La souveraineté du Maroc sur le Sahara est irréfutable si l’on s’en tient aux documents royaux historiques, a affirmé jeudi Bahija Simou, la directrice des Archives royales, lors d’une conférence organisée par l’Association Ribat Al Fath pour le...
Enrôlés de force dans l’armée française, ils perçoivent aujourd’hui une pension militaire dix à vingt fois plus faible que celle des vétérans français.
Bercés par la chaleur d’une belle après-midi d’août, une trentaine de patriarches devisent à l’ombre d’un jardin bordelais. La conversation se fait plus souvent en arabe qu’en français, mais toujours discrètement, à voix basse.
Devant eux, se dresse leur résidence : le foyer Sonacotra-Médoc, situé à l’entrée nord de Bordeaux. La quasi-totalité des 288 chambres de l’établissement sont occupées par des septuagénaires marocains qui ont en commun d’avoir combattu pour la France.
Certains sont à Bordeaux depuis 1997 ; d’autres viennent juste d’arriver. Une même raison les a poussés à quitter leur famille au Maroc : depuis 1989, grâce à la carte d’ancien combattant qui donne droit à un titre de résident de dix ans, ils peuvent demander le RMI.
Depuis 1998, ils peuvent également bénéficier de l’allocation spécifique vieillesse. Seule contrainte : ils doivent résider en permanence en France. La plupart d’entre eux n’y restent en réalité que six mois avant de revenir deux mois au pays puis de repartir. Certains alternent tous les deux mois, et s’exposent aux contrôles de présence de la Caisse des dépôts et consignations qui délivre l’allocation vieillesse, et à ceux de la Caisse d’allocations familiales. Tous envoient au moins la moitié de leurs ressources à leur famille.
COULEUR SANG
Ceux qui ont servi quinze ans dans l’armée française perçoivent en outre une pension militaire, "cristallisée" en 1959, à l’époque de l’indépendance des colonies. Leur montant est dérisoire : de 66 à 150 euros par trimestre, soit dix à vingt fois moins que la solde de leurs homologues français. Au compte-gouttes, certaines pensions commencent, depuis peu, à être revalorisées.
La plupart des Marocains dans cette situation - ils seraient plus de 1 500 en France - sont d’abord arrivés à Bordeaux. Ils sont environ 500 à y résider et il en arrive en moyenne 10 à 15 nouveaux chaque mois. Le dispositif bordelais d’accueil des anciens combattants est débordé, comme le foyer qui affiche toujours complet.
La capitale du vin n’est pas choisie par hasard : c’est une grande ville proche du Maroc et elle abrite le tribunal des pensions militaires. Longtemps, les archives des vétérans marocains y étaient stockées, avant d’être transférées à Caen. La préfecture de Gironde est par ailleurs connue pour accorder facilement des titres de séjour de longue durée. La prise en charge sociale, médicale et administrative n’a jamais failli.
Pour tuer l’ennui, ces vieillards, vêtus en djellabas ou en tenue occidentale, coiffés de turbans, de chéchias ou de casquettes, évoquent leur passé. Lamrani Mokhtar n’a pas besoin de jour commémoratif pour se souvenir avec précision de cette période où il était soldat du 4e régiment des tirailleurs marocains (TRM). "C’était en 1939. Avec d’autres, on a été engagés volontaires, se rappelle-t-il. On ne voulait pas, mais comme on n’a pas voulu faire d’histoire, on n’a rien dit. De toute façon, on était pauvre, sans travail et, surtout, le recruteur m’a dit : "Soit tu viens avec nous, soit tu vas en prison." Alors je suis monté dans le camion et je suis parti à la guerre."
Algérie, Italie, France, Allemagne, Indochine : il a combattu jusqu’en 1955. Aujourd’hui, il touche 100 euros par trimestre de pension militaire. "On était côte à côte à la guerre, Français et Marocains, alors qu’aujourd’hui les Français touchent des pensions plus importantes que les nôtres, souffle le grand-père, lunettes fumées sur ses yeux fatigués. C’est bien qu’on fasse des commémorations, mais la France ne nous considère pas très bien. C’est injuste."
Mohammed Mechti, 85 ans, visage buriné, écoute son ancien frère d’armes. Lui aussi connaît bien la guerre : enrôlé de force à 20 ans dans l’armée française, il a combattu en Algérie, en Tunisie, en Italie, en France pour finir en Indochine -"en Chine", comme disent les vétérans marocains. Il a plusieurs fois frôlé la mort. Son livret de service militaire, jauni et scotché, est truffé de dates à l’encre noire.
Mohammed, lui, les voit couleur sang : à Monte Cassino, par exemple. "Le jour de l’offensive du 11 mai 1944, j’étais dans la 7e compagnie d’artillerie, raconte-t-il. Les avions allemands ont lâché tellement de bombes que j’ai vu plein de gens mourir, des hommes, des femmes, des vaches, des moutons."
Ses yeux se brouillent encore quand il se remémore une autre scène, à Belfort, en 1944 : "J’ai vu un bébé téter le sein de sa mère... morte. J’ai beaucoup pleuré et je ne voudrais plus jamais revoir ça."
Avec le recul, le vieil homme, calotte blanche sur la tête, s’est fait une opinion : "La guerre n’a pas de sens, ni de règle, et elle fait trop de morts, lâche-t-il. C’est absurde. S’il fallait le refaire, je ne partirais pas et j’empêcherais ceux qui veulent partir."
Claudia Courtois - Source : Le Monde
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