Les relations entre le chanteur populaire Abdelaziz Stati et sa fille, la rappeuse Ilham El Arbaoui, alias Ely, sont dégradées au point que celle-ci menace de faire des révélations compromettantes sur son père.
Trente ans après la déferlante ghiwanienne, nous assistons aujourd’hui à un véritable raz-de-marée qui a submergé la scène musicale. C’est celui du hip-hop, du rap et de toutes ces musiques qui s’inspirent du vécu et de la réalité marocaine. La fièvre hip-hop n’épargne aucun coin du Maroc. A Casablanca, Rabat, Meknès, Fès, Sidi Kacem, Béni-Mellal, Taza, Azrou ou Laâyoune, dans les quartiers déshérités ou nantis, des groupes se forment.
Véhiculant un message clair, des idées et des espoirs, ces groupes de rap ou de fusion ont réussi à imposer un style et un mode de pensée dans lequel une grande majorité de Marocains se reconnaissent.
Ayant solidement les pieds sur terre, revendiquant haut et fort leur marocanité, leur appartenance religieuse et culturelle, ces jeunes sont le reflet d’une jeunesse qui cherche ses repères et qui veut passer son message, sans tabous et sans interdit, une jeunesse qui revendique son droit à la parole et à la liberté d’expression. Ainsi, que ce soit H-Kayne, Hoba Hoba Spirit, Casa Crow, X-Side, ou d’autres groupes plus ou moins connus, les jeunes, issus de cette musique dite urbaine, ont réinventé la musique marocaine, la propulsant résolument dans le siècle de la modernité, de l’ouverture et des métissages.
Les groupes invités au Forum organisé par Libé, mercredi dernier, n’ont pas mâché leurs mots pour faire entendre les messages qu’ils ne cessent de chanter, pour faire bouger les corps et les esprits.
“Chaque groupe crée son propre discours pour lui donner une certaine valeur”
Dernièrement, au cours d’une émission télévisée, Abdelkrim Berchid avait déclaré que le hip hop ne nous appartient pas, que c’est de la contrebande, et que cette musique n’est pas conventionnelle. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Hicham Abkari (Fondateur de Moroccan Underground Federation) : Je pense qu’il a raison, le rap ne lui apparient pas. C’est-à-dire que ce n’est pas sa propriété. Personnellement, je n’ai jamais voté pour Berchid pour parler en mon nom. Le rap est marocain et arabe par essence. C’est une longue tradition de poésie, “Al Hijaa”, mais à l’intérieur il y avait aussi la poésie d’”Annakd” où il avait des clashes. Jarir et Al Farazdak, par exemple, étaient deux poètes qui se clashaient au palais royal et se moquaient l’un de l’autre. Ce sont des combats verbaux, des joutes oratoires.. Et cela démontre que le rap en tant qu’émanation de la culture humaine existe depuis longtemps.
Dans les années 70, les Ghiwane ont créé un mouvement qui a suscité l’engouement des jeunes. De par votre expérience peut-on parler aujourd’hui de l’émergence d’une nouvelle tendance ?
Hicham Abkari : C’est sûr. Si on parle de “Nass El Ghiwane”, il serait au préalable intéressant de définir la musique Ghiwane. C’est une musique rurale qui a intégré la zone des Carrières Centrales puisqu’il y avait, à cette époque-là, des ouvriers casablancais qui avaient une culture rurale. Quand on parle de la musique urbaine, on parle nécessairement d’une musique liée à l’urbanité, à une condensation située à un stade qui n’existe pas dans la campagne. La musique Ghiwane a émergé pendant un temps où nous étions encore très proches de la campagne et où les gens émigraient en masse de la campagne à la ville.
Actuellement, on est pratiquement à la 3ème génération de Casablancais. Le temps change et la musique évolue. Le seul point commun entre la musique urbaine et celle de Nass El Ghiwane, c’est la valeur contestataire ou subversive. Mais la subversion qui marquait la musique Ghiwane était essentiellement politique parce que c’était l’époque d’une énorme contestation politique durant les années 70.
Maintenant que tout a changé et que chacun conteste à sa manière, il s’agit d’une contestation enveloppée. Comme l’a dit Hatim, il faut qu’on ait la logique d’un musicien, c’est-à-dire, avoir un plan de carrière en faisant des compromis pour éradiquer la contestation chaotique. Actuellement, il y a un large panel, un catalogue prêt, il y a H-Kayne, Bigg, Casa Crew, Fnaïre, Zanka Flow, mais chacun essaie de créer un discours pour donner à son album et à sa musique une certaine valeur, disons modale.
Hatim : (Groupe H-Kayne) A mon avis, je pense qu’avant 2003, les médias ne nous prêtaient aucune attention. Les journaux ne s’intéressaient pas à notre musique. Mais à partir de 2003, on a pu lire ce genre de titre “Le rap contestataire : de Nass Al Ghiwane à H-Kayne”. Une année après, on nous collait l’étiquette “de porte-parole de la jeunesse”. Je crois que ce sont les médias qui ont besoin de ces étiquettes pour cataloguer et situer chacun dans telle ou telle case.
Nous avons beaucoup de messages à véhiculer. Mais ce sont les étiquettes qui nous embêtent. On songe à avoir un rap ou un hip-hop marocain, une musique qui respecte nos propres valeurs, qui reflète notre vécu, notre contexte socio-économique et politique. Je ne peux pas balancer en vague si je ne suis pas branché ou orienté politiquement. Ce n’est pas d’ailleurs mon rôle. Nous sommes des musiciens et nous voudrons bien proposer une bonne musique au public. Nous passons pratiquement des messages à travers notre musique d’une manière artistique.
A un certain moment dans les années 70, il y avait plusieurs groupes qui sont montés dans la mouvance de Nass El Ghiwane, Jil Jilala et El Mchaheb. Après, ces groupes n’ont plus existé. Est-ce que vous pensez que seuls les groupes forts, les groupes qui ont des choses à dire, seront les seuls à durer dans quelques années ?
Hatim : A un moment donné, nous devrons tous passer par un filtre. Ceux qui ont une vraie raison, une fervente cause et qui font de la musique par amour pourront rester. Ceux qui n’ont pas un plan de carrière et qui prétendent être des artistes pourront toujours croire au Père Noël. Il restera quelque 10 groupes qui continueront à faire et à parfaire leur existence dans le milieu.
“Le rap est adapté à notre réalité marocaine”
Pensez-vous qu’il est essentiel d’utiliser des mots vulgaires pour passer des messages ?
Hatim (Groupe H-Kayne) : D’abord, il est à retenir que le hip hop est un message de liberté. On exprime ce qu’on ressent. Quand quelqu’un ressent le besoin d’utiliser de gros mots, cela le regarde. Chaque groupe a ses propres principes et ses propres conceptions. Nous, les H-kayne, nous n’utilisons pas ce genre de mots dans nos chansons. Par principe, je veux que ce que ce je chante soit digne d’être écouté par ma mère ma grand-mère, mon père, ma sœur….. Nous ne sommes pas obligés d’utiliser de gros mots pour nous exprimer.
Temps de Dresse (Groupe X-Side) : Je pense que cette liberté ne doit pas toucher celle des autres. Si certains ont tendance à utiliser de gros mots, il y aura certaines personnes qui ne pourront pas écouter leurs morceaux en présence de leurs parents ou de leurs familles. Cela empiétera alors sur leur liberté même puisqu’ils ne pourront pas écouter ces morceaux chez eux.
Masta Flow (Groupe Casa Crew) : A mon avis, le rap est avant tout un art de la rue où il n’y a pas que les gros mots. Il y a de tout. Personnellement, quand je parle avec mes amis, je n’utilise pas trop de gros mots. Et si je les utilise dans mes textes de rap, je ne serais pas probant, je ne serai absolument pas égal à moi-même. J’essaie d’être le plus naturel possible.
Hatim (Groupe H-Kayne) : Aux Etats-Unis d’Amérique, lorsqu’un rappeur se rend chez lui, il profère de gros mots tels que fils de p. et traite sa mère des pires adjectifs. Chez nous, c’est le contraire, quand un rappeur va chez lui, il préserve ce respect et cet amour filial pour ses parents. Même si nous faisons du rap, nous aussi, nous ne calquons pas ça à l’américaine. Nous essayons de l’adapter à la marocaine, à notre vécu et à notre entourage.
Hicham Abkari (directeur artistique du Festival de Casablanca et fondateur de Moroccan Underground Federation) :
Que signifie le terme vulgaire ?
Tout le monde trouve que c’est tout à fait normal de voir aux infos ou dans les films des images de meurtres, de viol, d’enfants massacrés. Mais, dès qu’on commence à dire « va te faire f. » ou toute autre expression semblable, on trouve ces mots vulgaires. Moi, je voudrais bien souligner qu’en fait, c’est parce qu’on porte atteinte à la société marocaine, qui est régie par une certaine structure religieuse qui est, en même temps, une structure de pouvoir. Donc, les images de meurtres, d’enfants assassinés, on peut les faire passer alors qu’ailleurs c’est impossible, c’est très réglementé. On ne peut pas imaginer voir les images des attentats du 16 mai 2003, par exemple, sur une télévision française ou américaine. De même que les termes qui désignent la sexualité, on les a fait passer en français durant des années. Mais il est impossible de les passer en arabe. Cela signifie qu’au Maroc, il y a certaines choses relatives à la langue du sacré, autrement dit la langue arabe et le sexe. Mais à part ça, tout est permis, prendre les photos qu’on veut, faire ce qu’on veut et personne ne peut vous en empêcher. C’est là, très justement, où réside le problème. Quand on dit qu’un rappeur dans la rue parle en usant de l’argot, on le qualifie davantage d’urbain.
Hatim (Groupe H-Kayne) : Au contraire, on parle de ce qui est politique, social. Et je trouve que le « langage de la rue » est un terme péjoratif puisqu’il ne s’agit pas que de gros mots dans notre langage. D’ailleurs, j’ai l’impression que le rap est la seule musique qui est mise à part. On ne nous donne même pas le statut d’artiste. Nous sommes des musiciens, certes, mais certaines personnes focalisent sur le fait que nous utilisons des mots vulgaires. Nous sommes là pour changer cette image car le rap est assez renfermé sur lui-même pour que nous contribuions involontairement à dénaturer le cadre pour lequel il est destiné. Nous avons travaillé pendant dix ans pour nous faire accepter. Nous avons essayé de donner une image vraiment acceptable. Le rap est conçu pour que l’individu essaie de réformer, d’inculquer des conceptions idéologiques transcendantes. Je suis musulman, je suis un pratiquant, je fais ma prière, je jeûne pendant le mois du Ramadan et j’aspire à m’améliorer encore. Bien que ma musique soit positive, je n’incite pas les gens à tuer, à être des criminels, à boire de l’alcool ou à sniffer de la cocaïne.
Rap, hip hop et fusion une musique qui charme et promet
Un coup d’œil sur les artistes les plus cotés de la scène musicale nationale, comme Bigg, H-Kayne, Casa Crew, Fnaïr, Zanka Flow, Amine Office... permet de constater que, non seulement, le rap marocain est le genre qui domine aujourd’hui, mais qu’il n’est pas nécessaire d’être noir pour être un interprète de ce courant musical.
En général, les courants musicaux du Maroc emboîtent le pas à ceux des Etats-Unis ou de la France et cela est certainement vrai pour la musique urbaine. Cette musique connaît aujourd’hui un rayonnement mondial. La plupart des évènements qui ont marqué son évolution se sont produits au Maroc. Pour les observateurs de la scène musicale, ce sont des albums phares, parus ces trois dernières années qui ont permis au rap marocain de sortir de l’ombre et de marquer la conscience du public. C’est le cas de l’album intitulé Mgharba tal’Mout de Bigg, le maxi « Khatwa » signé Casa Crew, les albums d’H-kayne, de Fnaïre, de Zanka Flow.
Des compositions abandonnant même les rythmes de la Jamaïque pour reconstruire un rap doté d’une subtile modernité maroco-occidentale.
A en juger par les milliers de personnes qui ont rempli la place Errachidi, par exemple, lors des deux précédentes éditions du Festival de Casablanca, pour admirer les vedettes du hip hop américain tels que Wyclef Jean, Akon, ou français koolshen, Psy4 de la rime, Disis la peste, on peut se dire, avec raison, que ce genre musical a de beaux jours devant lui. Et ce ne sont pas uniquement les artistes français, américains, espagnols ou allemands qui attirent le public, mais aussi et surtout les musiciens marocains.
La musique « fusion » se veut, pour sa part, le reflet d’un creuset de légendes et de civilisations dont la diversité fait richesse. Devenu un incontournable des dernières éditions du BJM et de Festival de Casablanca, ce plateau propose chaque année de nouveaux invités, élargit les frontières et encourage le métissage musical. Des jeunes comme Darga, Dayzine, Askouri, Barry, Hoba Hoba Spirit ont donné des concerts qui entremêlent rythmes, cultures, dialectes, costumes, instruments, danses, pour que l’antique Royaume du Maroc soit transporté aux portes du monde.
Ces groupes sont devenus des figures emblématiques regroupant la musique arabe, africaine et internationale. Des multi-instrumonistes qui maîtrisent guitare, luth, banjo, hajhouj, krakebs, percussions, batterie…. La musique guérisseuse des gnaoua, que porte une poignée d’une jeunesse inventive, véhicule la nostalgie spirituelle et mystique. C’est une confrérie à laquelle se fusionnent funk, blues, jazz, rap, chaâbi ainsi que d’autres styles musicaux. Synthés en puissance, des derboukas et percussions, des rythmes arabisants s’occidentalisent, font danser et s’annoncent même comme le début d’une carrière prometteuse et d’un catalogue riche et diversifié.
C’est un parcours du monde des rythmes formalisant une audace inventive, ignorant les frontières pour un monde meilleur qui invite à la danse, au chant de la vie, l’espoir, l’avenir, la paix et la tolérance. Une formule spontanée qui remporte le pari d’un monde fougueusement novateur qui charme et qui promet.
Les nouveaux messagers de l’espoir
Les jeunes artistes qui ont opté pour un nouveau genre musical se savent imbus d’une mission. Mais à aucun moment, ils ne se disent prêts à assumer un rôle qui n’est pas le leur. Nous l’avons bien compris. Ils font de la musique pour la musique.
« Nous faisons de la poésie, nous composons de la musique et nous voulons investir la scène musicale pour transmettre cet amour de la vie aux autres et partager nos expériences comme des jeunes vivons les mêmes problèmes et berçons les mêmes rêves. Mais nous ne faisons pas de la politique », affirme Hatim du groupe H-Kayne.
C’est que ces artistes sont bel et bien conscients de leur rôle. Leurs fans ne veulent pas de discours politiques, mais juste partager une expérience. Celle d’un jeune Marocain qui raconte son quotidien avec des mots de la rue. Et c’est ce qu’ils font. Leurs chansons racontent la vie de tous les jours, le malaise des adolescents, le chômage, l’incompréhension sociale et familiale… Et c’est ce qu’ils entendent faire passer comme message. « Nous ne sommes pas là pour changer le monde, mais si nous pouvons aider ne serait-ce qu’une personne à surmonter ses problèmes et à sortir de son isolement », explique Hanane « temps de dresse » du groupe X-Side. Pour elle, la musique a cette capacité d’élever les âmes et de les sortir de la léthargie quotidienne. « Prenez le rap comme une musique et non comme un moyen de passer des messages. Nous sommes avant tout des musiciens et non des politiciens qui font des discours. Chacun a son domaine et le nôtre est de faire de la musique et de jouir d’un espace de liberté ».
Pourtant, le texte ne vient pas au second plan. Il est une des composantes essentielles de ce nouvel art. Un texte rythmé certes mais à travers lequel sont véhiculés plein de messages. Le hip-hop comme le rap sont des espaces d’échange qui ont ses propres lois. La darija y est remodelée et prend des tournures poétiques mais plutôt emprunte du parler de la rue. « D’ailleurs personne ne comprendra ce langage à moins d’être initié à cet environnement. D’autant plus que certaines chansons sont des joutes de verbes échangés entre des groupes qui ont vécu telle ou telle situation ou carrément des disputes », explique Hicham Abkari, le directeur artistique du Festival de Casablanca.
Et pourtant, ces textes rythmés sont porteurs d’espoir. « Nous n’avons aucun pouvoir pour contrecarrer le terrorisme. Nous le dénigrons, nous le combattons comme des citoyens. Nous ne voulons pas assumer des responsabilités qui sont trop grandes pour nous », précise Hatim. Le rap et le hip-hop ne peuvent pas guérir les maux des jeunes souffrant de pauvreté, d’exclusion, mais ce nouveau genre a cette capacité d’attirer des jeunes car ils s’y identifient et s’y retrouvent. « Une maman est venue nous voir un jour les larmes aux yeux. Elle nous a raconté comment son fils de sept ans qui souffre d’un grand handicap de langage a pu s’en sortir. Je l’ai surpris en train de chanter d’un trait une de vos chansons, lui qui est la risée de tous ses petits camarades car il ne peut pas prononcer un seul mot sans bégayer », raconte-t-elle avec plein d’émotion. Nous sommes contents de cet « exploit » et si fiers d’avoir pu donner à cet enfant un espace d’expression et à une maman un espoir en une proche guérison ! », explique Hatim qui s’élève contre l’instrumentalisation politique de leur musique. « Certains politiciens nous utilisent pour attirer les jeunes électeurs. Nous ne sommes pas contre, mais nous voulons être considérés à notre juste valeur et non comme des marionnettes ». Hicham Abkari confirme ces dires « ces mêmes politiciens véhiculent un message complètement négatif en nous présentant comme un « vice mais moins dramatique » pour soi-disant détourner les jeunes de la drogue, de l’immigration clandestine ou du terrorisme. Or, c’est faux », dit-il.
Reste que cette musique, née depuis quelques années au Maroc, trouve un auditoire de plus en plus nombreux. « Nous sommes contre les discours de haine qui sont véhiculés et condamnent la liberté publique et privée. Il faut que les politiciens soient réalistes et côtoient les jeunes pour être plus attentifs à leurs demandes et guérissent ainsi leurs maux. Comment peut-on représenter une génération en la traitant de subversive ? », s’interroge-t-il. Ces jeunes musiciens n’ont jamais pu oublier le scandale de 2003. Quand des jeunes ont été condamnés pour des actes de satanisme.
Surnommés “Les adeptes du satanisme", des jeunes Casablancais dont l’âge varie entre 20 et 28 ans et issus tous d’une classe moyenne : l’ingénieur, le cadre d’entreprise, le gestionnaire et même le chômeur, ont été arrêtés par les éléments de la BNPJ de Casablanca le dimanche 15 février 2003. Garde-à-vue de 48h puis prolongée de 24 dans les locaux de la police, ils ont été tous déférés mercredi 19 février 2003 devant le tribunal de première instance de Casa-Anfa.
Les chefs d’inculpation retenus contre eux trouvent leur fondement juridique dans l’article 220 du Code pénal marocain : “… Est puni de six mois à trois ans et d’une amende de 12.000 dirhams quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins soit en utilisant à ces fins des établissements…".
Des démarches visant la libération des prévenus avaient été entreprises par des ONG marocaines, dont l’Association marocaine des droits humains (indépendante) et des organisations de musiciens et de cinéastes. Et ils ont réussi à contrecarrer ce type de procès qui ternit l’image du Maroc.
Depuis, les amateurs de hip-hop, de fusion, de musique électronique et de métal sont particulièrement soudés. Ils iront jusqu’au bout pour faire rempart contre l’obscurantisme. Les festivals mettant en scène des jeunes artistes s’enchaînent, les invitations sur plateaux télévisés les mettent en exergue, quoique ces émissions ne passent pas au prime time et certains annonceurs misent même sur ce genre musical.
Rap et hip-hop, les musiques de l’avenir
La musique urbaine trouvent un espace d’expression grâce au festival de Casablanca et celui des jeunes musiciens du Boulevard.
Pensez-vous que la gratuité et les festivals sont les seuls garants du succès et de la pérennité de ces groupes, sachant que la publicité participe également à cette notoriété ?
Hatim (H-Kayne) : Personnellement, j’ai une licence et les autres ne sont pas moins diplômés que moi. Nous aurions pu intégrer des entreprises, mais nous avons tout laissé tomber pour la musique. Je me rappelle qu’une fois, on nous payé 40 dh après une prestation. Des fois, c’était nous qui payions 25 dh ou plus pour pouvoir nous produire sur scène. Bref, nous sommes devenus les marionnettes de quelques misérables spéculateurs.
A titre d’anecdote, nous avons participé à un concours organisé par une personne dont je tairais le nom. Elle nous avait promis un voyage en Russie pour les premiers gagnants.
Le problème est que le public qui aime cette musique et qui peut la sauver est lui-même démuni. Les jeunes issus des milieux populaires sont friands de cette musique, mais ils n’ont pas de quoi payer les entrées pour assister aux spectacles. Le 14 décembre 2002, nous avions organisé un concert professionnel payant. Résultat, seuls quelques dizaines de spectateurs ont pu entrer alors qu’il y avait des milliers dans la rue qui berçaient l’espoir de voir les portes s’ouvrir pour assister au spectacle.
Hicham Abkari : Il ne faut pas oublier les lobbies. Des gens qui ont des privilèges dans le monde audiovisuel et qui touchent gros pour des compositions qui ne se vendent même pas. Ils ont des contacts avec la télévision et la radio et empêchent cette musique d’émerger…
La part du marché est partagée depuis des années. Or, avec l’arrivée d’artistes qui ont opté pour des musiques ayant un grand succès auprès des jeunes, la donne a changé. D’où la menace. Ces personnes prôneront l’identité et la marocanité et crient au scandale et au complot étranger. Mais tout est question d’intérêt et d’argent.
Les droits d’auteur restent très ambigus. Il nous faut un syndicat ou une sorte de coopérative pour défendre nos droits
Hatim : Au festival de Dakhla, c’était flagrant. Les organisateurs ont fait venir des articles de renommée mondiale à qui on a payé le prix fort et qui n’ont pas eu un grand succès. Le public a déserté le spectacle. Le hip-hop et le rap sont des nouveautés. Il faut patienter pour nous affirmer sur la scène musicale marocaine. Notre musique est la musique de l’avenir. Il suffit que l’on s’organise pour prouver à tous ceux qui osent, au nom des conventions ou de la religion, nous assimiler à des personnes qui cherchent à “diaboliser les esprit”. Nous sommes des Marocains et des Musulmans, avec nos défauts et nos particularités. Notre seule différence est que nous sommes des artistes qui apportent une nouveauté. Nous sommes la nouvelle vague tant crainte par tous ceux qui ne savent pas nager. Nous n’accusons pas tous les chanteurs classiques ou traditionnels, il y en a qui sont très ouverts d’esprit et qui nous encouragent.
Ils ont dit : Un rythme qui s’impose
Rythme
“Le hip hop comme le rap sont venus enrichir la scène musicale marocaine. Les jeunes adorent ce genre de composition où se mêlent français, arabe et anglais. Tout y est rythmé. Aujourd’hui, des noms comme Bigg, X-side, H-Kayne… sont devenus très connus auprès d’une génération qui veut danser et chanter et fuir la réalité trop pesante. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’encourager ce nouvel art et de l’aider à persister et à dépasser toutes les contraintes”.Fait passer des messages
Messages
“C’est un moyen de transmettre des messages. La nouvelle tendance est un terrain favorable pour communiquer et sensibiliser. Grâce à ces jeunes, les problèmes sociaux et familiaux comme les souffrances psychologiques sont exposés. Grâce à ces chansons, les jeunes peuvent réaliser qu’ils ne sont pas seuls et que leurs problèmes sont partagés. C’est comme cela qu’ils peuvent s’en sortir surtout quand il s’agit de parler d’une catégorie sociale marginalisée. Les jeunes de tous les milieux sont en interaction avec cette nouvelle musique”.
Popularité
“Cette musique est devenue un vrai phénomène social. Il est donc temps de la reconsidérer non comme un genre venant de l’extérieur pour déformer nos mœurs mais comme une réalité qui touche nos jeunes. Sa réussite auprès des jeunes, démontre qu’elle est un art avec toutes ses composantes qu’il faut prendre en compte. Un art certes qui met en valeur un parler plutôt simple et quelquefois grossier, mais c’est ça la musique. Ils parlent son langage et dénoncent leurs problèmes sociaux et familiaux, d’où leur popularité”.
Une mode
“Certes, ce genre de musique aborde des thèmes sociaux et parfois traite même des conflits internationaux comme la guerre en Irak ou la situation en Palestine mais je ne crois pas qu’il va durer dans le temps. Il y a d’une part, l’effet de mode : tout comme le smurf qui n’a pas fait long feu et d’autre part, il y a trop de conflits entre ces groupes. Par ailleurs, l’utilisation de mots vulgaires n’aide pas.
Donc pour rester sur scène, il faut qu’ils fassent un effort et qu’ils corrigent ces défauts”.
Le piratage rapproche les cultures
Que pensez-vous du piratage de votre musique ?
Hatim (H-kayne) : D’un côté, nous ne sommes pas contre, car le piratage aide le public à nous connaître. Il nous a même aidés à connaître des cultures différentes et à avoir accès à des logiciels qui coûtent affreusement cher.
De l’autre côté, le piratage ne nous aide pas à faire valoir notre musique auprès des maisons d’édition. Il faut donner des chiffres exacts de vente et alors que des milliers écoutent notre musique et l’aiment, seuls quelques-uns l’achètent par voie légale et reconnue.
Master Flow (Casa Crew) : On ne peut rien faire contre le piratage. Il faut rééduquer les gens et non les submerger d’interdits. Il y a des jeunes qui achètent des CD d’origine. Nous avons lancé un CD attractif que nous avons balancé volontairement à travers le net pour que tout le monde puisse y avoir accès. Il y a eu une bonne réaction. Les gens ont pu télécharger mais comme la pochette était plutôt attractive, ils ont cherché à acquérir le CD d’origine.
Par ailleurs, il ne faut pas seulement condamner. La distribution accuse un grand retard chez nous. Imaginez qu’un jeune habitant dans la banlieue casablancaise, est désireux d’acheter un de nos CD d’origine, il doit aller jusqu’au magasin agréé. Les transports et les frais d’acquisition deviennent un vrai fardeau pour un jeune qui a peu d’argent de poche.
Hicham Abkari : Il y a une grande hypocrisie quand on sait que la majorité des artistes, du moins ceux qui ont lancé ce genre de musique, ont pu travailler et se produire en utilisant un logiciel piraté et que maintenant, ils viennent dénoncer le piratage.
Pour moi, le piratage est la démocratisation des cultures et tous ces discours dont on nous bombarde au sujet du piratage viennent de l’extérieur et des élites qui ont un pouvoir d’achat et ont peur pour leur business.
Il y a des années, on n’aurait pas pu avoir accès à toutes ces musiques, à ces films et au savoir tout court. Nos moyens sont limités et seul le piratage a pu nous sauver et nous sortir de ces ignorances. Aujourd’hui, on achète un CD à 5 dh qui permet de découvrir et d’avoir accès à d’autres horizons.
Temps de dresse : « les paroles doivent toucher la sensibilité des gens »
Les « rappeuses » marocaines sont encore peu nombreuses. Mais dans cet univers réputé plutôt masculin, certaines jeunes filles ont pu trouver leur place. Entretien avec Hanane, alias Temps de dresse, du groupe X-side.
Le rap est construit sur des paroles et des messages. Comment se passe le processus d’écriture, chez vous ?
Au départ, j’ai commencé par écrire des poèmes, en arabe, que je ne faisais partager à personne, pour mon seul plaisir. Après avoir écouté du rap, je me suis sentie emportée par ce mouvement : quand tu te sens bien, tu écris des choses, quand tu te sens mal, tu l’écris. Chaque chose qu’on vit personnellement, on est sûr qu’une autre personne, un autre adolescent vit la même chose, au même moment. Quand tu écris sur un thème, tu ne parles pas de toi, tu fais passer le message, tu parles de ce que tu ressens et de ce que les gens ressentent et c’est là que tu fais passer le message.
Concernant le processus d’écriture, il y a quelqu’un qui propose un thème, on en discute, on travaille encore jusqu’à aboutir à une version qui puisse satisfaire tout le monde.
Comment avez-vous pu intégrer un groupe de rap ?
Il faut faire sa place, s’imposer. Si tu es avec des mecs, il faut réussir à passer tes messages pour les convaincre. Ils doivent savoir ce que tu veux dire. Les garçons connaissent la rue contrairement aux filles qui doivent batailler pour faire passer leurs messages.
J’ai chanté mon premier couplet avec un autre groupe et quand les X-Side m’ont entendue, ils m’ont demandé d’intégrer leur groupe. Grâce à Dieu, tout s’est bien passé. Cela fait un an que je suis avec eux.
Pour intégrer ce monde viril dont vous parlez, vous sentez-vous obligée d’utiliser les mots de la rue, les mots vulgaires ?
Non. Pour notre groupe, quand on veut faire passer un message, celui-là doit être clair, avec des mots qui touchent la sensibilité des gens, ce sont des mots qu’une fille peut entendre avec sa mère, qu’un garçon peut écouter en famille.
Comment votre famille a réagi la première fois que tu as décidé de chanter du rap, d’intégrer un groupe de rap ?
Leur réponse a été : sois tu termines tes études, sois tu ramasses tes bagages, et tu pars. Ma réponse a été le rap… Mes parents ont fini par accepter ma décision. Ils comprennent que je puisse rentrer en retard, que je m’absente, que lorsque je sors, c’est pour rencontrer des garçons… Mais quand la confiance règne, quand les parents savent ce que fait leur fille, ils acceptent.
Quelle a été la réaction de tes parents, la première fois que vous leur avez fait écouter l’un de vos morceaux ?
Cela a été un désastre. J’ai demandé à mon père qui venait de se faire opérer d’entrer dans la chambre pour lui faire écouter le morceau, il a trébuché puis est tombé quand il a voulu s’asseoir sur la chaise. Et finalement, quand il a écouté la chanson où je parlais de ma mère, il m’a dit pourquoi elle et pas moi ?
Libération - Khadija Alaoui - Mohamed Kadimi - Ayoub Akil - Nadia Ziane
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