Quand on regarde les photos des années soixante de ce chanteur sexagénaire, on est frappé par l’air de ressemblance entre lui et le leader des Black Muslims (Organisation de musulmans noirs américains), dont le film biographique "X" a fait le tour de la planète il y a quatre ou cinq ans...
Même coupe de cheveux, même élégance raffinée et discrète, même sobriété. Des lunettes noires laissant entrevoir des yeux, perpétuellement mi-clos.
Depuis, trois décennies sont passées, le poids des années se fait sentir. Mais l’homme est toujours vigoureux et continue à chanter et à composer.
C’est lui qui a immortalisé Ifrane par cette merveilleuse chanson intitulée "wa mahla jamalou". Vous avez deviné, il s’agit de Brahim El Alami.
Cet originaire de Moulay Abdeslam est natif de l’Ancienne Médina de Casablanca. En 1944-1945, la famille déménage à Derb Soltane, et c’est là où il vivra son enfance et une bonne partie de sa jeunesse. Il n’ira pas plus loin que les études primaires, qu’il suivra à l’École des Notables, de la rue de Mogador. Mais à l’école de la vie, il gagnera au change.
Coquetterie d’artiste, notre homme refuse de révéler son âge exact. Mais il lâche quand même qu’il est né dans la deuxième moitié des années trente.
Son frère aîné, Mohamed El Alami Aziz, musicien épris de musique andalouse et de melhoun, détectera très tôt ses prédispositions artistiques et pèsera, dans ce sens, sur sa destinée, en l’orientant vers le monde de la musique et de la chanson.
Brahim entreprend dès lors son apprentissage auprès des plus illustres noms de la musique et de la chanson casablancaises, tels le maître de la cithare (kanoun), Haj Aboubakr Talbi, fondateur de l’Orchestre "A-Chabab" ; de Abdeslam Zakaria, surnommé le Prince du Violon et du fin connaisseur de la chanson orientale, Mohamed Lahrizi.
Jusqu’en 1953, il s’exerce à interpréter les classiques de Oum Kaltoum et de Mohamed Abdelwahab.
La période d’exil de S. M. feu Mohamed V et de la famille royale fut une période de trêve artistique en protestation contre ces agissements de la Résidence générale et des colonialistes ultra.
L’indépendance du Maroc en 1956 donna le coup d’envoi à un véritable feu d’artifice artistique, à une émulation sans précédent entre nos comédiens, chanteurs et musiciens et à une explosion de la création artistique.
À l’époque, faire partie de l’un des orchestres de la RTM n’était pas une mince affaire... Il fallait passer un concours très sévère, montrer qu’on était le meilleur dans sa catégorie et faire preuve de création originale et de qualité.
La chanson marocaine moderne faisait alors ses premiers pas et se libérait enfin de la tutelle pesante de la chanson orientale et de ses monstres sacrés. Le premier à avoir franchi le Rubicon fut le Prince de nos chanteurs, Ahmed Al Bidaoui. Suivi par Bouchaïb Al Bidaoui, Maâti Al Bidaoui et bien d’autres.
Quant à Brahim El Alami, il passa avec succès le concours de maestro de l’Orchestre de la Radio à Casablanca, avec la chanson, "Al Aïd". C’était en 1967. Et il succéda, à ce poste, à Maâti Al Bidaoui.
Artiste complet, Brahim El Alami est à la fois auteur, compositeur et interprète de la quasi-totalité de ses chansons. Des chansons éternelles par leurs paroles, leurs thèmes, leur musique... que les Marocains connaissent par cur et chantonnent avec délectation et nostalgie.
Des chansons qui éveillent en nous de tendres souvenirs d’enfance ou d’adolescence telles : "lli sortak bin aâynaya", "nassi al aâhd", "chehal ma souwelti fiya", "wa mahla jamalou"... Amusez-vous à chantonner un de ces refrains et à coup sûr votre interlocuteur les reprendra au vol, sans hésitation aucune.
Brahim El Alami a également composé la musique de plusieurs chansons de Naïma Samih et de Ismaïl Ahmed, toutes aussi connues les unes que les autres.
La sempiternelle question sur l’énigme du succès de ces chansons surgit inévitablement lorsqu’on a la chance de rencontrer une légende vivante de la chanson marocaine.
L’enthousiasme des premières années de l’indépendance, les débuts fougueux de la chanson marocaine moderne, la conviction de servir son pays en produisant des chansons de qualité... peuvent constituer un début de réponse.
Mais, au-delà de ce contexte historique indéniable, ce qui ressort avec force dans les chansons, les paroles et la musique d’une élite d’artistes qui ont pour nom : Abdessalam Amer, Abdelkader Rachdi, Mohamed Abdeslam, Ahmed Al Bidaoui, Mohamed Fouiteh, Maâti Benkacem... et bien sûr Brahim El Alami, c’est ce cachet authentiquement marocain. Un cachet qui puise ses racines dans le vécu quotidien de nos chanteurs. Un vécu témoignant de leur profonde implication dans la vie, les souffrances, les joies et les aspirations de notre peuple.
Ces artistes-là, et Brahim El Alami est pleinement des leurs, l’étaient par vocation. Ils étaient convaincus d’être porteurs d’un message, celui de la qualité et de la noblesse de leur art.
Eux n’ont pas cherché à s’expatrier, à tout prix, en quête d’une incertaine notoriété. Eux n’ont pas capitulé devant l’arabe dialectal égyptien, par velléité de conquête du monde arabe... À force de mimer les autres, on finit par ne ressembler à rien. Aujourd’hui, on est frappé par la flopée de chanteurs éphémères qui disparaissent avant que le public n’ait commencé à retenir leurs noms.
&laqno;Les portes de la RTM leur sont grandes ouvertes, sans discernement ni sélection aucune », estime l’homme d’Ifrane. Pauvre RTM qui devient de plus en plus une auberge espagnole.
Brahim El Alami, lui, est plus rigoureux que jamais, comme on le vérifiera à la sortie toute prochaine de son nouvel album.
Lui ne cède point aux modes passagères. Il reste fidèle aux choix qui ont fait de lui un artiste respecté et aimé par son public
Maroc Hebdo
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