Islam et islamisme....

16 janvier 2003 - 14h08 - Maroc - Ecrit par :

Depuis les attentats du 11 septembre, l’Islam fait face à de violentes attaques dans les médias occidentaux. Dans cet article, Saïd Raissi, étudiant en relations internationales, nous rappelle avec force qu’il ne faut pas confondre Islam et islamisme.

Lors d’une émission diffusée sur une chaîne française un intervenant expliquait que « le Vietnam est une destination touristique d’autant plus attrayante qu’il n’y a pas d’Islam dans ce pays », l’interviewer l’interrompit essayant de le corriger : « vous voulez dire qu’il n’y a pas d’Islamisme intégriste ».

La personne rétorquait « qu’il n’y a effectivement pas d’islamisme intégriste mais qu’en plus il n’y a pas d’Islam » (1) , comme si l’Islam était une maladie grave et l’Islamisme intégriste sa forme la plus virulente . Une telle attitude , bien que condamnable peut être compréhensible provenant d’individus dont la connaissance en matière d’histoire des civilisations semble largement limitée , mais le sujet devient inquiétant lorsque l’amalgame Islam-islamisme se fait ressentir jusque dans les milieux intellectuels.

En 1997, désirant évoquer le nombre de musulmans en France , Jean-Louis Debré alors président du groupe RPR à l’Assemblée nationale française , nous apprenait que les « islamistes » représentaient en France « quatre millions de personnes » (2). Ce qui fait beaucoup pour une mouvance qui sous-tend une idéologie de combat. Aussi innocentes soit-elles , de telles déclarations peuvent accentuer la confusion dans l’esprit des gens . A la veille des attentats du 11 Septembre 2001 , l’équation Islam est égale à islamisme est égale à terrorisme s’est consolidée. Qui ne se souvient pas des meurtres commis au lendemain des attentats ?Les victimes ayant eu le tort d’être (ou de ressembler à) des musulmans.

Or les propos de pseudo-intellectuels risquent d’envenimer l’ ambiance . Le ton peut aller de la critique la moins tendre de l’Islam chez Alexandre del Valle (3) à l’Islamophobie la plus avouée chez Ibn Warraq et Guy Hennebelle pour qui « L’islam en tant que tel n’est pas une religion modérée : il suffit de lire le Coran, truffé de menaces et d’imprécations en tout genre pour s’en convaincre ! (...) Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi la totalité du milliard de musulmans croupit sous des régimes plus despotiques les uns que les autres ? Pourquoi l’islam ne parvient pas à s’arracher, malgré le pétrole et le reste, au sous-développement ». (4)

Exacerbé par de telles allégations Alain Grech , nous invite à la réflexion à partir de l’énoncé suivant : « Le chef de la femme, c’est l’homme (...). Si la femme ne porte pas le voile, qu’elle se fasse tondre. (...) L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image de la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. (...) Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance.’’ » .

L’auteur nous apprend que cette injonction faite aux femmes de porter le voile et de se soumettre à l’homme ne se trouve pas dans le Coran mais qu’elle a été énoncé par l’apôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens. Peut-on à partir de là juger que le monde chrétien est machiste et obscurantiste ? (5)

D’autres auteurs nous renseignent sur ce qu’est réellement l’islamisme. Abdessamad Dialmy dans un article intitulé « L’islamisme marocain : entre révolution et intégration » nous apprend que : « Par islamisme, nous entendons tout mouvement social basé sur l’exploitation de l’islam à des fins politiques et qui, plus précisément, tente d’exercer le pouvoir au nom de la religion seule », Les islamistes luttent donc essentiellement pour le pouvoir, l’auteur ajoute de plus que « l’islamiste n’a pas en général une connaissance théologique ou juridique (fiqhique) profonde, ce qui le conduit à exiger de soi et des autres une pratique religieuse rigoureuse fondée sur le respect de la lettre des textes fondateurs.

Ijtihad (effort novateur) et ta’wil (interprétation) lui sont étrangers. L’islamiste est intégriste dans le sens où il est également obsédé par des règles dont il ignore l’origine mais dont il est convaincu qu’elles sont islamiques comme le voile féminin ou la ségrégation des sexes ». (6)

Olivier Roy l’un des meilleur spécialiste de L’Islam ajoute un cran à l’analyse en distinguant l’islamisme politique du néo-fondamentalisme. Selon lui le néo-fondamentalisme est une réponse à la déculturation en milieu migrant (par exemple la communauté immigrée maghrébine en France) . Le néo-fondamentalisme serait ainsi une réponse identitaire à la mondialisation (7) .

Zacarias Moussaoui accusé d’avoir un lien direct avec les attentats du 11 septembre correspondrait ainsi au profil du néo-fondamentaliste .

Pour conclure il serait judicieux de rappeler ce que nous apprend une étude rapportée par le journal israélien Haaretz , qui stipule que contrairement a ce que l’on pourrait penser , les kamikazes palestiniens ne correspondent pas exclusivement au stéréotype de l’islamiste intégriste. Il peut s’agir de personnes enrôlées dans des milieux laïcs , simplement animées par l’esprit de vengeance.

La religion est trop souvent montrée du doigt alors que les causes profondes de la violence sont en réalité moins simplistes, il peut s’agir par exemple de l’exclusion sociale , de la pauvreté …

Rappelons enfin ce que l’histoire nous enseigne. Le terrorisme ignore autant l’espace que le temps il est un mal aux multiples facettes ,il n’a ni nationalité ,ni patrie, ni religion et s’il emprunte parfois le visage basque , parfois l’allure sectaire Aum ou encore l’habit tchétchène ou algérien, c’est pour mieux nous déconcerter, diviser pour mieux régner.

Sources :

(1) Canal plus « L’année du zapping » , Le 3 janvier 2003

(2) l’Humanité , « Islam et islamisme : Debré fait l’amalgame », 29 septembre1997.

(3) Lire notamment le journal Le Figaro : Alexandre del Valle , Les fondements théologiques et canoniques du terrorisme islamiste , 25 Septembre 2001.

(4) « Pour un ‘Vatican II de L’Islam’ », 1er Octobre 2001, Le Figaro Cité par Alain Gresh dans le monde diplomatique , novembre 2001 p.32

(5) Alain Gresh , le monde diplomatique , novembre 2001 p 32.

(6) Abdessamad Dialmy , « L’islamisme marocain : entre révolution et intégration », Archives de sciences sociales des religions, 45e année, no 110, avril-juin 2000

(7) Olivier Roy , « Le néo-fondamentalisme islamique ou l’imaginaire de l’oummah » Revue Esprit Avril 1996 , pp 80 à 107.

A lire :
Revue Manière de voir n°64. Islam contre Islam , On y trouvera un article de Mohamed Tozy « Qui sont les islamistes au Maroc ».

Olivier Roy , Les illusions du 11 septembre, Seuil , juillet 2002, 88 pages.

Olivier Roy , L’Islam mondialisé, Seuil , 2002 , 219 pages.

Gilles Kepel , Jihad , expension et declin de l’islamisme , Paris , Gallimard , 2000.

Roland Jacquard , Fatwa contre l’occident , Paris Albin michel ,1995.

Alexandre del Valle, Islamisme et Etats-Unis , une alliance contre l’Europe, Edition L’Age d’Homme , 1998 .

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