Ils ont quitté le gouvernement, ses fastes et ses honneurs. Ils étaient médiatisés et sont désormais invisibles. En attendant leur come-back, TelQuel est parti à la recherche des grands absents du gouvernement El Fassi. Le 15 octobre 2007 a fait quelques heureux, mais surtout beaucoup de déçus. Au moment où le gouvernement Abbas El Fassi posait pour la photo de famille, les ministres non reconduits pensaient déménagement et reconversion : quitter son logement de fonction, se séparer de sa rutilante Mercedes, se trouver une nouvelle occupation, voire un nouveau job.
Certains ont trouvé un point de chute dans leur fief électoral, d’autres sont retournés à leurs premières amours, les affaires ou encore… la littérature. Mais pour la plupart, un retour aux premiers plans de la scène politique reste l’espérance ultime. Heureusement, le Palais sait reconnaître les siens. Les plus fidèles peuvent lorgner - gratification suprême - une place au cabinet royal. Pour les autres, le Palais a créé un système très efficace de “récompense pour service rendu à la nation” : postes d’ambassadeur, présidences de commission, de hauts commissariats ou d’entreprises publiques…
Il y a quelques années, Ahmed Lahlimi, ministre des Affaires générales de Youssoufi, se voyait offrir un haut commissariat au plan taillé sur mesure. Khalid Alioua, ministre de l’Education, héritait de la présidence du CIH, et Omar Azziman, fraîchement retraité de la Justice, était nommé président du CCDH avant de récupérer un fauteuil d’ambassadeur à Madrid. Quatre mois après la formation du nouveau gouvernement, rien de tout cela pour les disparus de l’ère Jettou. Et en attendant l’appel du roi, il faut bien s’occuper. Comment gérer le passage de l’agenda surchargé de ministre à la douce routine de l’anonymat ? Tous n’ont pas encore trouvé la recette miracle.
Driss Jettou [ Premier ministre 2002-2007 ]
N’a pas (re)trouvé chaussure à son pied
Au moment de tirer sa révérence, Abderrahmane Youssoufi avait été reçu par Mohammed VI, qui l’avait félicité de son action à la tête du gouvernement. Cinq ans plus tard, malgré les applaudissements médiatiques, rien de tel pour Driss Jettou. Mais le chef du gouvernement sortant n’est pas homme à s’en formaliser. Le propriétaire de la marque de chaussures Au Derby est revenu à son quotidien de businessman. Sa stature d’homme d’Etat lui permet désormais de jouer les chevaliers blancs et les entremetteurs. C’est par exemple lui qui a arbitré le conflit opposant Rachid Jamaï (patron du groupe éponyme) à Anas Sefrioui (président du groupe Addoha) pour l’acquisition du géant immobilier Biladi. Régulièrement annoncé au cabinet royal, il semble avoir du mal à se satisfaire des quelques hectares de terres agricoles près de Marrakech, dont le Palais lui aurait confié la gestion.
Nabil Benabdellah [ Ministre de la Communication 2002-2007 ]
Son silence est d’or…
Très discret sur ses intentions, le si volubile Monsieur médias du PPS goûte désormais aux joies du silence. De ses cinq ans à la tête du ministère de la Communication, on a surtout retenu une chose : un ancien communiste peut aussi être le défenseur le plus zélé des intérêts makhzéniens. À l’aise sur tous les terrains, Nabil Benabdellah ne désespère pas de retrouver un poste à la mesure de son ambition. Un temps pressenti pour reprendre les rênes de 2M, il a finalement décliné la proposition, refusant ce qui aurait pu ressembler à un désaveu pour l’ex-ministre de tutelle de… 2M. En tout état de cause, même après une défaite remarquée aux législatives à Témara, l’avenir de Nabil Benabdellah se trouve au PPS. Les mauvaises langues croyaient qu’il avait cédé aux sirènes d’El Himma et de son “Mouvement de tous les démocrates”. Il n’en est rien : cet interprète de formation nous a confié sa fidélité à l’égard de son parti de toujours, “mais je reste ouvert à la discussion. J’attends que la démarche d’El Himma soit clarifiée”, nuance-t-il. Quoi qu’il en soit, Nabil Benabdellah n’a rien perdu de la verve qui a fait son succès : admiratif de ses talents de communicateur, le roi l’aurait choisi pour prendre la tête d’un organisme de lobbying international pour lui.
Adil Douiri [ Ministre du Tourisme 2002-2007 ]
Retour aux affaires
Adil Douiri était l’une des grandes révélations parmi les technocrates du gouvernement Jettou. Ministre de poids, il misait sur son bilan aux commandes du Tourisme. Pressenti aux Finances après la victoire de l’Istiqlal aux législatives, il n’a pas eu gain de cause. Il ne figurera même pas dans la liste des 33 ministres de Abbas El Fassi. L’homme aurait fait la fine bouche : “les Finances sinon rien !”. Aujourd’hui, Adil Douiri a retrouvé les salons feutrés des milieux d’affaires. Le fondateur de Casablanca Finance Group (CFG) est ainsi en passe de lancer un nouveau fonds d’investissement. Et son nom avait circulé pour prendre la relève de Noureddine El Omary à la tête de la BCP, rumeur qui s’est rapidement dégonflée avec la nomination de Mohamed Benchaâboun. Et la politique ? “C’était une bonne expérience”, se contente-t-il de répéter à ses proches. La parenthèse serait-elle fermée ? L’homme, qui avait déjà boudé les législatives, ne se montre plus aujourd’hui aux réunions de l’Istiqlal.
Mohamed El Gahs [ Secrétaire d’Etat à la Jeunesse 2002-2007 ]
Les absents ont toujours tort
L’ancien patron de Libération était l’étoile montante de l’USFP. Élu aux législatives de 2002, puis nommé secrétaire d’Etat, il avait aussi fait son entrée au bureau politique du parti de Mohamed Elyazghi. Ses rapports avec le patron de l’USFP sont alors au beau fixe. Au gouvernement, il fait très vite parler de lui avec sa campagne “vacances pour tous”. Mais voilà ! En 2006, la belle mécanique s’enraye : il claque la porte de Libération, ses relations avec Elyazghi se détériorent au point qu’il présente sa démission du bureau politique. Et il ne se porte pas non plus candidat aux élections de 2007. Cerise sur le gâteau, Elyazghi l’écarte du gouvernement El Fassi. Le soutien du Palais n’aura apparemment pas suffi. Résultats des courses : El Gahs ronge son frein pendant quatre mois. Il a bien tenté de prendre la parole sur 2M la veille d’un conseil national de l’USFP. Mais là encore, Elyazghi est intervenu pour demander le report de l’émission. On a alors annoncé qu’El Gahs avait obtenu une place au cabinet royal, expliquant ainsi ses absences répétées au parti. Rien de tout cela en fin de compte. Lentement mais sûrement, Mohamed El Gahs revient dans l’arène politique. Conforté par les déboires d’Elyazghi, il se montre désormais aux réunions du parti tout en se faisant discret. Mais l’USFP pourra-t-elle lui pardonner sa longue absence ?
Mohamed Benaïssa [ Ministre des Affaires étrangères 1999-2007 ]
L’ambassadeur sédentaire
L’ex-ministre de souveraineté est désormais pressenti au cabinet royal. L’ancien ambassadeur a en effet gardé de ses années américaines de solides amitiés et, surtout, un appui sans faille, celui du prince saoudien Bandar bin Sultan. C’est à lui déjà qu’il devait le portefeuille (presque) honorifique de ministre des Affaires étrangères, détenu pendant près d’une décennie. Flanqué d’un lieutenant plus puissant que lui, en la personne de Taïeb El Fassi Fihri, Mohamed Benaïssa a su se montrer discret quand il le fallait. Ces derniers temps, il a réinvesti le Conseil municipal de sa circonscription. Président de la communauté urbaine d’Asilah depuis plus de vingt ans, l’homme a beaucoup d’obligés. De fait, la petite bourgade du Nord porte – et pour longtemps encore – la marque Benaïssa : de grands projets, mais pas toujours menés à bien, et de grands moyens, mais rarement profitables. La bibliothèque, construite avec des deniers saoudiens et vendue comme une des plus importantes d’Afrique, n’a pas encore ouvert ses portes. La Marina, dont on croyait la construction imminente, est toujours au point mort. Aux dernières nouvelles, l’homme se présentera à nouveau aux prochaines communales. Et Asilah reste suspendue au destin d’un Mohamed Benaïssa… qui vise en fait beaucoup plus haut.
Fathallah Oualalou [ Ministre des Finances 1998-2007 ]
Le vrai-faux recalé
Il était le plus capé des ministres en activité. L’économiste en chef du gouvernement Jettou espérait la primature en cas de victoire de l’USFP aux législatives. La désillusion des élections n’en a été que plus grande : à quel ministère aurait-il bien pu prétendre après avoir trôné si longtemps aux Finances ? Fathallah Oualalou s’est alors rabattu sur la direction de son parti. Même une carrière au FMI, auprès de son ami Dominique Strauss-Kahn, ne l’intéresserait pas : “Mon destin est national et non pas international”, explique-t-il dans un clin d’œil faussement modeste. Ses supporters le qualifient déjà de favori dans la course au premier secrétariat de l’USFP. En cas d’échec, l’ancien professeur du roi pourrait toujours - et ce n’est pas la pire des options - être repêché par le Palais.
Mohamed Achâari [ Ministre de la Culture 1998-2007 ]
De la culture à la campagne
Comme s’il avait préparé de longue date sa sortie, l’ancien ministre USFP mène aujourd’hui une retraite paisible. “Il se ressource et prépare un livre”, nous confie un proche. De fait, partagé entre sa villa de Rabat et sa petite maison de campagne, Mohamed Achâari est revenu à la poésie. Sans pour autant renier son identité socialiste. En cette période de troubles à l’USFP, il assiste régulièrement aux réunions du bureau politique. Chaque samedi, au nouveau siège de Rabat, il retrouve les ténors du parti pour des réunions marathon. Tous savent que leur avenir au sein du parti se joue dans les mois à venir. Mais pour Mohamed Achâari, l’intérêt semble ailleurs : il fait désormais de la politique comme on fait du sport : pour garder la forme et les idées claires !
Habib El Malki [ Ministre de l’Education 2002-2007 ]
Une fenêtre d’opportunité
Habib El Malki préfère ne pas revenir sur son éviction du gouvernement. “Le feuilleton de la formation du gouvernement est terminé”, lance-t-il. L’USFP refusait certes de rempiler à l’Enseignement, mais Habib El Malki était disposé à prendre la tête d’un autre département. Son élection pour un troisième mandat à Bejaâd n’aura visiblement pas suffi. Car, quoi qu’en disent ses partisans, son bilan au ministère de l’Enseignement pèse encore lourd dans la balance. Mais la page du gouvernement est désormais bel et bien tournée. Place à d’autres batailles : “Je suis très actif au sein du parti. Mon rythme de travail n’a pas changé”. Et pour cause… El Malki est en lice pour la succession de Mohamed Elyazghi. Présent au Parlement, mais absent du gouvernement, il est l’outsider idéal. La présidence du Centre marocain de la conjoncture (CMC) est un autre de ses atouts. “Le taux de croissance ne sera pas de 6,8% comme l’a annoncé le gouvernement”, prédit-il. Et d’ajouter : “Dans quelques jours, le CMC rendra publiques les prévisions économiques pour 2008. Et ce n’est qu’un avant-goût”.
Mohamed cheikh Biyadillah [ Ministre de la Santé 2002-2007 ]
Un Sahraoui dans la ville
Il devait sa place dans le gouvernement Jettou à ses origines sahraouies. Depuis sa non-reconduction, Mohamed Cheikh Biyadillah fait le dos rond. Il n’a pas pour autant quitté Rabat où il a repris la routine de son métier de médecin. “J’ai beaucoup plus de temps pour lire”, se plaît-il à rétorquer à ses proches. À croire que perdre un maroquin rend philosophe : nos ex-ministres, une fois retombée l’agitation médiatique, succombent souvent à l’appel des lettres. Question politique, Mohamed Biyadillah attendait l’occasion de sortir du bois. C’est chose faite, avec sa présence remarquée sur la liste des signataires de l’appel adressé par Fouad Ali El Himma “à tous les démocrates”. Désormais, il est le Monsieur Sahara du team El Himma.
Nezha Chekrouni [ Ministre déléguée aux MRE 2002-2007 ]
Mère courage
Nezha Chekrouni avait déjà du mal à exister politiquement au sein du gouvernement Jettou. Impuissante, voire désavouée sur la plupart des dossiers, son ministère avait pris des allures de simple direction. À la rentrée, la situation n’a fait qu’empirer : tête de liste USFP à Meknès, elle échoue aux élections du 7 septembre. Mais à cœur vaillant rien d’impossible : “Mon échec aux législatives ne m’a pas démotivée. Au contraire. Je vise maintenant les communales de 2009”, nous confie-t-elle. Depuis quelques semaines en effet, Nezha Chekrouni se consacre entièrement à la vie de son parti. “C’est un travail à plein temps”, argumente-t-elle. Elle prépare “le Congrès de tous les espoirs”, prévu en mai prochain. Et, en tant que membre du bureau politique de l’USFP, l’ancienne ministre des MRE est très sollicitée. Son horizon semble néanmoins un peu bouché : au mieux, elle garde sa place au bureau politique et est élue aux communales de 2009. Pour les jours de disette, il lui restera son poste d’enseignante de linguistique.
Source : TelQuel - Souleïman Bencheikh
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