C’est à Paris, capitale des Lumières et de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qu’il fallait chercher la femme. Pas n’importe laquelle. La femme maghrébine, plus précisément celle au coeur du changement, de la Tunisie au Maroc en passant par l’Algérie, a été déclinée, décortiquée, le temps d’une table ronde organisée à l’Institut du monde arabe (IMA) par le premier journal électronique marocain lobservateur.ma et l’hebdomadaire français Le Point.
Ce vendredi 28 novembre, dans un Paris froid et pluvieux, la salle du haut conseil de l’Institut du monde arabe pensait résolument Maghreb.
La femme, celle par qui le changement arrive, d’une Algérie en proie à la guerre civile au Maroc où une révolution de velours a donné à voir un nouveau Code de la famille, à, enfin, une Tunisie en pointe quant au statut de ses femmes, se faisait expérience, d’un pays à l’autre, entre archaïsmes et avancées.
« L’organisation d’un débat en France sur la situation de la femme au Maghreb répond au souci de faire connaître les progrès aussi bien que les reculs que nous enregistrons dans ce domaine, les difficultés rencontrées en vue de trouver les meilleures contributions à leur solution et, enfin, faire participer une communauté maghrébine tiraillée entre son intégration au pays hôte et sa quête, parfois désespérée et désespérante, d’une identité propre », explique Ahmed Charaï, directeur de lobservateur.ma.
C’est donc Paris qui a accueilli cette rencontre alors qu’au même moment un débat passionne le microcosme politique français : la laïcité, sur fond d’une polémique sourde sur le port du voile, comme signe ostentatoire de la religion dans une république portant sa laïcité en étendard. Il en sera longuement question ce vendredi à l’IMA. Hamida Bensaïdia, administratrice de « Léo Lagrange Solidarité internationale », est Française mais ne renie en rien ses origines algériennes.
Profondément laïque, elle est, contre toute attente, l’ardente avocate du nécessaire respect de l’autre, porteur de différence. Elle pourfend la polémique sur le port du voile islamique, s’indigne devant le renvoi des établissements scolaires de ces très jeunes filles musulmanes qui ont fait le choix du foulard et en appelle à un vivre-ensemble en terre française, multicolore et multiculturelle.
Le voile, dit-elle en substance, n’est pas contradictoire avec l’émancipation. « Ici en France, nous sommes à un moment de changement. Il est venu, là aussi, par les femmes porteuses de voile. La question est aujourd’hui de savoir si la République française est capable d’accepter que nous vivions ensemble, parce que justement nos modèles culturels ne sont pas les mêmes ».
La Marocaine, en son statut réformé, sera incontestablement la vedette de cette table ronde. Najat Ikhiche, militante de la Ligue démocratique pour les droits des femmes ; Nouzha Skalli chef du groupe parlementaire du PPS et Soumia Benkhladoune député battant pavillon et voile PJD diront, chacune à sa manière, les changements du Code de la famille et la dignité retrouvée des femmes.
« L’acte politique du Roi Mohammed VI est très courageux »
La députée européenne Hélène Flautre connaît bien le Maghreb et surtout ses femmes. Vice-présidente de la délégation Maghreb au Parlement européen, elle témoigne de ce Maroc qui s’est réconcilié avec la moitié de sa société. « Il ne faut surtout pas sous-estimer ce qui se passe au Maroc.
Ce qu’ a fait le Roi Mohammed VI est un acte politique extrêmement couargeux » s’exclame-t-elle, faisant référence à la réforme de la Moudaouana. Même discours chez Hamida Bensaïdia, portant cheveu court et verbe haut : « Il faut rendre hommage au Roi du Maroc. Mohammed VI a fait preuve d’un certain courage car aux attentats du 16 mai il aurait pu répondre par la violence. Au contraire, il a choisi l’ouverture avec la promotion des droits des Marocaines et la lutte contre la misère sociale, celle qui nourrit les utopies extrémistes ».
Les Marocaines ont raconté ce nouveau Maroc, ces nouveaux droits des femmes, ce nouvel espoir. Elles ont dit aussi comment ce pays revenait de loin, depuis l’infâme combat mené contre le plan d’action en faveur de l’intégration de la Marocaine au développement. Rappel utile et historique de Najat Ikhiche, cœur battant de la Ligue démocratique des droits des femmes.
« La réforme du Code de la famille n’est pas née de rien. Ce sont 30 années de combat des Marocaines pour qu’il soit mis, à l’injustice, à la discrimination, à la violence juridique. Malgré la campagne violente contre le plan d’action, les femmes ont continué à se battre pour le changement du Code du statut personnel et pour que la Marocaine devienne citoyenne et actrice du changement. Cette réforme a brisé un tabou, le statut de la femme n’est plus seulement une affaire de ouléma. Le Code de la famille est désormais une loi ordinaire et le Parlement va bientôt en débattre ».
Et si les droits de la Femme étaient tout simplement une affaire de démocratie ? Peut-on prétendre à la démocratie en reléguant la moitié de la société ? Non, réplique la députée Nouzha Skalli, première Marocaine chef de groupe parlementaire. Et d’évoquer tous les efforts - malgré les obstacles et les résistances- menés pour que le Maroc devienne un pays normal et la femme un être normal. « Au Maroc, la situation de la femme est à la fois le verre à moitié plein et le verre à moitié vide. 35 femmes au Parlement par la grâce du quota, mais dans le même temps 70% des femmes analphabètes et une pauvreté qui se féminise ».
Les Marocaines n’ont-elles désormais plus rien à envier aux femmes de Tunisie, ce pays longtemps exception dans le monde arabe en réhabilitant dès 1956 ses femmes dans leurs droits ? L’avocate et militante de la Ligue des droits de l’Homme tunisienne est formelle : son pays est bel et bien celui des paradoxes. « La Tunisie a aboli la répudiation et la polygamie en 1956 mais les femmes ne sont toujours pas des citoyennes malgré tous ces droits et ces acquis. Le statut de la femme est aujourd’hui un instrument de lutte politique. Les Tunisiennes qui ont le plus de droits dans le monde rabe ne jouissent pas d’un droit essentiel, celui de parler... ».
A l’IMA, dans le froid parisien, l’exception se faisait de plus en plus marocaine. Le Royaume avait tranché, à sa manière, la question de la spécificité et l’universalisme. Grâce aux droits retrouvés de ses femmes. La députée islamiste et francophone Soumaia Benkhaldoune en sera un bel exemple lorsqu’elle s’appliquera à démontrer que « l’égalité des hommes et des femmes n’est pas incompatible avec l’Islam ». Commentaire inspiré de Nouzha Skalli, une PPS convaincue : « Le PJD des islamistes a bien de la chance d’être représenté par cette jeune femme ! »
Le Matin
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