Cinéaste fin et ambitieux, Faouzi Bensaïdi a été primé deux fois à Cannes cette année pour son premier long-métrage, Mille mois. Formé en France et au Maroc, il est parfaitement représentatif de la « génération Mohammed VI » du cinéma.
Dès avant la proclamation des résultats, le Festival de Cannes cuvée 2003 avait toutes les raisons de satisfaire les cinéphiles marocains. En effet, les seuls films représentant le monde arabe - Mille mois de Faouzi Bensaïdi, sélectionné pour “Un Certain Regard”, et Les yeux secs de Narjiss Nejjar, retenu pour “La Quinzaine des Réalisateurs” - portaient les couleurs du Maroc.
Pour le premier, un rêve venait de se réaliser. Non content d’être appelé à l’un des plus prestigieux festivals de cinéma, le réalisateur né à Meknès en 1967 était doublement récompensé, avec le prix “Premier regard”, suivi de celui du Ministère français de la Jeunesse. Certes, ce n’était pas la Palme d’Or... Mais pour un premier long-métrage, c’était, plus encore qu’un signal fort d’encouragement, une véritable reconnaissance. Cette consécration cannoise est le fruit d’un travail patient, d’un parcours marqué par la rigueur, la ténacité et l’ouverture aux autres.
En 1998, à la Biennale de Cinéma à l’Institut du Monde Arabe de Paris, il a présenté son premier court-métrage, La falaise. C’est le début d’une véritable déferlante : le film, projeté de festival en festival, recevra au total vingt-trois prix - excusez du peu ! Parmi ses autres courts-métrages, Le mur, dont le caractère truculent ne peut laisser indifférent, sera également très remarqué. La caméra, délibérément plantée face à un mur dans une rue d’une grande ville marocaine, filme en plan fixe tous les événements cocasses, émouvants ou graves qui, en vingt-quatre heures, peuvent se produire en un lieu apparemment si banal... Le mur est sélectionné en 2000 pour la “Quinzaine des Réalisateurs” à Cannes et décroche un prix créé par Gras & Savoye, chef de file français du courtage en assurances.
« Mes courts-métrages ont constitué des pistes pour l’avenir », confie le cinéaste. Son prochain long-métrage, auquel il s’est déjà attelé, sera « plus urbain » et se déroulera dans « le Maroc actuel ». Comme dans Mille mois, il ne serait pas surprenant de retrouver Faouzi - qui a plus d’une corde à son arc - à la fois devant et derrière la caméra. Grâce en effet à La falaise, André Téchiné l’avait remarqué, et choisi en 2001 à la fois comme co-scénariste et acteur pour son film Loin, dont l’action, qui se situe à cheval sur la France et le Maroc, « reflète l’exigence d’honnêteté de Téchiné et prend en compte le point de vue marocain », affirme Faouzi.
Sa polyvalence, Faouzi l’a acquise durant sa formation, suivie au Maroc et en France. Diplômé en 1990 de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle (ISADAC) de Rabat, il entre en 1994 au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris, qui lui offre une sorte de passerelle avec la FEMIS, la fameuse école française de cinéma. L’élève comédien ne se fait pas prier et, « dans la perspective de faire, à terme, du cinéma », suit en particulier le cours de scénario dispensé par Jean-Claude Carrière. Mais deux ans plus tard, c’est en qualité de comédien qu’il est retenu pour Mektoub, de Nabil Ayouch, l’un des cinéastes marocains les plus en vue. Il y incarne un inspecteur de police, en prise sous le règne précédent avec une affaire de mœurs et de pouvoirs.
En 2002, alors qu’il poursuit sa quête de financements pour Mille mois, Faouzi vient de tenir l’un des premiers rôles dans Le cheval de vent, de Daoud Aoulad-Syad, celui d’un voyageur auquel il prête un attachant burlesque poétique. Installé dans « la capitale mondiale des arts » depuis 1993, il a su patienter pour collecter les fonds requis avant de concrétiser le projet Mille mois et n’être pas ainsi confronté à un problème de budget, comme l’avait par exemple été le réalisateur du Cheval de vent.
Film ambitieux, tourné en cinémascope, Mille mois a nécessité un montage financier impliquant trois pays - la France, la Belgique et le Maroc - un distributeur important - MK2 - et la maison de production Gloria Films. En sus des prix obtenus à Cannes, deux bonnes nouvelles ont été annoncées à Faouzi. D’une part, son film a été vendu pour une distribution au Canada, en Italie, en Suisse et en Belgique. D’autre part, il a reçu de multiples sollicitations pour des festivals aux États-Unis, en Australie, en Égypte et en Corée, entre autres. Sans compter le Festival International du Film de Marrakech où Mille mois trouvera tout naturellement sa place.
Si, en France, la sortie en salles est prévue en octobre, le public marocain devra patienter au moins jusqu’à la fin de l’année. Certains thèmes ne manqueront pas de faire réfléchir le spectateur. Tout spécialement ceux de l’autorité - matérialisée par la chaise de l’instituteur rural - de l’arbitraire du pouvoir - l’action se situe en 1981, pendant les « années noires » - de la condition féminine - l’un des personnages, fille de caïd, est une sorte de pionnière de la libération à laquelle aspirent les femmes marocaines d’aujourd’hui...
Pour Faouzi Bensaïdi, extêmement soucieux du détail, la place de la lumière est primordiale, de même que celle du son. Lorsqu’on émet des regrets sur sa très fréquente utilisation de plans larges ou fixes, il réplique “ que le plan large contribue énormément au parti pris esthétique du film Mille mois est anti-télévision. ” À voir donc impérativement en salle obscure...
Quoi qu’il en soit, personne ne pourra prétendre qu’il fait un cinéma facile. Lui-même qualifie sa démarche artistique d’elliptique, tout en attachant une grande importance à ce qu’on la comprenne. “ J’aime bien déjouer les attentes du public ”, dit-il, l’oeil pétillant de malice.
Et d’ajouter, ce qui est la marque des vrais créateurs :
“ Je propose une manière personnelle de regarder le monde et les êtres ”.
Couleurs Marrakech
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