Il y est demeuré
Faouzi Benjelloun est arrivé sur le sol québécois dans sa jeune vingtaine. « Pour compléter mes études, et par goût pour l’aventure », raconte-t-il. Il venait de passer trois ans en Belgique, et avait envie de découvrir un nouveau monde. « Je n’aurais toutefois jamais pensé m’installer ici « , confie-t-il d’un ton rieur. Car il y a maintenant 22 ans qu’il vit à Québec. Aujourd’hui, Faouzi enseigne à l’Université Laval.
Les premiers temps n’ont pas été des plus faciles, avoue-t-il. « Je me demandais ce que je faisais là », se rappelle l’enseignant. « Puis l’été est arrivé, et j’ai voyagé partout. J’ai visité d’autres provinces, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. La nature est vraiment magnifique. Cela compense un peu la longueur de l’hiver », nuance-t-il.
La langue « québécoise » a également constitué un obstacle qu’il a dû surmonter. « Au début, quand je prenais le taxi, je ne comprenais rien à ce que le chauffeur racontait. Alors quand il rigolait, je rigolais aussi », raconte Faouzi.
Pour ce qui est de l’adaptation culturelle, les choses se sont plutôt bien déroulées. « Il faut accepter que les habitudes soient différentes de celles de chez-nous. Quand on veut s’intégrer, il est possible d’y arriver facilement », précise l’universitaire.
Un moyen, selon lui, est de ne pas hésiter et de plonger. « J’ai acheté l’album du très coloré Plume Latraverse. Je suis allé écouter les spectacles de l’humoriste Yvon Deschamps », affirme-t-il.
Si le Québec est en général très accueillant envers ses immigrants, il y a toujours place à amélioration. « J’ai des amis médecins, d’autres qui possèdent des doctorats. Mais ils conduisent des taxis ! », déplore Faouzi Benjelloun. Selon lui, les gouvernements auraient tout avantage à améliorer leur processus de reconnaissance des diplômes étrangers, et ce, le plus rapidement possible. « Car ce qui attire les immigrants, c’est d’abord l’emploi » rappelle-t-il.
Il rentrera bientôt
Nabil Mikou est âgé d’à peine 23 ans. Après un séjour de quatre ans au Québec, il rentrera au Maroc au printemps. Il complète actuellement des études d’administration aux Hautes études commerciales (HEC) de l’Université de Montréal. C’est d’abord la flexibilité et l’ouverture du système éducatif québécois qui l’ont attiré. « Le système français était plus fermé et très compétitif », note-t-il. Et comme Faouzi Benjelloun, il ressentait également l’appel de l’aventure.
Comme la plupart des immigrants, Mikou a d’abord été frappé par la rudesse de l’hiver. « La première année, on est très excité de voir autant de neige. On fait beaucoup de sports d’hiver, comme le ski », raconte-t-il, mais après deux ou trois ans, on commence à trouver cela plus difficile, surtout quand on vient d’un pays où il y a toujours du soleil », confie-t-il.
Culturellement, ce sont les manières plutôt directes des Québécois qui ont le plus surpris l’étudiant. « En France et au Maroc, on a tendance à prendre des détours pour dire ce que l’on pense. Au Québec, les remarques sont franches et directes », remarque Nabil. Il a même dû déployer des efforts en classe à cet effet. « Les professeurs s’attendent aussi à ce que nous adoptions cette attitude dans nos travaux écrits », poursuit-il.
Le goût des étudiants pour la bière a également choqué le jeune Marocain. « Pour moi, l’école est un lieu très sérieux. Ici, c’est différent. Les gens font beaucoup la fête », remarque-t-il.
C’est surtout à l’extérieur de la ville de Montréal que l’étudiant a véritablement découvert le Québec. « Il y a une foule d’immigrants ici, et dans certains quartiers, la population maghrébine est si présente qu’on se croirait presque à Casa », souligne-t-il. Il a donc fait le tour des régions de la province, afin d’établir un contact plus étroit avec la culture canadienne française.
Même s’il dresse un bilan positif de son aventure au pays de la neige, Nabil Mikou a décidé de ne pas y demeurer. « Parce que je souhaite continuer de voyager », affirme-t-il.
« Chacun réagit très différemment. Je connais des Marocains qui vivent ici et qui ne veulent plus quitter le Québec, tandis que d’autres sont repartis après six mois seulement », conclut-il.
Racisme
Malheureusement, les Québécois ne sont pas tous des anges, et certains peuvent faire preuve de mauvaise foi et de racisme. Nabil Mikou et l’un de ses amis l’ont appris à leurs dépens. « Nous étions en voiture et nous avons tourné à gauche. Nous n’avions pas vu le panneau de signalisation qui interdisait la manœuvre « , raconte le jeune homme. Un agent de police les a alors arrêtés, et a demander à voir leurs papiers. Nabil et son ami présentèrent leurs cartes nationales. « L’agent nous a dit qu’il ne lisait pas l’arabe, alors qu’un côté de la carte est écrit en français », relate-t-il. Le policier a ensuite commencé à inspecter la voiture et à chercher les problèmes. « Au total, la contravention est montée à 800 dollars canadiens, soit plus de 6.000 dirhams », déplore Nabil.
Les deux jeunes compères se sont ensuite rendus au poste de police de leur quartier, pour dénoncer la situation. « L’agent qui nous a accueilli était d’une extrême gentillesse. Il nous a fortement suggéré de contester la contravention, ce que nous allons faire », affirme Nabil. Une histoire à suivre...
Ils sont revenus déçus
Sumaya et Mohammed Yazami sont partis vers le Canada au début des années 1990. Lui avec un doctorat de langue anglaise de la Sorbonne en poche, et elle, avec un master français dans le domaine agroalimentaire. « Le Canada avait été classé meilleur pays du monde pendant trois années de suite. Nous étions remplis d’espoir », raconte Mohammed.
Comme Sumaya avait déjà effectué plusieurs stages au Canada, et que Mohammed était bardé de diplômes, le couple croyait pouvoir trouver des emplois assez facilement. Mais, à l’époque, le Canada traversait une crise économique, et des centaines de postes avaient été supprimés, dans le secteur public comme dans le privé. L’expérience et les diplômes de Mohammed n’ont, à sa grande déception, pas été reconnus. « J’ai trouvé un poste de chargé de cours à l’Université McGill. Cela me donnait à peine 8.000 DH par mois », raconte-t-il. Le professeur a dû se résigner et se remettre aux études, afin de pouvoir obtenir un brevet d’enseignement qui serait véritablement reconnu. Même son de cloche du côté de son épouse, qui avait pourtant travaillé plusieurs années pour une entreprise canadienne au Maroc. « Elle s’est inscrite à l’Université de Montréal et a obtenu une maîtrise en pharmacologie », poursuit-il.
Pendant ce temps, les économies du couple se sont envolées. « Nous avions déjà un enfant. Nous déboursions plus de 3.000 DH par mois, rien que pour les frais de garderie », raconte Mohammed.
L’enseignant a finalement réussi à décrocher un poste, dans une école secondaire de Montréal. Située à Hochelaga-Maisonneuve, l’un des quartiers les plus défavorisés de Montréal, cette école accueillait une majorité d’élèves en difficulté d’apprentissage et de comportement. « J’en ai vu de toutes les couleurs, souligne-t-il, et j’ai un peu compris pourquoi le taux d’abandon scolaire de la province se situait à 38% ». Sumaya, quant à elle, n’a pu trouver qu’un emploi de caissière, dans une banque. Son salaire était nettement insuffisant compte tenu de ses compétences. Après s’être battue près de dix ans pour garder financièrement la tête hors de l’eau, la famille Yazami a finalement décidé de rentrer au Maroc.
S’il refuse de parler d’échec, Mohammed garde un goût d’amertume vis-à-vis de son expérience au Québec. « Nous étions partis pour le meilleur pays du monde, mais nous ne l’avons pas trouvé », conclut-il.
L’Economiste - Marie-Hélène Giguère