Gosses de riches

7 mars 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Jeunes, riches et insouciants, le soleil est pour eux toujours au zénith. Drogues, alcool, filles et night-clubbing, ils croquent la vie à belles dents. Eux, ce sont les enfants de l’élite financière, politique et administrative du royaume. Jeunesse dorée : sa vie, son œuvre.

L’iPod est posé ostensiblement sur un coin du bureau. Et sur la table basse, s’amoncellent quelques bouteilles de vodka et des canettes de Red Bull. La nuit s’annonce longue. Ce soir, Mourad reçoit des potes pour l’inévitable apéro d’avant night-clubbing. Dans la bande, ce “warm
up” est de coutume avant d’aller faire la bringue. La trentaine à peine entamée, Mourad est déjà bien installé dans la vie. Il vit dans un appartement sur le boulevard d’Anfa, décoré avec quelques meubles griffés et une sculpture style post-moderne dans le coin du salon.

Il s’intéresse aux belles choses en esthète qu’il est. La déco est même de plus en plus prisée dans son milieu, où cet art particulier n’est plus du tout réservé aux seuls parents qui refont leur salon au gré des tendances et des humeurs. Ses amis partagent la même passion, mais ils sont plutôt dans le courant vintage seventies. “Surfait et bientôt mainstream !”, commenterait Mourad, qui aimerait bien craquer pour un fauteuil signé Philippe Starck. De toute manière, ça ne saurait tarder. Sa petite affaire tourne plutôt bien. Ex-pubard à 80 000 dirhams par mois, il s’est reconverti dans la mode pour jeunes branchés. Avec un ami, il a ouvert un magasin, sis dans le fameux triangle d’or casablancais, qui distribue en exclusivité une marque dont les articles s’arrachent comme des petits pains. Son associé ? Il l’a rencontré à Ibiza, où Mourad s’était installé pour quelque temps, histoire de faire la fête, la vraie, toutes les nuits. Ou comment joindre l’utile à l’agréable.

Le carillon rententit, les invités arrivent. Derrière la porte d’entrée, Najib et Younès, deux jolis pedigrees également. Najib est le fils d’un importateur de matériel informatique. Il travaille dans la boîte de son père comme le veut le principe de l’entreprise familiale à la marocaine. Younès, quant à lui, est dans l’importation d’alcool. Déjà homme d’affaires à 25 ans. Younès n’est pas venu les mains vides, il pose sur la table déjà encombrée une énième bouteille de vodka. Mais cette marque, haut de gamme bien sûr, est introuvable au Maroc. Il envisage d’en devenir l’importateur exclusif, mais avant ça, il veut la faire goûter à ses amis. “C’est le top !”, s’exclame-t-il, pas peu fier. Dès le premier verre, la vodka est adoptée par le groupe. Au deuxième verre, on a déjà oublié la séance de test. Au troisième, les langues se délient.

Commentaire de l’actu chaude du moment, le tremblement de terre qui vient de frapper le Maroc. “J’étais assis derrière mon bureau quand il s’est mis à bouger”, raconte Hicham, patron d’une boîte de com’. “Toi au bureau avant 11h00 ? Laisse-moi rire !”, le corrige Mourad, pas dupe des horaires du jeune boss, plus souples qu’une danseuse du Bolchoï. “Tarik est à Sydney. À peine arrivé, il a filé faire la fête avec un type rencontré dans l’avion. Il en avait rien à battre du décalage horaire”, raconte, hilare, Driss. Après un séjour à Paris où il est parti faire de vagues études (et beaucoup la tournée des boîtes de nuit), Driss est revenu au Maroc pour faire une école de commerce. Cela n’a pas l’air de l’enthousiasmer plus que ça : “Tu sais ce qu’il en est. C’est pour la forme”, explique-t-il à Saïd, un ami qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Et pour cause, ce dernier s’est installé à Marrakech où son père, propriétaire d’une enseigne de décoration de prestige, l’a envoyé s’occuper du nouveau magasin du groupe. Saïd se sent comme un poisson dans l’eau dans l’ambiance jet-set marrakchie. Qui plus est, il loge dans la villa de ses parents et y ouvre chaque jour les yeux sur un spectacle magnifique : la vallée de l’Ourika. Il est aux anges, ses bottines italiennes Roberto Cavalli aussi. Elles brillent comme un sou neuf : “On regarde d’abord les pieds. Les chaussures sont un signe de reconnaissance parmi la jeunesse dorée”, signale un membre de ce milieu. Tout comme les beaux voyages.

Dolce vita
“Et il est où flane ?”, questionne Najib. “À Las Vegas, je crois”, lui répond Younes. Cela n’étonne personne, c’est presque courant. “Désormais, on va à Barcelone comme on irait à Derb Ghallef”, fait remarquer Hicham. Il a étudié aux Etats-Unis, évoque son ex qui était Suisse, lâche dans la conversation, l’air de rien, des noms de boulevards de Los Angeles. Hicham, ou l’homme presque blasé. Ses poussées d’adrénaline, il les cherche désormais dans les parties de poker qui s’organisent en privé. Il préfère la variante “Texas hold’em”, celle qui procure le plus de sensations, qui peut aussi bien rapporter gros que siphonner un compte bancaire. Flamber de la sorte est très en vogue dans son milieu, surtout pendant le ramadan, pour tuer les longues nuits de veille.

“C’est facile de s’équiper. On trouve de vraies tables de poker à 15 000 dirhams dans le commerce. Pour les jetons, il suffit de faire un tour dans un K-Shop”, signale Hicham. Et quand ça joue, ça ne rigole plus. “Les parties peuvent durer jusqu’à deux jours. J’ai vu des accros perdre 250 000 dirhams en une soirée. À la fin, certains remettaient leurs clés de voiture pour couvrir leurs pertes. Le mois dernier, le fils d’un célèbre banquier a perdu trois millions de dirhams au casino du Dorint à Agadir”, ajoute-t-il. Hicham reçoit même des mails de casinos lui proposant des chambres gratuites. Oui, comme à Las Vegas.

“Je vais me faire un week-end filles, alcool et dope à Prague en avril. Cela tente quelqu’un ?”, propose Najib, visiblement le plus aisé du groupe d’amis. Le tour du monde en 80 secondes est stoppé net par une nouvelle sonnerie à l’entrée de l’appartement. La porte s’ouvre sur une tripotée de filles d’une vingtaine d’années, des amies qu’on a invitées au tour de chauffe. Nickel chrome des pieds à la tête, elles viennent de se faire déposer par le chauffeur de l’une d’entre elles. Il les attend en bas de l’immeuble pour les accompagner au Platinium, la boîte la plus in de la capitale, destination de la bande pour cette nuit. Ensuite, il les raccompagnera au retour. Bref, il n’est pas couché de sitôt. Kenza, 28 ans, designer à Marrakech, scrute l’arrivage de fashion-victims depuis le fauteuil du fond. Une victime tombée au champ d’honneur attire son attention plus que les autres : top léopard et pantalon ultra taille basse. Puis, Kenza se lance dans une analyse sociologique : “Ce qu’elles sont mignonnes ! De véritables poupées Barbies ! Mon portrait craché à leur âge”.

Kenza a grandi depuis, et s’est assagie. Aujourd’hui, elle est presque en quête de sens dans les bulles de champagne, la peur d’être prise pour une bimbo écervelée vissée au corps : “J’aime le monde des paillettes. J’adore la légèreté et la futilité. En même temps, j’ai besoin de trucs sérieux. Du contenu”. En parlant de contenu, Hicham s’intéresse de plus en plus à celui du décolleté de Narjiss, une Barbie assise en face de lui. Elle a 18 ans, étudie l’anglais à Paris. Pourquoi la langue de Shakespeare en particulier ? “C’est tout ce que j’ai trouvé de pas trop prise de tête”, lâche-t-elle sans montrer d’inquiétude pour son avenir. L’essentiel est ailleurs : vivre à Paris, capitale de la mode. “J’en suis certain, elle s’est fait refaire les seins”, souffle Hicham, le regard toujours vissé sur la Barbie polyglotte. La mini-jupe qu’elle porte y est aussi pour beaucoup. “Se faire refaire les seins est devenu très courant chez les filles d’une vingtaine d’années. Avant une soirée importante, certaines se font même faire des injections pour se gonfler les lèvres”, poursuit-il.

On a du mal à s’imaginer un clone d’Arielle Dombasle danser sur la aïta de Hajja Hlima. Et pourtant, la scène était courante l’été dernier dans les villas d’Anfa, le quartier chic de Casablanca. Très demandée, la chikha a fait bouger à la mode paysanne les soirées très urbaines de la haute. À côté de Hicham, ça cause foot : “Ils sont nuls, la Roma !”, s’exclame Driss à l’adresse de Saïd. “Arrête ! Totti c’est la classe !”, rétorque Saïd. La référence explique les allures de dandy italien de Saïd. “Alors les filles, chaudes ?” lâche-t-il. Avant de se rattraper : “Enfin je veux dire pour la boîte”. Les bouteilles de vodka sont presque vides, il est l’heure de lever le camp.

Le jeu des sept familles

Sur la route en direction du Platinium, Hicham sirote un verre de vodka en taillant quelques costards sur mesure aux filles croisées dans l’appartement. “Elles font quoi dans la vie ?”, demande un des passagers. “Elles font pitié !”, lui répond Hicham, dans un éclat de rire général. La BMW Série 3 Coupé flambant neuf de Mounir précédait d’à peine quelques minutes la voiture de Hicham. Pourtant, on ne la reverra plus avant Skhirat. Mounir aime la vitesse. Il s’est vanté plus tôt dans la soirée d’avoir effectué le trajet Rabat-Casablanca en moins de 30 minutes chrono, à une moyenne de 200 kilomètres à l’heure : “C’était de nuit sur l’autoroute. Aucun danger”. Certes. Une autre fois, les gendarmes l’ont piqué, alors qu’il roulait à tombeau ouvert. Arrêté pour excès de vitesse, il est reparti sans avoir été verbalisé. Soit. La discussion dérive sur Marock, de Leïla Marrakchi. “Le film est exagéré. On était beaucoup plus naïf à cette époque”, souligne Hicham. “Il y avait de la coke en soirée, mais les plus âgés nous déconseillaient d’en prendre”, surenchérit Kenza. Cela a bien changé depuis, la poudre blanche circule à foison dans les soirées privées de la jeunesse dorée.

“Aujourd’hui, tu peux emballer une nana avec un gramme de coke, explique Hicham. Entre eux, dans l’intimité, les gens se relâchent plus facilement. Et ça part vite en vrille”. Certains éléments éminents de la jeunesse dorée se sont même mis à dealer pour rendre service à leurs amis (et se faire un peu d’argent de poche au passage). L’un d’entre eux a été arrêté et purge à l’heure actuelle sa peine de prison. On papillonne d’un sujet à l’autre, puis on se remet à causer cinéma : “Tu le trouves exagéré Marock ? Moi, j’ai souvenir que les juifs étaient comme dans le film : arrogants”, soutient Kenza. Fin de la critique cinématographique, début du cours de généalogie. Kenza est une ch’rifa et en tire fierté. Elle sait qu’elle a un rang à tenir en tant que membre de “l’organisation primitive du pouvoir”, pour reprendre l’expression de Ali Benhaddou dans Les Elites du royaume (2000, éditions L’Harmattan). Elle a encore certains tics de “primitifs du pouvoir”. “Avant chaque examen, je faisais un pèlerinage au mausolée de Moulay Driss à Fès pour obtenir sa baraka”, se souvient-elle. Aristocrate du Maroc, elle regarde de haut les nouveaux riches casablancais, la composante laborieuse de l’élite du royaume. “Une copine me racontait, morte de rire, comment elle s’était fait aborder par un type en boîte. Il a voulu jouer sur son nom et lui a déclaré : tu ne me connais pas ? Je suis le fils d’untel”, raconte Hicham, également ch’rif. L’untel en question était un industriel casablancais, entré en politique. Un très gros héritage attend son cher fils, mais ce dernier ne maîtrise toujours pas les codes du milieu. Il est déclassé d’annoncer son nom. Chez ces gens-là, on se présente par son prénom. Et à mépris, mépris et demi. Arc-boutée sur les structures politiques du pouvoir, la jeunesse dorée r’batie dédaigne son pendant casablancais, qui s’est enrichi dans les affaires. “Ils sont snobs et ne savent pas faire la fête”, se plaint Hicham. Mais peu importe ces bisbilles entre élites du Maroc utile. Au jeu des sept familles, être le fils d’une personnalité politique ou d’un grand industriel vous donne droit aux mêmes privilèges. Ainsi, l’été dernier à Kabila, l’après-midi bien entamée, une dizaine de jeunes, à peine remis de leurs émotions de la veille, se retrouvent dans un restaurant à la mode, le Chiringuito, pour casser la croûte. L’endroit est plein à craquer et la file d’attente longue comme un jour de ramadan. Pourtant, nos lève-tard ont droit à une table sur le champ. “Ils ont réservé”, répond-on aux clients indignés. Il faut dire qu’à cette table, où plats raffinés côtoyaient vin et champagne de qualité, s’étaient installées deux filles de ministres, dont un de souveraineté.

Night clubbing à gogo

1h00 du matin, le parking du Platinium est archi-comble, l’entrée du club congestionnée. Pas de soucis. “On est sept”, crie Hicham au responsable des entrées. Ce dernier ouvre le passage à la confrérie, sous les yeux envieux de la horde de jeunes bloqués derrière les grilles. Le préposé au filtrage connaît bien les membres du groupe. Ancien co-gérant du Pulp, la boîte la plus hype de Casa, il les a souvent accueillis jusqu’au bout de la nuit. À l’intérieur, le même traitement aux petits oignons attend la bande à Hicham. On leur a réservé les meilleures tables dans le coin VIP. “Le carré VIP, c’est tout un symbole”, souligne Hicham. Le groupe honore le symbole en commandant bouteilles de vodka, whisky et champagne. La facture sera en conséquence à la fin de la soirée : plus de 20 000 dirhams. “À l’ouverture du Platinium, le DJ se trouvait juste au-dessus des tables où ils ont choisi de s’installer. L’emplacement n’a jamais été décrété espace réservé. C’est eux qui en ont fait un coin VIP”, signale le gérant de la boîte. La raison ? Le désir de s’isoler des autres, bien entendu. Mais aussi un effet de mode : “Depuis deux ans, on s’intéresse au DJing. Beaucoup ont acheté des tables de mixage et invitent des DJs pour animer leurs soirées”, confie Hicham. Pourtant, à part Driss, véritable mordu d’électro, personne ne semble prêter attention à la musique.

On dansouille vaguement, les va-et- vient entre la table et les toilettes se font de plus en plus fréquents. “Ils n’ont pas une si petite vessie que ça tout de même !”, s’étonne un homme qui observe, du coin de l’œil, le groupe faisant la fête. Coke, ecstasy (le Rolex fait fureur), tout se passe aux toilettes. Hicham se fait offrir un verre au bar par une des filles du groupe. Il en revient tout retourné : “C’est la femme de ma vie, elle m’a payé un verre. Elle est pas comme ces garces à qui il faut poser une bouteille !”. Jugement hâtif ? Pas selon la logique de Hicham : “Je vois souvent ces filles en boîte. Elles ne sont jamais avec les mêmes mecs et ils sont toujours plus âgés qu’elles”. Effectivement, le lendemain, on pouvait croiser ces mêmes filles au Pulp. Elles y avaient été invitées par un autre groupe d’amis. Mais pour l’heure, la Barbie aux gros seins est l’objet de toutes les attentions. “Comment tu gères toutes ces avances ?”, lui demande l’un d’entre eux. “Je gère, c’est tout”, minaude-t-elle en haussant les épaules. Elle est bientôt concurrencée par l’arrivée de Kamal, 25 ans, un ami de la clique. On le salue chaleureusement. Kamal est un spécimen éminent : il vient de rentrer de Suisse où il a fait des études d’hôtellerie. Bientôt il prendra la direction d’un hôtel 5 étoiles que son père construit à Marrakech. À la sortie de la boîte, Kenza s’en prend au préposé au vestiaire. Elle a égaré son jeton et ne peut pas récupérer son sac à main : “Tu me le donnes tout de suite ou je fous le bordel dans la boîte !”, menace-t-elle. À force de vociférer, elle finit par se faire obéir.

Le reste du groupe commence à s’ennuyer. Il décide de lever le camp aussi, direction la villa des parents de Najib à Bouznika. C’est là qu’aura lieu l’after, moment où tous les excès deviennent possibles. Hicham, quant à lui, préfère rentrer à Casablanca avec la femme de sa vie. Papa est en voyages d’affaires, maman seule à la maison, rien n’urge pour elle. Une heure plus tard, le couple improvisé est arrivé à bon port. Devant l’entrée de son immeuble, Hicham, pas mal imbibé, fait du gringue à sa dulcinée tandis que l’appel à la prière du Fajr résonne. Un homme passe devant eux en direction de la mosquée du quartier. Il ne jette même pas un regard au couple. Eux, ne l’ont pas remarqué. C’est Marock en live. Il est 5 heures, Casa s’éveille. Et Hicham n’a pas sommeil…

Caprices de riches : Parce que je le vaux bien

Les pauvres ne font pas de caprices, la vie est déjà suffisamment capricieuse avec eux sans en rajouter. Par contre, l’argent qui coule à flots dans les poches des parents de certains enfants de riches est à même de débrider leur imagination. Prendre un avion pour un brushing à Paris ? Pas du tout une toquade. Un petit rien du quotidien qu’on ne se raconte même plus.

Par contre, à Marrakech, il y a deux ans, les frasques d’un fils de grand industriel ont défrayé la chronique du landernau fortuné. Habitué à changer de voiture de sport comme de chemise, l’héritier a snobé son propre mariage. Il a quitté une cérémonie digne des mille et une nuits au bout de dix minutes… Il faut croire que l’ambiance n’était pas à son goût. Un autre jour, son père l’a surpris dans son salon, en tenue d’Adam et entouré de superbes créatures pareillement vêtues. Le nez plongé dans une ligne de cocaïne, le fils ne s’est pas démonté un seul instant. La scène lui a même inspiré une nouvelle lubie : “Papa, achète-moi le Paradise !” (Ndlr : boîte de nuit marrakchie), a lancé ce dernier à son richissime géniteur. “Le père a failli s’en étrangler”, rapporte un habitué de la jet-set marrakchie. Etre né avec un service d’argenterie dans la bouche vous donne les moyens de toutes vos envies. C’est en tout cas la philosophie d’un riche héritier casablancais. À la mort de son père, grand propriétaire terrien et patron d’industrie, il s’est retrouvé joliment doté de quelques milliards de centimes. De quoi donner corps à toutes ses envies passagères. Au lieu de faire fructifier le capital familial, l’héritier a décidé de faire la bringue jusqu’à ce que “bourse morte” s’en suive. Il avait notamment pour habitude de louer des boîtes de nuit entières pour son seul usage personnel. “Vous faites combien en chiffre d’affaires ? 100 000 dirhams ? 150 000 dirhams ? Je vous offre le double, mais vous videz la boîte immédiatement !”. Chose dite, chose faite, jusqu’au jour où il n’eut plus les moyens de ses fantaisies : elles avaient fini par le ruiner.

Alors que l’ex-riche héritier jouait à l’émir pétrodollar, d’autres découvraient les joies simples du derb : se saouler entre potes dans la rue. La veille de l’Aïd El Kébir, deux filles du sérail r’bati ont décidé de se détendre sur le parking d’un hôtel 5 étoiles de Rabat, à grands coups de verre de vodka. Coups de fil aux potes qui passent des coups de fil aux potes. Elles partirent à deux, mais par un prompt renfort, elles se virent vingt en arrivant à bon port : des fils d’anciens ministres et de gouverneurs, ainsi que des enfants de hauts gradés de l’armée les avaient rejointes. Une estafette de police tombe sur la nouba improvisée sur le parking. La maréchaussée reconnaît des visages et des noms familiers. Elle se montre très polie. La clique est toute aussi courtoise avec la maréchaussée : elle lui fait de grands sourires de Dracula, à l’aide de faux dentiers en friandises, ramenés par un copain des Etats-Unis. La bande se voit offrir par la direction de l’hôtel une suite (et quelques bouteilles de vodkas) afin que tout ce beau monde s’amuse avec plus de discrétion. Moins d’une heure plus tard, la troupe redescendait de la suite. Tout compte fait, ça le “faisait” plus sur le parking. Ils l’ont donc réinvesti. “C’est spécial de se saouler dans la rue : il y a l’interdit”, confie une initiée au posage improvisé. L’interdit, et un pas mal d’impunité aussi.

Politique : La Siyassa, ça rouille la dorure

“La politique n’intéresse pas la jeunesse dorée, car elle ne change rien à son quotidien. Tant qu’ils ont papa pour leur payer un voyage à Paris une fois par mois…”, constate, pas dupe, Kenza, 28 ans, fille d’un haut gradé de l’armée et spécimen de la nomenklatura r’batie. Toujours selon la jeune fille, les seuls privilégiés de son entourage à s’intéresser à la chose politique sont des fils de parlementaires, qui l’envisagent comme un simple “moyen d’ascension sociale”. “C’est le cas d’un de mes amis. Haut fonctionnaire dans un ministère, il a adhéré à une formation politique pour booster sa carrière”, confie-t-elle. Les autres dénigrent les partis politiques et vilipendent leur malhonnêteté en des termes qui ne détonneraient pas dans la bouche d’un diplômé chômeur. En résumé : tous pourris, tous inefficaces. Ce jugement à l’emporte-pièce est sans nuance, mais a au moins le mérite d’exister. C’est presque une opinion structurée, comparée au haussement d’épaule et aux yeux ronds de Mourad quand on lui parle des élections de 2007. “Tout ça, ça me gonfle !”, déclare ce membre de la bourgeoisie casablancaise. Presque trentenaire, il est moins au fait des enjeux de l’échéance électorale que ses congénères r’batis, qui baignent dans les structures de décision par héritage familial. Invité à une séance de brainstorming de 2007 Daba, Mourad est ressorti de la réunion de sensibilisation politiquement immaculé, bien campé sur son unique idée : “ça m’a gonflé !”.

Narjisse, quant à elle, s’est réveillée de son doux sommeil doré un jour où elle essayait une paire de lunettes au magasin Alain Afflelou, sis au Mega Mall de Rabat. Dans cet antre du luxe, “un jeune barbu est entré. Il voulait aussi des lunettes, mais a refusé que la vendeuse lui ausculte les yeux. Il pensait que c’était haram. En sortant, il m’a bousculée. Pas très rassurée, c’est moi qui me suis excusée en darija. Il m’a jeté un regard noir en me balançant à la face : ’hamdoullah, il y a encore des gens qui parlent en arabe !’”. Suite à cette rencontre du troisième type, Narjiss a décidé d’adhérer à un parti politique pour barrer la route au PJD. “Je me suis rendue au siège de l’USFP, mais à la porte, le vigile a été incapable de m’informer sur les formalités d’adhésion. J’avais vraiment le sentiment de le déranger”. Et comble de l’ironie, c’est le PJD qui a failli recruter cette diplômée d’Al Akhawayn pour enrichir son vivier de cadres de haut niveau. “Ils sont venus voir mon père pour lui demander de les rejoindre. Devant son refus, ils lui ont déclaré : et pourquoi pas votre fille ?”. Elle n’a pas rejoint les rangs des fans de Saâdeddine El Othmani, mais a tout de même “admiré cette capacité à aller démarcher directement les adhérents potentiels”, confie-t-elle.

La peur du PJD envahit-elle la jeunesse privilégiée casablancaise aussi ? Oui, à en croire Meryem, 27 ans, designer, fille de la caste d’Anfa supérieur. “Ils sont arrivés en tête aux dernières élections dans mon quartier, car nous n’avons pas été voter”, analyse-t-elle, son verre de vodka-Red Bull à la main, en boîte de nuit. Bien décidée à faire entendre sa voix, elle ne sait pas encore pour quelle formation politique marocaine elle votera… parce qu’elle n’en connaît aucune. “Le débat entre Sarkozy et Ségolène Royal m’intéresse davantage. Cela s’insère plus dans ma culture”, se justifie Meryem, à la conscience politique bercée par les chaînes françaises. Puis elle met fin à l’échange d’idées d’une pirouette : “C’est un sujet trop sérieux, il m’a dessaoulé”. Toutes nos excuses, mademoiselle…

Shopping : Luxe, décibels et volupté

“La jeunesse dorée est un milieu hype et fashion addicted”, analyse Fayçal Idrissi Kaïtouni, créateur du magazine Clubbers, qu’il lance en mars prochain. Venue étancher la soif de branchitude qui habite la caste argentée, cette revue est un pot-pourri des produits qu’elle consomme : “Ce sont des épicuriens qui ont les moyens”, signale Idrissi Kaïtouni. En effet, le plaisir et le luxe sont les seuls points communs d’un inventaire à la Prévert, qui égrènera la dernière montre Hublot ou Breitling qui “fait bien”, le costume Hugo Boss à 8 000 dirhams pièce, le resto où il faut être vu (la mode est au “fooding” japonais), le week-end tendance entre potes (Barcelone a la cote). Sans oublier la salle de sport et le spa où éliminer les toxines accumulées après la virée espagnole : “Le Plazza et le Tahiti ont leur faveur. Ils y vont habillés comme pour une sortie en boîte”, renchérit Idrissi Kaïtouni. Clubbers sera en somme une nouvelle vitrine sur papier glacé (Après Tendances &Shopping, Version Homme, etc.) des marques célèbres qui ont pris d’assaut, depuis quelques années, le triangle d’or casablancais, Rabat et Marrakech. La demande était là, l’offre a fini par suivre. “Plus besoin d’aller à l’étranger pour renouveler sa garde-robe”, constate d’ailleurs Imane. Elle pense s’offrir un petit Vuitton à 5 500 dirhams dans le magasin de la griffe de luxe, ouvert l’année dernière au Hyatt Regency de Casablanca.

“Louis Vuitton s’est installé un premier temps à la Mamounia, en ciblant une clientèle étrangère. Mais ce sont les Casablancais qui se sont retrouvés à faire le chiffre d’affaires du magasin”, explique Khadija Mekouar de l’Observatoire de la franchise. Les adeptes de Diesel, Von Dutch et Marithé&François Girbaud, n’ont plus besoin aussi de prendre un aller-retour pour Paris. Ils sont désormais servis sur un plateau par des membres de leur confrérie. “Ce sont des leaders d’opinion qui sortent beaucoup. Ils sont capables de percevoir la demande des milieux branchés”, analyse Khadija Mekouar. À l’image de Dan et Jonathan, enfants d’une famille ayant fait fortune dans le textile, qui ont introduit au Maroc la marque de vêtements Diesel en 2002. Le duo d’entrepreneurs connaît bien le monde de la nuit. Il y a peu, ne déclarait-il pas au magazine branché marocain In & Out être fourré toute la semaine au G-Sound (le lounge casablancais où il faut être vu) ? Du côté de Rabat, on est tout aussi show-off, mais les emplettes se font plus discrètement. C’est ainsi que des filles de “bonne famille” se sont lancées dans un business très lucratif. Elles reviennent de leur shopping à New York, Londres ou Paris, avec un excédent de bagages : des fringues griffées qu’elles refourguent dans des studios aménagés en salons d’essayage. On est entre le magasin coquet et le salon de thé : “On vient y tuer un après-midi en prenant le café. C’est confortable, intime et on a le petit conseil en plus”, raconte Ghita, une habituée de ces Tupperware de prestige. Cette dernière peut dépenser jusqu’à 8 000 dirhams par jour en fringues quand papa a été généreux en argent de poche. Et quand on aime, on ne compte pas. Même quand il s’agit de grosses cylindrées. “Un tiers des voitures que nous vendons sont des cadeaux faits à des jeunes par leurs parents”, explique Loïc Roix, directeur commercial de l’importateur des marques Porsche et Audi. Chez la SMEIA, un autre concessionnaire automobile, on affirme que 40% des BMW Série 1 et des Mini vendues sont offertes par leur acheteur. Cela doit faire cher, en papier cadeau…

À Rabat. Pedigree correct exigé

Passé 25 ans, les privilégiés r’batis oublient le bruit et la fureur des boîtes de nuit pour se retrouver entre amis dans des soirées où l’intimité prime. Le cérémonial répond toujours aux mêmes règles. L’hôte appelle ses amis, leur annonce le menu servi par le traiteur (Bensaïd, dans la majorité des cas) et le nom du groupe de musique chargé d’animer la soirée. “C’est une ambiance cosy, très piano bar”, confie Meryem, une habituée de ces soirées. Organisés dans des villas, ces raouts réunissent une trentaine de happy few issus des forces vives de l’establishment. “Il y a trois ou quatre groupes de la sorte à Rabat. On n’y retrouve jamais aucun étranger, précise Meryem. Si je désire inviter une personne inconnue des autres, je dois impérativement les en informer”. L’fercha n’est définitivement pas le genre de la maison Rabat et explique ce petit côté secte, habité par la peur du qu’en dira-t-on, très forte dans ce milieu d’enfants d’officiels. “Vous n’y verrez jamais quelqu’un prendre de la coke en public. On s’isole dans la salle de bains ou dans une chambre si l’on désire se faire un rail”, ajoute Meryem.

Cette retenue n’est pas du goût de leurs semblables casablancais, davantage m’as-tu-vu. “On évite les sauvages de Casa. Ils boivent trop et ne savent pas se tenir”, explique Meryem. Une fois entre eux, le club r’bati au sang bleu peut sortir ses maillots de bain pour des soirées piscine, ou bien encore prendre des bains de minuit dans leurs villas “secondaires”, en bordure de plage. “Les gens se marient dans la clique. Quand ils divorcent, on est confronté à des choix cornéliens. Si on invite l’un, on ne peut pas inviter l’autre”, fait remarquer Meryem. À part ces exclusions temporaires, le groupe vit dans une autarcie quasi totale.

Cependant, quelques nouveaux riches de Rabat ont réussi à pénétrer le sérail. Adoubé par la clique de Meryem, l’un d’entre eux leur en a mis plein la vue. Son père lui a construit une patinoire à domicile, où tout le monde a pu troquer son bikini pour des patins à glace. L’argent serait-il un passe-partout ?

TelQuel - Hassan Hamdani et Mehdi Sekkouri Alaoui

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Une nouvelle drogue appelée « Lbouffa » ou « cocaïne des pauvres », détruit les jeunes marocains en silence. Inquiétés par sa propagation rapide, les parents et acteurs de la société civile alertent sur les effets néfastes de cette drogue sur la santé...