Chaque Ramadan, la question du jeûne pendant les menstrues revient hanter les femmes musulmanes. La réponse n’est jamais claire, noyée dans un tabou tenace.
Lundi 21 janvier, la grande salle de la juridiction dédiée aux affaires familiales était archi-comble. Ce jour, au tribunal du quartier Habous de Casablanca, les visages étaient crispés et le climat frisait la déprime. Les femmes engagent rapidement la conversation. Question de soulager leur peine, voire justifier le déplacement. Comme si le recours à la justice « est en soi un pêché ». Une jeune femme au foyer, accompagnée de sa fille de 4 ans et demi confie : « Je suis mariée depuis 11 ans. Plusieurs fois, j’ai voulu faire le pas mais j’ai toujours hésitée à cause de mes deux filles. Alcoolique, violent, infidèle et après une absence de 4 mois, j’ai décidé d’agir ».
Un discours sans cesse ponctué par des « ai-je raison ou tort ? » Et c’est entre les murs de cette juridiction que l’on se rend compte des difficultés rencontrées par les femmes pour faire valoir leurs droits. Affou Fellahi, femme d’affaires et mère de deux enfants, 6 et 7 ans, en a aussi beaucoup sur le cœur. « Après 4 ans de violence, la faillite de ma société et maintes tentatives de me chasser de la maison, comme me traîner dévêtue dans la rue, le divorce a été enfin prononcé. Je dois à présent quitter le domicile conjugal. Le juge m’a attribué 1.500 DH par mois, loyer et pension confondus alors que notre maison vaut 1,4 million de DH ».
Qu’en est-il donc de l’esprit de la Moudawana censée garantir l’équité et l’égalité des droits devant la justice ? L’article 49 prévoit le partage des biens en cas de divorce, uniquement dans le cas où un contrat est passé entre les deux époux. Mais l’adhésion à l’idée d’un contrat est faible. Selon les statistiques du ministère de la Justice, sur 243.492 actes de mariage conclus en 2005, seul 312 cas de gestion des biens ont été enregistrés. Selon la loi, même dans le cas où aucun accord n’est passé, il est pris en considération le travail et l’effort de chacun des conjoints. Au final, c’est au juge d’apprécier cet effort. Mais il fait souvent recours aux preuves (écrits ou témoignages) qui demeurent parfois difficiles à apporter.
Interrogé sur la question, un adoul se presse de réciter le fameux article 49 tout en insistant sur la nécessité d’une déclaration des biens de chacun des conjoints. « Mais il n’en est rien. Je n’ai jamais rencontré de cas où une femme demande d’établir cet acte. C’est jugé indécent et parfois gênant pour l’épouse ». D’autant plus que les femmes, dans l’état actuel des choses, ne cherchent pas à poser des conditions avant le mariage. « Certaines peinent à trouver un mari qui puisse subvenir à leurs besoins », précise ce même adoul. Si bien que même l’âge du mariage fixé par la loi à 18 ans se trouve souvent avancé de quelques années.
Là aussi, la question relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Il peut en effet autoriser le mariage bien avant l’âge. « Si elle est forte, corpulente et en bonne santé à 14 ans, pourquoi ne se mariera-t-elle pas ? » dira un juge d’instruction. « Au temps de nos parents, les femmes ne s’épousent-elles pas à un âge plus précoce encore ? »
Certes, la Moudawana se veut une véritable refonte du code de la famille. Mais dans la pratique, beaucoup de lacunes restent à combler. A commencer par l’adéquation entre l’esprit du texte et l’archaïsme toujours régnant au niveau des mentalités. Les associations féminines estiment « qu’il est temps de revoir les articles sur lesquels on bute. Mais il est plus difficile de changer les mentalités. C’est un travail de longue haleine. Il faut pour cela une stratégie de communication continue en direction aussi bien de la famille que du système en charge de l’application de la loi ».
En effet, déjà quatre ans se sont écoulés depuis la mise en œuvre du nouveau code de la famille et les acquis ne sont toujours pas visibles dans la réalité des villes et des campagnes. Selon Rabea Naciri, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc, la Moudawana est en danger puisque son contenu est en train d’être vidé de son principal objectif : l’instauration de l’équité dans la gestion des affaires familiales. « Un véritable détournement des éléments phares de la loi est en train de s’opérer », dénonce-t-elle. Comment peut-on expliquer cette situation ? Par l’action de certaines forces occultes, qui, au nom de la religion ou du poids des traditions, cherchent à contourner la loi.
Complot
Pour contourner la loi sur la polygamie et sur l’âge du mariage, le stratagème du polygame est le suivant : il procède en présence de la mariée à la lecture de la fatiha en famille ou devant des témoins. Il se met en couple avec son « épouse », vit avec elle sous le même toit puis il met le juge devant le fait accompli. Et pour des raisons socioculturelles, ce dernier n’a d’autre alternative que d’officialiser le mariage.
Autres prétextes pour prendre une autre épouse, certains avancent le refus de la première femme de regagner le domicile conjugal, la vieillesse ou l’incapacité de procréer. Autant de motifs souvent monnayés à coups de pourboires.
Chantage et pression
Dans le cas du divorce « Khol’ », moyennant compensation de la part de la femme, aucune enquête n’est opérée pour vérifier l’éventualité d’un cas de chantage. La garde des enfants étant souvent utilisée dans ce type de divorce comme contrepartie du consentement du conjoint. Ce type de divorce est en baisse tendancielle. En principe, au profit du divorce de désunion (Chikak). Seulement, dans le cadre de cette procédure, la femme est souvent victime de pression morale pour l’amener à une séparation à l’amiable. Même si ce mode de divorce est en forte augmentation : 36,21% entre 2005 et 2006.
L’Economiste - Jihane Kabbaj
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