafilalet - ou par celle d’Ifrane, enrobée dans un paysage digne du Colorado ou de Norvège.
C’est là, dans ce bocal écologique que la France a choisi un jour de 1927 d’implanter un Collège. A nul autre pareil, il devait accueillir et former la population locale, « indigène » disait-on. Un « collège berbère » parce qu’il s’inscrivait dans une démarche à caractère politico-pédagogique.
L’histoire de ce collège, le symbole qu’il a incarné, la mythologie qui s’est créée autour de lui et qui continue à inspirer bien des commentaires à son sujet, les craintes qu’il n’avait cessé de susciter, ses soubassements culturels, les jeunes qui l’avaient fréquenté, c’est Mohamed Benhlal qui a pris le grand pari de les raconter ! Dans un livre remarquable, le seul d’ailleurs qui existe sous forme de témoignage, intitulé « Le Collège d’Azrou », sous-titré « formation d’une élite berbère civile et militaire au Maroc », il retrace la longue histoire controversée de ce collège apparenté à une institution, perçu par les uns comme le parangon du colonialisme et loué par les autres, ils sont légion, comme la pépinière de la pédagogie et du savoir.
Mohamed Benhlal, docteur en Sociologie, est chercheur à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence. Rédacteur en chef de la sérieuse revue Annuaire de l’Afrique du Nord, il a été conduit de ce fait à s’intéresser de près aux pays du Maghreb, et surtout à défricher certains territoires de la connaissance jusque-là inaccessibles. Et parmi eux, celui de ce sanctuaire que fut le Collège d’Azrou qui est devenu le terrain de prédilection de ses recherches pendant des années.
Avec le résultat que la thèse contenant des milliers de pages, soutenue avec conviction, a été réduite à quelque 400 pages sans toutefois perdre de sa profondeur ni de sa saveur. Quand bien même, on exprimerait quelque frustration à l’idée que des centaines d’autres pages ont été élagués, on rendra à Mohamed Benhlal justice d’avoir maintenu intacte une histoire à laquelle se sont apparentées des générations entières, issues de ce collège dont l’auteur de ces lignes.
Il convient de souligner qu’il s’agit d’un travail de grande érudition, axé sur la recherche documentaire, les entretiens avec les centaines d’anciens élèves du collège devenu après l’indépendance en 1956 l’un des plus grands pour ne pas dire le plus grand lycée du Maroc, les centaines de témoignages d’enseignants et puis, méthodologie exige, une confrontation rigoureuse des sources où l’historien, inspiré de l’histoire quantitative propre à l’Ecole des Annales de Lucien Febvre et Fernand Braudel, se trouve colleté à Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
Le travail de Mohamed Benhlal s’est articulé essentiellement sur le thème de la formation de ce qu’il appelle « une élite berbère civile et militaire », conçue sans doute comme le fer de lance d’une vision culturelle que l’administration coloniale tentait de mettre en place. Cette « élite » n’en était pas moins pauvre, parce qu’issue pour la plupart de la campagne, la bourgade d’Azrou étant noyée alors dans un champ de bois et de forêts. Que les administrateurs coloniaux aient conçu leur projet au fief de l’amazighité n’était certainement pas le fait du hasard, mais ne préjugeait à la création d’une élite au sens où Bourdieu ou Christian Baudelot le pensaient.
Cette élite, après avoir acquis la formation nécessaire, jouait le rôle de janissaire de l’ordre culturel régnant, inspiré d’un autre modèle qui prévalait en France, à Uriage notamment où, dans le célèbre château qui servait de collège dirigé alors par le capitaine Pierre Dominique Dunoyer de Segonzac, on formait « l’élite » nationale. A Azrou, où le Collège avait précédé l’Ecole d’Uriage, on obéissait aux mêmes critères : faire du lieu de la formation, un laboratoire idéologique de la culture française. Ingénieurs, médecins, officiers de haut rang avaient été pris en charge dans ce collège, ils s’étaient investis dans cette optique, à leur décharge, mais contribuaient à entretenir « la foi et le mythe » pendant des années, et même au-delà de l’indépendance.
Il reste que beaucoup d’entre eux, formés et armés du savoir de la république française, se sont orientés vers le nationalisme : Moulay Ahmed Zemmouri, signataire du Manifeste de l’Indépendance, Ballouk, Belhoucine, Azouggagh et autres figures emblématiques avaient noyauté « l’élite » en question et, la décolonisation en marche, ils avaient manifestement pris part au combat de libération.
Carrefour scolaire et culturel, œil du cyclone aussi après la tentative de coup d’Etat avorté de juillet 1971 ayant impliqué quelques généraux félons issus du Collège, celui-ci était la pépinière où affluaient les élèves, non seulement de l’immédiate région d’Azrou, mais de Khénifra, de Midelt, d’Itzer, de Fès même.
Mohamed Benhlal a eu le mérite de retracer le parcours de beaucoup d’entre eux. Les proviseurs qui s’étaient relayés, de Germain jusqu’à Serre, y ont laissé leur empreinte, jusque même ceux d’origine algérienne comme Al Ghoul ou...Rahal qui, curieux paradoxe, après avoir rejoint l’Algérie était devenu l’ambassadeur algérien le plus antimarocain à l’ONU...Un grand livre, une extraordinaire rétrospective, un droit de mémoire, Mohamed Benhlal nous réconcilie avec une grande partie de notre histoire et sans sacrifier au sensationnel, il nous restitue un patrimoine historique.
"Le collège d’Azrou" de Mohamed Benhlal, Ed Karthala, 416 pages
Hassan Alaoui - Le Matin
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