Interview à la presse égyptienne

31 décembre 2008 - 16h54 - 1997 - Ecrit par : L.A

"Louanges à Dieu,

Que la prière et la bénédiction soient sur le Prophète, Ses proches et Ses compagnons.

Il Nous est particulièrement agréable, après une longue absence, de rencontrer une nouvelle fois, vous qui éclairez l’opinion publique, non seulement égyptienne, mais également internationale, pour nous entretenir, échanger nos analyses et évoquer, en toute franchise et sagesse, les sujets qui suscitent notre intérêt ainsi que celui de l’ensemble des pays arabes et islamiques ; voire du monde entier. Je vous souhaite une nouvelle fois la bienvenue et vous cède la parole pour poser vos questions.

Je vous remercie, Majesté, de nous avoir offert cette opportunité. Nous avons tant souhaité cette rencontre et nous vous en remercions vivement. Nous avons accueilli la nouvelle de la création de l’Union du Maghreb Arabe avec beaucoup d’optimisme. L’Egypte a demandé a y adhérer, mais il est clair à présent que l’Union connaît un gel au niveau de ses activités. Quel est donc le sort de cette union à la lumière de la situation en Algérie et en Libye ?

Soyons francs à cet égard : lorsque J’ai été amené à choisir entre le gel de l’Union du Maghreb Arabe et la naissance d’une union handicapée, J’ai opté pour la première alternative sachant que le gel n’affecte guère l’ensemble et les capacités de l’Union. Plutôt que d’agir dans un climat d’équivoque et de confusion jusqu’à ce que notre œuvre soit affectée d’un handicap et ne pouvant donc pas répondre à nos attentes, à nos vœux et à nos aspirations, J’ai préféré, pour ce qui est du Maroc, le gel des activités de l’Union du Maghreb Arabe.

Concernant la Libye, nous n’avons absolument aucun problème avec ce pays. Nos relations avec la Libye sont bonnes, grâces en soient rendues à Dieu. Nos rapports avec l’Algérie connaissent, par contre, une tiédeur. Je souhaite du fond du cœur que les causes de cette situation s’estomperont afin que ses effets cessent également d’exister.

Cela est tributaire, Je ne dirai pas de la volonté des deux peuples qui n’attendent l’un et l’autre que de se donner l’accolade, mais d’une nouvelle vision de la réalité sur le terrain, une réalité irréversible, à savoir celle de la question du Sahara marocain. Comme vous le savez et afin que Je ne revienne pas une nouvelle fois sur ce sujet, avant d’entreprendre aucune action, nous avions consulté la Cour internationale de justice par le biais de l’Organisation des Nations Unies. La Cour avait alors déclaré l’existence de relations historiques très anciennes et de liens d’allégeance entre les habitants du Sahara et les Souverains du Maroc. Sur la base de cet avis consultatif, nous avons entrepris une marche pacifique brandissant, pour seules armes, le Livre de Dieu et le drapeau marocain. Nous sommes entrés au Sahara pour renouer avec nos frères.

L’Organisation de l’Unité Africaine, dont nous étions membre à l’époque, nous avait ensuite demandé d’offrir l’opportunité aux Sahraouis de confirmer leur marocanité par le biais d’un référendum. Nous avons alors acquiescé et avons accepté que le référendum porte sur deux questions : —Voulez-vous intégrer le Maroc, c’est-à-dire revenir à la situation qui était précédemment la vôtre ? Ou optez-vous pour la sécession ?

Au moment où nous étions en phase de préparation de ce référendum, l’Organisation de l’Unité Africaine a reconnu cette entité appelée « république sahraouie », défiant ainsi et passant outre les résultats mêmes du référendum. Elle a, de ce fait, reconnu quelque chose qui relève du néant et qui n’a aucune existence ni aux plans diplomatique et politique, ni au plan international. Nous avons ainsi quitté, avec grande amertume et profond regret, l’Organisation de l’Unité Africaine, sachant que jusqu’à présent, nos relations avec les pays africains sont très bonnes et sont même de plus en plus étroites qu’elles ne l’étaient avant ce retrait. Nous avons, depuis lors, œuvré sans relâche en faveur de la paix.

L’Organisation des Nations Unies et le Conseil de sécurité ont convenu à cet égard d’un plan de paix. Mais des obstacles artificiels ont entravé jusqu’à présent le cheminement de ce processus de paix auquel nous demeurons attachés partant de notre volonté de voir notre souveraineté sur le Sahara se fonder non seulement sur l’histoire, mais également sur une reconnaissance internationale qui ne peut faire l’objet du moindre doute ou d’une quelconque contestation, afin que nous puissions vivre, nous et nos voisins dans la région, dans la quiétude et la sérénité.

Tels sont aujourd’hui notre espoir et notre aspiration et nous sommes convaincu que de l’autre côté, la raison et la sagesse prévaleront. La région ne peut, en tout état de cause, rester en suspens comme elle l’est aujourd’hui. Que nous suffisent les problèmes et les événements que connaît le monde. Nous ne désirons pas rajouter au monde un souci de plus.

Je suis avant tout, comme Je vous l’ai dit, un homme optimiste. La politique, telle l’entreprise, requiert un optimisme constant. Nul entrepreneur pessimiste ne peut en effet réussir et nul homme politique, homme d’Etat ou chef d’Etat pessimiste ne saurait rencontrer le succès. Nous sommes optimistes et nous souhaitons que soient rétablies la quiétude et la sagesse dans cette région.

Quelle appréciation faites-vous, Majesté, de la situation actuelle au Proche-Orient, à la lumière de la politique poursuivie par Netanyahu qui consiste en la construction de la colonie de J’bel Abou Ghnaym et en une remise en cause de la formule convenue à Madrid et des accords d’Oslo ?

Si l’on veut faire une comparaison, l’on peut dire que les Arabes se trouvent aujourd’hui en face de cette image : Israël se comporte à l’égard de la question palestinienne comme si elle était une noix de coco sur laquelle il a percé un trou et en tiré le noyau : il construit des colonies et des routes séparant les villes palestiniennes des autres cités et en dénature l’identité

Lorsque la noix est complètement vidée de sa substance, Israël en restitue l’écorce et nous rend la noix en disant : tenez, voici votre Palestine. Il s’agit là d’une démarche inacceptable, car nous allons nous trouver dans une situation où l’on se jouerait de la communauté internationale. Il est notoirement établi, en second lieu, que les conventions internationales doivent être respectées non seulement dans la lettre, mais aussi dans l’es prit. Cela constituerait un danger pour la région et pour Israël tout particulièrement, car Israël peut tout modifier sauf la géographie qui est immuable. Il doit, donc, regarder plus loin afin d’épargner à la région, premièrement de vivre dans l’expectative, deuxièmement de s’engager dans une étape d’armement, et troisièmement, d’y voir s’instaurer, qu’à Dieu ne plaise, un climat de terrorisme. Israël ferait mieux, donc, d’adopter une démarche pédagogique : que l’on coopère ensemble pour apprendre aux générations montantes à cohabiter et pour leur inculquer les principes de la coexistence. Il n’est pas raisonnable après la chute du mur de Berlin, qu’Israël estime pouvoir protéger son entité et son Etat en construisant un mur. La meilleure protection : ce sont les intérêts communs, c’est de penser à l’avenir et d’avoir du respect pour l’autre.

Ces agissements constituent malheureusement une violation de l’accord conclu et une atteinte aux valeurs sacrées et à la dignité, et les Arabes sont réputés pour être de fer vents défenseurs de leurs valeurs sacrées et de leur dignité. Si l’on ajoute à cela cette autre donnée, à savoir les Lieux sacrés d’Al-Qods, on en déduit qu’aucun Arabe, aucun Musulman, et Je dirais même aucun Chrétien, ne peut accepter la situation actuelle d’Al-Qods, ni admettre les plans prévus par Israël dans cette Ville Sainte.

Question sur Al-Qods et la détermination de Benjamin Netanyahu de poursuivre la construction d’une colonie de peuplement dans cette Ville Sainte.

Je pense que nous sommes arrivés à une impasse qui, Je l’espère, ne sera pas durable, il se trouve que pour des considérations de prestige, aucune des parties ne veut faire de concession, sachant qu’il serait plus facile pour Israël de faire une concession qu’il ne l’est pour les Palestiniens. En effet, si les Palestiniens reculent sur cette question, ils perdront beau coup, or il n’est pas dans l’intérêt d’Israël de faire perdre à son partenaire sa crédibilité et son poids, à l’intérieur comme à l’extérieur. Il faut donc trouver une solution qui transcende l’égoïsme politique.

Permettez-moi, Majesté, de dire que les relations maroco-égyptiennes sont aujourd’hui dans une excellente phase. Nous avons pu nous en rendre compte au cours de la réunion de la Haute commission mixte maroco-égyptienne. Cela signifie que la solidarité arabe, tant au niveau politique qu’économique est possible et à portée de main. Comment concevez-Vous, Majesté, la solidarité arabe aux niveaux politique et économique, à travers les relations égypto-marocaines qui peuvent, à juste titre, servir de noyau pour instaurer cette solidarité ?

La solidarité revêt plusieurs significations, et Je pense que la période que nous vivons aujourd’hui et que vit le monde sur le plan économique, favorise la solidarité tout comme elle rend difficile son lancement pour diverses raisons dont Je citerais quelques unes :

Dans les écoles de stratégie militaire, on a toujours enseigné et on enseigne encore, que le chef militaire qui veut gagner une bataille, doit choisir lui-même le moment et le lieu (de la confrontation). Si l’on compare la bataille économique à une bataille ordinaire, on remarquera que les pays en développement ne sont en mesure de choisir ni le moment ni le lieu.

Le temps nous est imposé, car l’an 2010 verra l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange. Nous ne sommes pas non plus en mesure de maîtriser la donne spatiale compte-tenu de la mondialisation. On peut donc se demander s’il est possible d’utiliser la notion de solidarité économique entre deux ou plusieurs pays, et s’il nous est possible de créer un climat économique, commercial et financier favorable, dans un monde où nous n’avons la possibilité de choisir ni le temps ni le lieu. Cela est bien évidemment possible, mais nous devons agir très rapidement, car l’an 2010 est très proche. Nous devons donc créer entre les Etats arabes, au plan bilatéral ou dans le cadre de relations triangulaires, des zones de libre-échange et de coopération économique. J’ai toujours dit que la solidarité arabe sera efficiente, palpable et fondée sur des bases solides si elle met de côté la solidarité politique creuse, pour donner corps à une solidarité d’intérêts qui lient des peuples, quelles que soient les distances qui les séparent.

Si un Etat se lie étroite ment à un autre, et si un troisième se lie à un quatrième et ainsi de suite..., nous nous trouverons avec des groupements économiques - Je ne dis pas poli tiques ou militaires - mais des groupements économiques auxquels il appartient de jeter des ponts les uns avec les autres. Ainsi, nous aurons mis en place, en fin de compte, un ensemble interdépendant à l’image d’un système dont tous les éléments se meuvent et évoluent harmonieusement.

Nul doute que les actions que nous avons entreprises avec la République Arabe d’Egypte sœur, au cours de ces dernières jour nées, et que les accords que nous avons signés hier constituent un pont très important entre l’Egypte et le Maroc, un pont que nous nous devons d’entretenir. Nous avons décidé, son excellence le Président et Moi-même, de veiller sur le bon fonctionnement de ce pont en nous réunissant tous les six mois, alternativement, au Maroc et en Egypte, Ma seconde patrie, pour le renforcer en enrichissant et en donnant un sang nouveau à notre coopération, chaque fois que la nécessité s’en fait sentir.

Si nous bâtissons de tels liens avec l’Egypte de la même manière que l’Egypte et le Maroc le feront avec la Tunisie et la Libye et si l’Egypte et le Maroc instaurent de telles relations avec l’Arabie Saoudite et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les pays arabes aient de tels liens entre eux, nous aurons tissé un réseau tel que les intérêts des uns et des autres en seraient dépendants. La politique elle-même obéirait alors à la logique de ce tissu économique. Mon souhait, donc, est que les Etats arabes s’empressent d’entreprendre une telle œuvre, bien que sa réalisation pourrait se révéler difficile en ce sens que nous devons harmoniser nos législations et nos réglementations. Nous devons veiller à ce que les administrations de nos pays agissent avec célérité, qu’elles soient performantes et dynamiques. Elles ne doivent pas constituer un fardeau les unes pour les autres. Il s’agit là en fait de dispositions à convenir entre responsables. L’essentiel est l’élément humain qui est le premier capital et la matière première la plus précieuse. L’élément humain en Egypte, au Maroc et dans l’ensemble des pays arabes est résolument engagé pour entreprendre et édifier. C’est bien là le secret de ce que nous avons réalisé, le secret des œuvres autrement plus importantes auxquelles nous par viendrons avec l’aide de Dieu.

Majesté, Vous êtes l’un des rares leaders qui a une vision prospective globale et qui porte un grand intérêt à la culture et à la pensée. Vous êtes également l’un des grands penseurs dans le monde arabe. C’est l’idée que nous avons de Vous en Egypte. Pourquoi les liens culturels entre l’Egypte et le Maroc ne sont pas au niveau des relations qui existent entre les deux pays ? Nous cherchons en vain au Maroc le livre et les journaux égyptiens, même la chaîne satellitaire égyptienne n’est pas suivie au Maroc. En même temps, le livre marocain est inexistant au Caire, alors que les penseurs ont une grande notoriété auprès des intellectuels égyptiens. Nous voulons savoir, également, pour quoi les visites de Votre Majesté au Caire sont rares alors que Vous savez la place que Vous occupez dans le cœur des Egyptiens ? Enfin comment voyez-vous Majesté l’avenir du monde sous le nouvel ordre mondial, l’avenir des Arabes et le nouvel ordre arabe ? Merci Majesté.

En ce qui concerne mes visites en Egypte, J’accepte le reproche, car comme a dit le poète : « L’amitié existe tant que l’on se fait des reproches ». Mais avant de me faire ces reproches, Je vous annonce que Je serais chez vous au mois de Chaâbane prochain s’il plaît à Dieu.

En ce qui concerne l’absence du livre égyptien au Maroc, Je ne le pense pas. Le livre égyptien est beau coup plus présent au Maroc que le livre marocain en Egypte.

La question du choix des chaînes de télévision dépend de l’appréciation de chaque individu, puisque chacun est libre de choisir la chaîne marocaine ou égyptienne. Quant à moi personnellement, Je suis parmi les téléspectateurs fidèles de votre chaîne et Je saisis cette occasion pour lui rendre hommage et la féliciter pour les pro grammes qu’elle présente particulièrement au cours du mois de Ramadan.

Je crois que cette lacune au niveau culturel a été comblée par la signature hier de l’accord culturel entre l’Egypte et le Maroc.

Il ne nous reste plus, dès lors que le cadre existe, qu’à nous mettre à l’œuvre en créant aussi bien au Maroc qu’en Egypte, des sociétés de distribution et de commercialisation de nos produits culturels.

Cette action est d’autant plus nécessaire que la culture arabe est devenue victime de l’Internet et le deviendra encore davantage à l’avenir. Internet utilise une ou deux langues, mais pas l’arabe, et Je crains que la langue arabe ne sera plus utilisée couramment dans les années à venir ni dans nos correspondances, ni dans nos analyses ni dans d’autres domaines. La question de la langue arabe est entre nos mains et il nous appartient de la préserver depuis les premières années de l’école, en dispensant un enseignement primaire très correct. Quant à considérer que l’élève apprendra les règles de la langue arabe à la fin de l’enseignement secondaire ou au début de l’enseignement supérieur, cela relève du rêve.

L’élève à la fin de l’enseignement secondaire ou l’étudiant au début du supérieur, ne s’intéresse qu’à sa spécialité pour trouver un débouché dans le monde de l’emploi. De nos jours, le désir de chacun est de trou ver sa place dans le domaine de l’emploi, qu’il s’agisse d’un emploi manuel, intellectuel ou technique. Nous devons donc apprendre les préceptes de notre religion et les règles de base de notre langue arabe à l’école primaire, et au cours des premières années du secondaire, afin que nous puissions maîtriser la langue arabe avec ses règles, sa grammaire et sa conjugaison, pour pouvoir profiter de la beauté de ses œuvres littéraires et comprendre sa poésie. Cela n’est possible que si l’on se met à apprendre la langue arabe dès notre jeune âge, car comme le dit l’adage : « l’enseignement dispensé à un jeune âge équivaut à de sculptures sur pierres, alors que l’apprentissage des personnes âgées, ressemble à des coups sur un tambour ». Il est donc nécessaire d’apprendre la langue arabe à nos enfants dès leur jeune âge, et de les laisser apprendre autre chose lorsqu’ils auront intégré la vie active, pour fonder un foyer et pour rendre heureuse leur famille comme l’ont fait leurs aïeuls.

Majesté. comment voyez-vous l’évolution vers une solution des problèmes nés de la guerre du Golfe, le problème de la Libye, le problème du terrorisme, les différents inter-islamiques en ce qui concerne l’Iran et la Turquie et les développements actuels dans la région ? Quel serait, à votre avis, Majesté, le moyen de parvenir à une solution de ces problèmes pour que le monde arabe et islamique s’emploie à la réalisation de la complémentarité économique que Vous avez évoqué, puis à une complémentarité politique ?

Je voudrais d’abord dire que, si dans la littérature arabe on se distrait agréablement en écoutant les contes et histoires des pique-assiettes, Je n’aime pas, pour ma part, l’intrusion en matière politique. Donc toute analyse concernant l’Iran et la Turquie, les implications de la question des Kurdes et autre serait, en fait, une intrusion de ma part. Je dirais tout simple ment que l’Iran et la Turquie doivent se rappeler qu’ils sont membres de l’Organisation de la Conférence Islamique et lorsque nous nous réunissons au sein de cette instance, nous constatons que la Turquie et l’Iran sont là, côte-à-côte, unis autour du serment : « Il n ’y a de Dieu que Dieu, et Mohammed - sur Lui prière et bénédiction - est Son messager », unis pour la défense de l’Islam et de ses valeurs sans négligence ni extrémisme.

Quant à la question de la guerre du Golfe, sincère ment, Je ne trouve pas dans la langue arabe classique le mot qui pourrait traduire l’ampleur du malheur qui s’est abattu sur le monde arabe et qui le paralyse jus qu’à présent. Nous pouvons dire que le monde arabe a été touché depuis cette date, par des radiations nucléaires et continue à en souffrir à des degrés divers. Mais les radiations disparaissent et les blessures demeurent. Le meilleur remède à cette catastrophe et à ces blessures est, à mon avis, de feindre l’oubli en attendant d’oublier. L’oubli vient, en effet, indépendamment de notre volonté, contraire ment au fait de feindre l’oubli qui signifie dans ce cas précis, un désir ardent et une ferme volonté d’aider la Nation arabe à dépasser cette étape pour entamer une autre étape. Nous devons donc faire semblant d’oublier, car comme a dit le poète « Le seigneur dans une communauté est celui qui fait preuve d’indulgence », Je dis pour ma part, que le seigneur dans une communauté est celui qui feint d’oublier. Nous devons donc opter pour ce comportement comme action thérapeutique. Une telle démarche est beau coup plus aisée que celle qui consiste à effacer cette question de notre mémoire.

Nous savons tous que le Maroc a été parmi les pays fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine. Malheureusement, le Maroc ne siège pas, par sa propre volonté, au sein de cette Organisation Nous savons également que le Royaume entretient des relations bilatérales solides avec la majorité des pays africains. Quand le Maroc réintégrera-t-il l’Organisation de l’Unité Africaine pour lui apporter un soutien et lui donner une dimension dont elle a grandement besoin ?

Le Maroc réintégrera l’Organisation de l’Unité Africaine lorsque cette Organisation aura renoncé à l’hérésie juridique qu’elle a commise, à savoir sa reconnaissance avant terme d’une entité fantomatique. Si elle demande à cette prétendue "RASD" de se retirer, ou si elle l’ex pulse de ses rangs en attendant les résultats du référendum, le Maroc réintégrera l’Organisation de l’Unité Africaine. Mais tant que subsiste ce fantôme, témoin d’une période de la vie de l’Organisation de l’Unité Africaine marquée par la précipitation et le mépris du droit international, et tant que les choses demeureront en l’état, il est impossible que le Maroc réintègre l’Organisation de l’Unité Africaine.

Majesté, le Maroc compte parmi les rares démocraties arabes, je voudrais vous poser une question sur l’expérience démocratique au Maroc d’autant plus qu’il s’apprête à organiser de nouvelles élections. J’aimerais connaître la vision de Votre Majesté sur l’avenir de la démocratie dans le monde arabe à la lumière des expériences au Maroc et en Egypte

La démocratie de façon générale est une expérience qui exige de celui qui s’y engage, patience et persévérance. Elle implique également pour celui qui emprunte la voie démocratique, qui s’imprègne de son esprit et sa philosophie, de faire siens deux principes :

Tout d’abord, il doit posséder ce sixième sens qui lui permet d’être sensible aux pulsations du peuple auquel il appartient et lui permet de mieux comprendre son peuple, de connaître ses sentiments, ses aspirations et ses besoins. Lorsqu’il aura tout compris, il devra en second lieu planifier pour cette démocratie, pour ses objectifs et ses étapes, afin d’éviter que le corps de ce pays ne soit affecté d’une anémie ou au contraire ne souffre d’indigestion.

C’est là que ce sixième sens, ce lien affectif - permettez-moi d’utiliser le terme idolâtrie -, s’avère nécessaire, car tout sentiment patriotique relève, dans une certaine mesure, de l’idolâtrie. On invoquera à cet égard le Hadith du Prophète Sidna Mohammed, que la prière et la paix soient sur Lui : « L’amour de la patrie fait partie de la foi ». Ainsi, toute personne imbue de nationalisme, voue un amour idolâtre à sa patrie, ce qui l’incite à prendre les devants pour réaliser les aspirations de son peuple.

A travers votre télévision Je suis votre vie démocratique et vos activités parlementaires. Et Je ne puis que me féliciter des pas que vous avez franchis sans me permettre de faire d’autres observations, car la démocratie n’est pas administrée tels des comprimés d’aspirine ou de tout autre médicament prescrit à des doses précises, à des moments précis.

La démocratie est exercée dans chaque pays selon ses spécificités propres, ses structures et sa capacité de manier ce moyen, car la démocratie est un moyen pour réaliser le bonheur. Si nous analysons ces deux termes : "moyens et bon heur", nous constatons que le terme "moyen" occupe dans le lexique quelque vingt pages tandis que l’explication du mot "bonheur" se situe dans cinquante pages.

Un rapport harmonieux entre le "moyen" et le "bonheur" est tributaire d’une action quotidienne et d’une démarche progressive et rationnelle, sachant qu’en matière de démocratie, on ne peut jamais revenir en arrière. S’il y a changement, il doit signifier une avancée et non un recul. Je pense que la pondération, la connaissance du climat et le patriotisme sincère sont des éléments nécessaires pour la réussite, qu’il s’agisse du législateur, des acteurs de la vie politique ou du peuple qui est en fin de compte le bénéficiaire de cette démocratie.

Nous sommes tous égaux et il n’est pas permis de dire que telle personne est plus patriotique que telle autre. Personne ne peut non plus prétendre qu’il est plus proche du peuple que les autres. Il s’agit plutôt d’un sentiment collectif et de cœurs qui battent à l’unis son.

Votre voisinage, l’Algérie et le terrorisme au nom de la religion musulmane, pour être précis, est difficile. Est-ce que le Maroc s’en ressent ? Quelle appréciation portez-vous, Majesté, sur le phénomène de la mouvance islamique qui a commencé à revêtir la forme de terrorisme et d’extrémisme d’autant plus qu’il gagne des régions diverses et nous parvient de contrées éloignées ?

Premièrement, Je ne voudrais pas me livrer à une analyse de la situation chez notre voisin par respect de la souveraineté de ce pays. Le terrorisme généralement est un signe de frustration et dénote que quelque part la mécanique ne fonctionne pas normalement. Il ne s’agit pas de trouver des justifications, mais de déceler, à travers nos analyses, les causes du terrorisme dans tel ou tel pays.

Mais lorsqu’un pays déterminé s’investit pleinement dans des réformes radicales, sociales, économiques et politiques, lorsque les chantiers sont ouverts ça et là, couvrant le pays d’est en ouest et du nord au sud, lorsque la mobilisation est totale et que chacun constate une réelle volonté politique de garantir l’emploi aux citoyens, de promouvoir leurs conditions, de leur assurer une vie digne et de veiller à leur libération, alors dans ces conditions le terrorisme devient une folie et une déviation impardonnable et doit par conséquent être traité avec la plus grande sévérité, car il est des interdits prescrits par Dieu, qui sont inviolables, et des droits des Musulmans touchant à leur vie, à leurs biens et à leur honneur qui ne sauraient être transgressés, car déterminés par Dieu et Son Prophète, que la paix et la prière soient sur Lui. On ne peut ainsi traiter le terrorisme selon des références de la laïcité. Il est des formes de terrorisme qui sont taxées comme telles dans un pays donné et pas dans un tel autre. Il s’agit plutôt de subversion, de sédition, de désobéissance à l’autorité et de discorde entre les Musulmans.

Mais si effectivement la dignité de l’homme est préservée et que des efforts soutenus sont déployés pour créer des opportunités d’emploi, assurer l’émancipation des citoyens, promouvoir l’enseignement et les soins de santé, cette forme de refus qui porte atteinte à des vies humaines et choque les esprits des citoyens, notamment des enfants, est absolument inadmissible.

Quelle est, Majesté, votre appréciation de la situation dans la région des Grands Lacs et des dangers qu’elle comporte pour la stabilité du continent africain ? Quel rôle devraient jouer les pays africains, individuellement et collectivement, pour circonscrire cette situation ?

La situation en Afrique, Je le crains, demeurera inchangée pour des années du fait de la méconnaissance des droits de ce continent.

Si l’Afrique vit la situation qui est celle d’aujourd’hui après avoir vécu celle d’hier, qu’elle vivra, Je le crains, encore demain, la responsabilité en incombe à l’occupant. En regardant la carte de l’Afrique, l’on constate en effet que les frontières entre pays africains ne sont pas des frontières naturelles. C’est comme si elles avaient été toutes tracées sur la table de travail d’un architecte. Elles ne correspondent ni à des cours d’eau, ni à des reliefs.

L’occupant n’a pris en considération dans leur tracée ni la répartition des tribus, ni les traditions des gens, leurs langues et leurs dialectes, ni encore les habitudes en matière de flux commerciaux. L’occupant les a tracées à sa guise comme s’il dessinait et planifiait pour la construction d’une colonie sur la table de travail d’un architecte. C’est ce qui explique les souffrances endurées par l’Afrique dans le passé, le présent et, Je le crains, à l’avenir.

L’Afrique ne pourra dépasser cette situation que si elle engage une politique profonde et à long terme dans le domaine de l’enseignement. Pour quoi ce domaine ? Parce que la majorité des conflits actuels en Afrique trouvent leur origine dans la multiplicité des dialectes. Un Etat donné peut compter plus de quatre-vingt dialectes sans qu’il y ait accord sur une langue nationale.

Lorsque tous s’accorderont à parler une seule langue et à utiliser le même lexique dans leur réflexion et donc à se référer à des concepts unifiés et harmonieux, ils deviendraient plus puissants qu’ils ne l’étaient et seront en mesure de convenir d’un seuil minimum pour la cohabitation, loin de toute ségrégation raciale ou discrimination linguistique.

C’est en effet l’élimination de cette discrimination linguistique qui mettra fin à la ségrégation raciale et tribale entre eux. C’est là une œuvre à laquelle l’Afrique devrait sérieusement s’atteler, le chemin à parcourir dans ce sens étant encore long. J’implore le Très-Haut que les drames que connaît la région des Grands Lacs, depuis maintenant plus de cinq ans, au Rwanda, au Burundi, en Ouganda et au Zaïre, soient porteurs d’enseignements pour l’en semble des Africains, leurs leaders et leurs responsables, afin qu’ils imposent dans leurs écoles des pro grammes d’éducation civique et de sensibilisation nationale.

Ces programmes ne peuvent être bénéfiques que si les dis parités sont éradiquées au niveau linguistique, Je ne dirai pas tribal pour la simple raison qu’on ne peut pas modifier la taille d’un tel ou le signe distinctif d’un tel autre. Les aspects physiques de l’homme ne peu vent être modifiés. On peut par contre modifier ses concepts et sa pensée et Je pense que la langue est le meilleur remède à ce mal.

Avant de vous quitter, Je voudrai vous remercier pour votre conduite lors de cette rencontre qui a été réellement très agréable, Je souhaite avoir répondu à vos attentes. Rendez-vous, s’il plaît à Dieu, au mois de Chaâbane prochain à Assouan.

Encore une question, Majesté la contagion du terrorisme en Algérie a-t-elle ou non atteint le Maroc ?

Il n’y en a pas (au Maroc), grâces en soient rendues à Dieu.

15/05/1997

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