Des dizaines de milliers de Marocains tentent chaque année de décrocher la green card pour émigrer aux États-Unis. L’édition 2007 de la loterie de l’émigration est peut-être la dernière. Le 3 décembre 2006. Une date à retenir. C’est en effet le dernier délai pour postuler à la Loterie américaine de la carte verte 2008. Pour Hakim Benzine, 31 ans, l’attente a assez duré. Ça fait sept ans qu’il tente sa chance pour partir aux Etats-Unis. Mais, il ne perd pas espoir pour autant. Le jeu en vaut la chandelle. Le rêve américain est son unique raison de vivre.
Et, son seul sésame pour le réaliser est cette loterie qu’il lui offrira le pass magique pour chercher du travail et un logement sur le territoire américain. « Je n’ai jamais déposé de demande de visa aux services consulaires des Etats-Unis parce que je sais que je n’ai aucune chance de l’obtenir. Je n’ai ni travail fixe, ni attache familiale ni garant. J’ai essayé de trouver une conjointe pour un mariage blanc par internet, mais les Américaines sont frileuses vis-à-vis des Arabes musulmans. Il ne me reste plus que la loterie pour atteindre mon objectif. »
Dans le monde, ils sont cinq millions de personnes, originaires de 178 pays, essentiellement de l’hémisphère sud, à partager les mêmes attentes que Hakim. La loterie, créée en 1991dans l’objectif d’introduire plus de diversité dans l’immigration aux Etats-Unis, remporte depuis un succès planétaire.
C’est ainsi que chaque année, 50.000 candidats sont tirés au sort par ordinateur pour obtenir le droit de résider sur le territoire américain. Comment être parmi les heureux élus ? Il suffit d’être âgé de 18 ans, d’avoir un baccalauréat ou une expérience professionnelle obtenue au cours des cinq dernières années dans une profession requérant au moins deux ans de formation et de remplir un formulaire électronique de demande de visa diversité au www.dvlottery.state.gov.
Mais, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent. Même si les Américains veulent entretenir le mythe de la terre où tout est possible, ils ne sont pas assez fous pour laisser une machine contrôler les nouveaux habitants du pays de l’Oncle Sam. Ce qu’ignore le grand public, c’est qu’un jeune homme d’une trentaine d’années, titulaire d’un diplôme supérieur et possédant une expérience professionnelle qualifiée, a plus de chances qu’un retraité, père d’une famille nombreuse, de décrocher la fameuse green card.
Les Américains cherchent avant tout des cadres dynamiques avec des compétences reconnues, capables de s’adapter à l’american way of life. Les Marocains semblent correspondre aux profils demandés, puisqu’ils ont été 4.992 candidats retenus pour la loterie 2007. Un chiffre qui encourage de plus en plus les postulants malgré les 755 dollars de frais non remboursables qu’ils doivent payer au moment de l’entretien aux Consulats des Etats-Unis de leur pays, que leur demande soit acceptée ou rejetée.
La loterie offre tellement d’espoir que d’autres y ont vu l’occasion de faire des affaires. L’inscription, qui doit se faire obligatoirement par internet, pour la quatrième année consécutive, est gratuite. Mais, des propriétaires de cyber-cafés proposent leurs services contre une rémunération alors que les formulaires sont très simples à remplir, seules des informations d’état civil sont demandées. « Les gens ont plus besoin d’être rassurés, explique Rachid Jamil, responsable d’un cyber-café au quartier Gauthier, à Casablanca, à proximité du Consulat des Etats-Unis. La plupart jouent la carte de leur vie et croient qu’ils auront plus de chance s’ils se font aider. »
Pourtant, les instructions du Kentucky Consular Center, département responsable de la loterie, sont bien claires. L’administration ne répond pas à des conseillers en cartes vertes et autres intermédiaires qui aident à remplir le formulaire moyennant de l’argent. Comme aucune réponse n’est communiquée par courrier électronique ou par téléphone. Si quelques candidats optent pour les intermédiaires, c’est souvent pour transgresser les règles. Pour augmenter leurs chances, ils mentent sur leurs expériences professionnelles ou sur leurs diplômes. Il y en a même qui pensent qu’en envoyant deux à trois candidatures, ils auront plus de probabilités d’être sélectionnés. Ce qu’ils ignorent, c’est que la machine détecte les doublons et annule tout bonnement la procédure pour la personne concernée.
Une question s’impose. Est-ce que tous ces efforts finissent par payer ? La Carte Verte, même si elle représente une chance, n’est pas une fin en soi. Lorsqu’on foule le sol américain, ce document ne nourrit pas et ne loge pas. Il faut être débrouillard pour réussir.
Beaucoup de témoins rapportent qu’il n’est pas facile de trouver un logement décent dans une aussi grande métropole que New York par exemple. Même ceux qui immigrent avec des diplômes reconnus n’ont pas toujours la possibilité de travailler dans le domaine de leur formation. Ils sont alors amenés à exercer des petits métiers, des fois dans la clandestinité.
Khalid Dehmani, 38 ans, pharmacien, en sait quelque chose. Après avoir gagné à la Loterie 1998, il est parti à Seattle pour saisir sa chance. Deux ans d’errance l’ont contraint à rentrer à Ben Slimane, à trente kilomètres de Casablanca, pour ouvrir sa pharmacie.
Afaf Bensehbi, 30 ans, a connu les mêmes déceptions. Partie à Washington en 2002 en possession de la carte verte gagnée à la Loterie, avec un diplôme en communication, elle a travaillé 18 heures par jour comme serveuse dans trois restaurants différents pour pouvoir survire. Déçue par le rêve américain, elle est rentrée au Maroc.
Peu importe. Le rêve est plus fort que la réalité. Hakim Benzine attend les résultats de la Loterie 2008, communiqués entre mai et juin 2007, avec impatience. C’est peut-être sa dernière chance. Depuis le 11 septembre 2001, la Loterie de la Carte Verte ne fait pas l’unanimité aux Etats-Unis. Des voix s’élèvent pour supprimer ou modifier ce programme d’immigration au motif que cela nuirait à la sécurité interne du pays. En fait, certains pays soupçonnés d’héberger ou de cautionner des terroristes sont sur la liste des pays autorisés à postuler.
En fin d’année, le Sénat américain doit justement étudier un amendement concernant l’abolition de la carte verte. Voilà qui signera la fin du rêve pour des millions de participants !
Loubna Bernichi - Maroc Hebdo
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