N’avez-vous pas l’impression d’arriver un peu tard avec votre plan de relance anti-crise ?
D’abord, il est faux de parler de relance puisque nous ne sommes pas en récession, bien au contraire notre taux de croissance reste fort. Nous avons un plan de soutien aux branches touchées par les conséquences de la crise internationale.
Avec le ministre des Finances, dès le mois de septembre 2008, on s’est mis d’accord pour surveiller de près la situation avec une commission ad hoc. Le Maroc était donc très vigilant contrairement à ce qui s’est dit et écrit. En février quand sont apparus les premiers impacts sur le textile, le cuir et les composants automobiles, nous avons élargi et transformé cette commission en commission de veille, présidée par le ministre des Finances. Nous pourrons par la suite établir un dialogue avec les syndicats, comme nous l’avons fait avec le patronat et les différentes associations professionnelles. Nous encourageons l’exportation et, pour nous, l’important c’est de maintenir l’emploi et les compétences.
A combien évaluez-vous l’impact de la crise ?
Difficile à dire. Aujourd’hui, on ne peut véritablement pas évaluer cet impact, puisque les prévisions de croissance mondiale, particulièrement celles de nos partenaires, sont constamment révisées. Nous mettons déjà 1,3 milliard de DH dans le plan de soutien, sous des formes diversifiées et adaptées aux besoins des entreprises.
Mais dans le lot, ne risque-t-on pas de soutenir des canards boiteux ?
Non car les critères sont très fins, très étudiés. Avec notre commission de veille, nous serons capables à tout moment de modifier le dispositif en fonction des besoins. Je veux souligner que, grâce à la diversification, à la consolidation de nos finances publiques et à la solidité de notre secteur financier, le Maroc a fait preuve d’une bonne résistance aux chocs et aux turbulences internationales, qui n’ont pas manqué tout au long de l’année 2008. Il maintient même sa croissance sur un rythme fort, à 5,8%. L’inflation est maîtrisée à 3,9%, et le taux de chômage a diminué de 9,8% en 2007 à 9,6% l’année dernière. En 2009 nous anticipons un taux de croissance comparable. Si vous tenez à une évaluation de la crise, peut-être peut-on dire 1,5 à 2 points de PIB. Il s’agit bien d’un ralentissement de la croissance, pas du tout d’une récession.
Comment ce plan de relance s’articule-t-il avec Emergence signé en grande pompe il y a deux semaines ?
Emergence, une réponse structurelle à la crise dans le sens où il prépare l’après-crise, puisqu’il développe les métiers mondiaux du Maroc et améliore l’offre-Maroc. C’est un plan stratégique de développement intégré du secteur industriel, qui accompagnera et fera la promotion des secteurs porteurs dans lesquels le Maroc peut exceller rapidement. Ces secteurs se placeront avantageusement dans la chaîne de valeur mondiale. Emergence offre plus de visibilité pour les opérateurs économiques et projette aussi bien le développement de nos principales filières industrielles que l’adaptation de la formation aux besoins de l’industrie, le renforcement de la compétitivité de la PME, ainsi que l’amélioration du climat des affaires. Emergence s’inscrit dans une logique de contractualisation en consacrant la démarche partenariat public/privé.
Est-ce un projet royal plutôt qu’un projet de votre gouvernement ?
N’allez pas inventer des histoires. Lorsque les plans stratégiques ont des échéances dépassant la durée d’une législature, l’appui et l’impulsion du Souverain constituent un soutien capital pour assurer leur pérennité. C’était le cas du plan Azur pour le tourisme, de la vision 2015 pour l’artisanat et du plan Maroc Vert pour l’agriculture. Le « pacte national pour l’émergence industrielle », puisque c’est son vrai nom, entre tout à fait dans ce cas de figure.
Chez nos partenaires économiques, on voit monter le protectionnisme et des discours parfois xénophobes, notamment en matière d’investissements à l’étranger. Qu’allez-vous faire pour contrecarrer les effets de ces phénomènes ?
Il y a quelques réactions, ici et là, parfois protectionnistes. Mais heureusement, le Maroc continue de bénéficier de la confiance des investisseurs étrangers et de mettre en avant ses facteurs de compétitivité et d’attractivité. Vous avez vu les projets d’investissement d’envergure que nous avons approuvés lors de la dernière réunion de la commission des investissements en janvier. Ils atteignent près de 20 milliards de DH et créeront plus de 5600 emplois. Vous avez vu la lettre d’intention pour un investissement dans le domaine du tourisme de santé de 1,8 milliard de dollars signé à Davos. Nous comptons renforcer cette confiance dont jouit notre pays. Nous voulons aussi diversifier. Nous avons donc des stratégies claires pour promouvoir l’offre Maroc. Nous allons, en particulier, doter l’Agence marocaine de développement des investissements de moyens lui permettant d’entreprendre une démarche proactive envers les investisseurs potentiels.
Lors de la campagne électorale, votre parti avait évoqué l’idée de moduler les taux d’impôt sur les sociétés en fonction de la taille de l’entreprise. Deux lois de Finances plus tard, il n’y a toujours rien dans ce sens...
Vous savez bien que notre gouvernement est un gouvernement de coalition. Nous nous sommes engagés, dans la déclaration gouvernementale, à réduire le taux de l’impôt sur les sociétés de 35 à 25%. Nous sommes déjà passés à 30% en 2008. Cette année nous voulons améliorer le niveau de capitalisation des entreprises. C’est le sens de l’abattement de 20% sur l’IS pour toute entreprise qui procède à l’augmentation de ses capitaux propres. Il n’empêche que nous avons en cours une réflexion sur l’imposition différenciée pour la très petite entreprise.
Tous les partis ont tenu leur congrès, y compris le PAM. Comment se préparent les élections communales et qu’est-ce que cela apporte à la majorité ?
D’abord l’Istiqlal n’a pas pris ombrage de l’existence des partis politiques car il a toujours été pour le pluralisme. Avant l’indépendance, notre leader Allal El Fassi, dans l’ouvrage « l’Autocritique », avait écrit que le Maroc indépendant doit opter pour le multipartisme. Et d’ailleurs, le 15 novembre 1958, le code des libertés publiques a été promulgué alors que le président du Conseil était Ahmed Balafrej, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal. Après, il y a eu beaucoup de recul dans ce domaine. On peut expliquer le faible taux de participation par le nombre de listes et de partis politiques. Et finalement, il y a un mimétisme en ce qui concerne les programmes vu qu’il y a 33 partis, donc 33 programmes qui se ressemblent. C’est là où résident les craintes pour le taux de participation.
Curieuses critiques de l’USFP
Pensez-vous que pour les élections communales, ce taux sera plus élevé ?
Oui, puisqu’il s’agit d’élections de proximité. Mais il y a un devoir pour la majorité d’être bien soudée, d’aller groupée aux élections et de défendre sans complexe le bilan du gouvernement concernant le développement économique et social dans les communes urbaines et dans le monde rural.
Y compris avec le PAM ?
Bien sûr, j’ai tenu des réunions avec la majorité et Hassan Benaddi a toujours assisté au nom du PAM. Le problème existe au sein des partis avec des tendances, des courants. Au sein du gouvernement, il n’y a jamais eu de divergence, bien au contraire, l’entente est parfaite.
Mais vous prenez des décisions au sein du Conseil de gouvernement, validées par les ministres de l’USFP. C’est le cas de la ponction sur le salaire des grévistes. Et le même parti vous critique pour cette décision. Comment expliquez-vous ce double langage ?
Il y a des critiques qui ne sont pas objectives. Rappelons que l’USFP a présidé le gouvernement pendant 5 ans et elle est dans la majorité depuis 11 ans, c’est aussi son bilan.
L’Etat a décidé de nettoyer un petit peu la gestion municipale, celle des entreprises, l’argent de la drogue... C’est une volonté pour aller loin ou juste pour éliminer des concurrents ?
Non, c’est une volonté politique. Cela ne concerne pas uniquement la gestion des communes. D’abord, il y a de plus en plus de procès où des personnalités civiles et militaires font l’objet de poursuites judiciaires.
Ensuite, il y a l’Instance centrale de lutte contre la corruption, indépendante de l’exécutif et composée de 44 représentants notamment du gouvernement, de la société civile, des centrales syndicales et des associations des droits de l’homme. Nous comptons beaucoup sur cette instance. De même, les lois sur la déclaration du patrimoine ont été publiées au Bulletin officiel.
C’est peu pour la moralisation de la vie publique ?
Tout le monde est d’accord qu’il y a de la corruption au Maroc, cela reste la tare, la petite et la grande. Mais nous essayons de moraliser la vie publique. A la suite du discours de SM le Roi, nous avons formé une commission pour étudier le système des privilèges. Nous avons demandé aux ministres de nous dresser la liste des privilèges octroyés grâce à leur pouvoir discrétionnaire.
Même les agréments de transport...?
• Tout, même les communes donnent des kiosques, des terrasses de café… Nous allons nous réunir cette semaine pour voir comment mettre tout ça en pratique.
Pensez-vous que la carte politique évoluera après les élections de juin prochain. Et si elle évolue beaucoup, allez-vous changer votre gouvernement ?
Le principe dans toutes les démocraties est qu’un gouvernement est l’image et le résultat des élections législatives. Bien entendu, s’il y a un raz-de-marée d’un parti politique ou un échec cuisant d’un autre aux communales, Sa Majesté avisera.
Vous ne bougez pas ?
Cela dépend du Roi ou du vote de motion de censure. Je pense que je fais bien mon travail dans l’impartialité. Mes journées sont chargées. Ensuite, il y a ce que je fais sur le plan international. A ce jour, j’ai représenté SM le Roi dans plusieurs sommets, rencontres internationales ou régionales. Cette semaine, je me rends en Indonésie pour le sommet et économique de l’Organisation de la conférence islamtique.
Vous avez pris plusieurs mesures pour améliorer le pouvoir d’achat des citoyens. Cela va certainement améliorer nettement vos scores aux élections communales ?
Certains m’ont reproché d’être généreux. Je ne l’ai pas fait pour le Parti de l’Istiqlal, mais pour la stabilité du pays. Les syndicats doivent changer leur façon de faire. Dans tous les pays du monde, après un dialogue social, on signe un PV. Chez nous, les syndicats refusent les résultats du dialogue social. Je rappelle que le gouvernement respecte les syndicats et il est prêt au dialogue. Avec le gouvernement, j’ai décidé d’avoir deux rounds de dialogue. Le premier en avril pour tout ce qui concerne les salaires et traitements et le second en septembre consacré aux dossiers institutionnels, notamment le droit de grève et les libertés syndicales. Les centrales ont laissé de côté ces dossiers pour demander les augmentations de salaires et traitements. Remarquez qu’ils n’appellent pas à la grève dans le secteur privé à cause des retenues sur salaire. Aujourd’hui, il est impératif d’organiser le droit de grève. Pour cela, il faut une loi organique. Les syndicats sont contre, mais je pense qu’il faut discuter pour sortir cette loi.
En France, 1,5 million de personnes ont défilé dans la rue, mais les autobus, le métro et le train ont circulé et les hôpitaux sont restés ouverts. Chez nous, certains sont fiers d’annoncer à la presse que l’hôpital Avicenne de Rabat était fermé le jour de la grève. Ce n’est pas normal, il faut assurer un service minimum. Et puis, le niveau de l’éducation nationale a baissé, nos enfants en pâtissent.
Sur la révision constitutionnelle, votre allié l’USFP monte au créneau. Et vous ?
Ce n’est pas de l’héroïsme que de demander la révision constitutionnelle. Cela a été vrai par le passé, dans les années de plomb. N’empêche, une réforme est nécessaire. Nous parlons notamment des attributions de la Chambre des conseillers, l’indépendance de la justice et l’élargissement du champ de la loi. Mais cela doit se faire en symbiose avec SM le Roi. Nous tirons la leçon de 1962 où certains avaient boycotté et nous avons eu 40 ans de méfiance.
Le timing est également important. En effet, c’est inadéquat de demander la réforme constitutionnelle à la veille des élections communales. Cela risque de peser sur le taux de participation. Pour les élections communales, les électeurs s’intéressent aux programmes, aux pistes, et à l’eau par exemple dans le monde rural.
Nous devons aborder la question constitutionnelle sans confrontation. D’ailleurs, pour la régionalisation, le Souverain va nommer des experts pour préparer une vision qui sera par la suite présentée aux partis pour consultation. Il y aura alors certainement une révision constitutionnelle. A cette occasion, nous présenterons nos propositions.
El Fassi : Le cuir des éléphants
Le Premier ministre ne ressemble pas à l’image qu’il a (qu’il donne ?). D’abord, le patron, c’est lui, dans son parti et dans son gouvernement. Autour de lui, ça tourne rond : pas de geste de trop, pas de loupé d’emploi du temps... Exit donc l’idée qu’il s’agit d’une personnalité effacée, voire faible. Ensuite, quand il n’a pas envie de répondre sur un sujet, impossible de l’y faire revenir : toujours en souriant, il va là où il veut et nulle part ailleurs. Bien sûr, de temps en temps, il fait savoir qu’il a trouvé injuste telle ou telle critique, pour laquelle il a d’ailleurs une mémoire d’éléphant.
Il a aussi le cuir de l’éléphant : les frondes gouvernementales ou parlementaires ou encore les pressions des groupes d’intérêt ne l’impressionnent pas, car il en a vu d’autres, plus dures, plus organisées au sein du plus vieux parti du Royaume. Pas de doute : il a bien intégré et pratique au quotidien sa double légitimité, celle que lui donne le Souverain et celle que lui donnent les urnes, ou plus exactement, son parti via les urnes. Pour lui, sa force est de les faire cohabiter pour produire des réformes, de la sécurité, de la croissance...
Dernier point : il absorbe d’une manière étonnante les idées autour de lui, pas dans le sens où il se les approprie (quoique...) mais dans le sens où il obtient que tout le système autour de lui en produise ; alors il se réserve de les organiser et d’imposer qu’elles entrent en pratique.
Internationalisation ? Oui, à deux conditions
Abbas El Fassi casse la vieille image de l’Istiqlal qui reposait sur une vision du développement refermée sur le Maroc.
Bon nombre d’entreprises marocaines avaient déjà entamé leur conquête régionale avant même la crise. « Leur volonté de s’internationaliser a engendré des prises de participation, principalement dans le continent africain, souligne le Premier ministre. C’est important, dit-il, « tant sur le plan économique en matière d’exportation des biens et services et de création d’emplois, que sur le plan politique en s’inscrivant dans l’élan de la diplomatie royale tournée vers ce continent ».
Il constate que l’Europe reste une destination « qui offrirait des possibilités pour notre tissu entrepreneurial en vue de se positionner et de conquérir de nouveaux marchés ». Et il ajoute fermement : « Nous sommes disposés à accompagner les entreprises marocaines dans leur démarche d’internationalisation ». Mais il pose deux conditions, une de stratégie socio-économique, l’autre de stratégie politique : « Leurs investissements doivent générer des richesses et par conséquent plus d’emplois pour notre pays, et permettre d’intensifier et de renforcer nos liens politiques et socio-économiques ».
Ce n’est pas une guerre contre le PJD
Après les mésaventures du PJD, certaines critiques ont laissé entendre que l’Etat chercherait à affaiblir ce parti à la veille des élections. Le Premier ministre réfute cette affirmation. Pour lui, le PJD est un parti démocrate. « Ce n’est pas une guerre contre ce parti. Il a eu des problèmes au niveau de la gestion de certaines communes. Mais j’ai également signé un décret concernant un conseiller istiqlalien et des élus appartenant à d’autres partis », souligne Abbas El Fassi. D’ailleurs, dernièrement, à la demande de Abdelillah Benkirane, il est intervenu auprès du ministre de l’Intérieur au sujet des listes électorales et le PJD a obtenu satisfaction.
Prudence sur l’endettement
L’apparition d’un excédent budgétaire en 2008 de 0,5%, et ce pour la deuxième année consécutive (0,3% en 2007), alimente les débats politiques. L’opposition avait piqué le gouvernement en disant qu’il « fallait le répartir et favoriser les investissements ». L’Alliance des « économistes istiqlaliens, sorte de think tank du parti du Premier ministre, a fait une sortie remarquée pour dire qu’il fallait s’en servir pour accroître l’endettement, qu’elle juge trop bas.
Le Premier ministre qualifie l’excédent budgétaire de « chance », tout en l’attribuant à la politique de réformes structurelles menée par le Maroc. Pour Abbas El Fassi il n’y a pas de discontinuité entre l’économique, le politique et le social. « Notre pays s’est engagé, sous l’impulsion de SM le Roi Mohammed VI, dans une dynamique de changements et de réformes profondes ». « Ceci nous a permis de réaliser des avancées certaines en matière d’ancrage démocratique, de respect des droits de l’Homme, de promotion de la femme et de lutte contre la pauvreté avec notamment le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain ». Quant au débat sur le bon niveau d’endettement, il évite la polémique.
« Grâce à la maîtrise de l’endettement, le Maroc sauvegarde, d’une part, sa souveraineté dans le processus de prise de décision et, d’autre part, dégage plus de liquidité et de ressources permettant de financer l’investissement privé ». Il rappelle que l’investissement public a crû, en rupture avec le passé, pour atteindre un record, déjà élevé en 2008 de 115 milliards de DH, et historique de 135 milliards de DH en 2009. « Le carnet de commandes des entreprises nationales est plein », ajoute-t-il. Il ménage les divers courants constatant que « le Maroc peut bénéficier d’un effet de levier pour mieux financer sa croissance ». « Néanmoins, ajoute-t-il immédiatement, nous sommes tenus de montrer plus de vigilance quant à l’ampleur de la crise mondiale qui nous menace et par conséquent de rester à des niveaux soutenables d’endettement ». Prudence sur laquelle il approuve donc son ministre des Finances, Salaheddine Mezouar.
Source : L’Economiste - Nadia Salah et Mohamed Chaoui