L’hebdomadaire français Marianne (numéro 1407) a été interdit de distribution au Maroc, en raison d’un dessin caricatural jugé offensant pour le prophète Mohammad.
Dans un contexte international où, plus que jamais, le monde arabe passe pour un synonyme de despotisme, d’obscurantisme religieux et de tentations violentes...
le Maroc s’est rendu aux urnes en administrant la preuve d’une exception : tout y a été fait, par le roi Mohammed VI, les pouvoirs publics et la société civile, pour un vote libre, événement rarissime en terre arabe sauf, il faut le rappeler dans les circonstances actuelles, lors des premières élections en Palestine, en janvier 1996, jugées " régulières et équitables " par les observateurs internationaux.
Au Maroc, " royaume exemplaire " cher au maréchal Lyautey, l’élection législative du 27 septembre pourrait réconcilier la monarchie chérifienne avec la démocratie.
Un demi-siècle après l’accession à l’indépendance de l’ancien protectorat, le "pays le plus occidental" du monde arabe a la chance de renouveler le pacte entre ses habitants et le trône : en 1953, après la déposition et l’exil forcé du futur roi Mohammed V, le mouvement national avait fait cause commune avec le sultan. Ce fut " la révolution du roi et du peuple ". Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas moindre : après avoir réussi sa première élection régulière, tenue à l’échéance prévue et dans des conditions incontestables, le Maroc pourrait transformer l’essai en fondant son développement sur la participation du plus grand nombre, alliant modernité et tradition, changeant ses "sujets" en citoyens.
Le chemin s’annonce long et incertain. Car, après quarante ans de fraude électorale, de "partis de l’administration" créés de toutes pièces par le palais et de scores attribués à l’opposition "de" - et non pas "à" - Sa Majesté, les habitudes ont la vie dure au royaume. Loin d’être le lointain sanctuaire du pouvoir, le makhzen - le réseau relationnel et patrimonial du trône alaouite - est ancré dans l’esprit de tous les Marocains. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler un fait, éclipsé par l’actualité heureuse de ces derniers jours : depuis son indépendance, en 1956, le royaume n’a organisé que cinq scrutins législatifs, et seul celui de 2002 a eu lieu à l’expiration du mandat conféré par la consultation précédente. Lorsqu’il s’est émancipé du colonialisme français et espagnol, le pays s’est doté d’un simple conseil consultatif, nommé par le roi et présidé par... Mehdi Ben Barka. Ensuite, l’état d’exception est devenu la règle, en raison d’une lutte sans merci entre le monarque et la gauche révolutionnaire, puis de la " cause sacrée " du Sahara, les " provinces du Sud " qu’il fallait à tout prix récupérer.
En l’absence d’élections, la médiocrité des partis marocains, leur dépendance à l’égard du pouvoir royal, leur manque de démocratie interne et la "gérontocratie" que constituent leurs directions ne devraient guère étonner au royaume de l’arbitraire. Pas plus que l’incrédulité d’une population pour qui le "jeu" politique est, avant tout, affaire de cooptation et de vénalité. C’est dire combien il sera difficile, et essentiel, de passer d’une mauvaise à la bonne exception.
Le Monde
Ces articles devraient vous intéresser :