E.Lam Jay aurait pu continuer à se la couler douce, en Suisse par exemple, où il a grandi et où "la qualité de vie est extraordinaire". Mais il a choisi de venir construire sa vie au Maroc. "Il faut bien que je rentre chez moi pour apporter quelque chose de nouveau", explique-t-il calmement, comme une évidence. "De toute manière, je n’ai rien à apporter dans les autres pays", renchérit-il.
Fier de ses origines, E. Lam explique qu’il veut tout donner pendant qu’il est en temps, plutôt que de rentrer "au bled" à l’âge de 45 ans, juste pour frimer et "faire sa star".
Ambiance épurée et pomponnée, mélange de clip R’n’B et de grosse boîte américaine, tout est "stylé" à Platinium, filiale du major Universal où rien n’est laissé au hasard. E.Lam dirige sa nouvelle boîte de production musicale depuis la fin de l’année 2003. Son associé, Abdeslam Ababou, est avant tout un ami, rencontré grâce à par des fréquentations communes, lors de vacances au Maroc. C’est le hasard de cette rencontre qui l’a fait revenir à Casablanca et fonder Platinium. E.Lam Jay a un "challenge" : assurer un professionnalisme impeccable pour lancer les jeunes talents marocains à travers le monde. Les signer, les produire pour pouvoir les faire distribuer un peu partout, à coups de "show case" et autres campagnes de pub.
Seule ombre au tableau, la F.O.L, et les jeunes musiciens qui y fourmillent, ne lui évoquent rien. E. Lam n’est pas encore tout à fait d’ici et pour lui, c’est plutôt le terme de "produit" qu’il prend plaisir à mettre en avant. Ses références aujourd’hui, ce sont les "structures" qu’il a vues en Égypte, en Turquie, au Liban, en Europe ou aux Etats-Unis. Ce qu’il veut, c’est "faire une autoroute pour les jeunes artistes" et, "à long terme", insiste-t-il, "créer des richesses pour le pays".
Casablancais de naissance, parti avec sa famille pour les verts pâturages de la Suisse à l’âge de quatre ans, le chanteur d’"Al Maghribia" chante depuis toujours. A cinq ans, avec sa voix cristalline, il était de ceux qu’on fait chanter un peu partout à l’école, aux kermesses, dans les repas de famille, bref, à chaque fois qu’une occasion festive se présentait. Tout au long de son enfance, "heureuse", aime-t-il préciser, il a rêvé de faire carrière. Malheureusement, il n’échappe pas au lot dont hérite chaque garçon à l’adolescence : sa voix, en muant, tire dans les graves. Il perd espoir, change de cap, et croit enterrer ses rêves de chanteur. Avec sa "Maturité scientifique", équivalent du baccalauréat en Confédération helvétique, il s’imagine finalement devenir pilote d’avion.
Loin d’oublier le domaine artistique, il se tourne vers la danse, pensant ne plus rien pouvoir faire de son timbre caverneux. Ce n’est qu’au bout de quelques années que le ténor découvre qu’il peut contrôler ses cordes vocales, et qu’il retourne à la chanson. Entre-temps, il aura fondé une école de danse à Genève en 1995. A force de danser avec ses 80 élèves sur des chansons qui ne sont pas de lui, il finit par écrire ses propres morceaux. Le matheux revient définitivement à la chanson et signe un contrat pour sa troisième chanson, "Free". Sa carrière de chanteur démarre et l’emmène à travers le monde.
Dans les rues de New York, aux Halles de Paris, il se remémore ses rencontres avec les danseurs de hip hop, break dance, etc. Pour lui d’ailleurs, "la musique vient de la rue". Il lui arrive de chanter à l’Olympia ou à l’Arena (Turquie).
Sa chanson Al Maghribia, tube officiel de la candidature marocaine pour la Coupe du monde 2010 lui a prouvé que la musique peut être un vrai "projet de développement fédérateur au Maroc". Il s’explique, un brin prétentieux : "Les gens ont carrément adopté la chanson. Tout le monde s’est levé". Mais c’est pas encore gagné. Parce que "pour que les choses bougent, il faut changer les mentalités. On se bat chaque jour pour montrer que la musique est quelque chose de sérieux. Les Marocains aiment bien s’éclater dans les boîtes, mais tout ce qu’il y a derrière une chanson, le management et le reste, c’est pas leur truc. Alors que ça compte si on veut créer des stars". C’est pour ça qu’ E.Lam a du boulot. "L’auteur, compositeur, producteur, arrangeur, chorégraphe et réalisateur", d’une dizaine de courts et de super courts métrages, compte s’attaquer aussi au cinéma.
Mais il se dit confiant. Pour la première fois, il a rencontré le public marocain, à l’occasion d’un concert gratuit organisé à Casablanca, pour fêter la candidature du Maroc pour 2010. La chaleur des gens lui a fait plaisir, certains sont restés jusqu’à 23 heures pour assister à sa prestation de quelques minutes et avoir quelques autographes. Ça lui a fait chaud au cœur. D’ailleurs, il s’étonne que sa chanson, disque platine au Maroc, soit plus de 25000 titres vendus, ne soit pas piratée et vendue à Derb Ghelef. Il s’étonne aussi de la tolérance dont il jouit vis-à-vis de son style. Avec ses cheveux longs et son look de beau gosse, il s’attendait à plus de remontrances ou de critiques par les passants, dans la rue.
Non, ce qui l’embête plus, c’est l’absence de sa mère, restée à Genève. Au ton qu’il prend pour en parler, on pourrait croire qu’il ne la reverra plus jamais. Un blanc s’installe, une minute de silence. Dans sa vie, la famille a une place de premier ordre. C’est sûrement pour ça que sa femme le suit partout et que son pseudonyme vient du prénom de sa petite sœur, Ilham, qui signifie aussi "inspiration".
Dans son petit polo à manches longues, écru et près du corps, E.Lam ne se la raconte pas et discute posément. Mince collier et petit bouc lui dessinent le visage. Sa femme Mirela, belle plante roumaine dans un ensemble en jeans, traits marocains, taille mannequin et allure californienne, se tient à ses côtés. Elle l’assiste en tant qu’"artist research". C’est elle qui chante dans le clip d’"Al Maghribia", à dos de chameau, et qui appelle le Maroc à la victoire. Entre carrière de chanteur et industrie musicale et bientôt cinématographique, le quotidien d’E.Lam Jay est désormais très chargé.
Le Journal Hebdo
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