Piratage : home sweet home cinéma

24 janvier 2009 - 22h25 - Culture - Ecrit par : L.A

Décor du paysage urbain, les vendeurs de DVD sont les derniers maillons d’un système d’approvisionnement bien organisé. Téléchargement, copie, distribution… Tour d’horizon.

22 heures, Casablanca. Une petite rue près du boulevard Ziraoui. Sur fond d’arômes et de saveurs des multiples restaurants voisins, Nabil tient son commerce, provoquant par sa seule présence un embouteillage. Sur une grande table, il expose un large éventail de DVDs : Mamma Mia, Australia, Che, 24 Heures Chrono, des films encore en salle à New York et des séries télé toujours en tournage à Hollywood. Nabil n’est pas seul. Autour de lui, d’autres petits vendeurs ont élu domicile, souhaitant bénéficier de sa popularité. Car notre vendeur est bel et bien connu. On vient le voir, on l’appelle directement sur son portable pour passer commande, on ne connaît que lui. Et pour cause, il assure avec maestria l’essentiel : le service-après-vente. “Pour garder le monopole sur le marché, il faut savoir fidéliser le client. Je les informe par texto de l’arrivée du dernier épisode de leurs séries. Et petit plus pour mes meilleurs clients, je les livre à domicile”, explique-t-il. Ses clients sont exigeants. “Nous n’avons pas affaire à des consommateurs standard, comme ceux de Derb Ghallef. Mes clients, polyglottes et au courant du box-office américain, préfèrent les versions originales et passent commande avant même la sortie du film en salle à l’étranger”, poursuit-il. “Il faut toujours se tenir informé. Par exemple, pour une série telle que Gossip Girl, dès que l’épisode est diffusé aux Etats-Unis, hop, je l’ai !”. Sa technique ? “Aller très vite”, répond notre vendeur star.

Trouver la matrice

Le rythme semble marathonien. Le matin, Nabil part en quête des dernières sorties piratées, son but : mettre la main sur la matrice, c’est-à-dire la première copie disponible sur le marché. “Cette matrice a une durée de vie d’une journée, avant d’être copiée et reprise partout”, détaille le vendeur. “Dès que je l’ai, je la travaille moi-même si nécessaire pour insérer un menu ou mettre des sous-titres. Puis je préviens mes clients et je l’expose”. Dès 19 heures, son “stand” s’ouvre pour assurer jusqu’à 2 heures du matin, qu’il pleuve ou qu’il vente, le divertissement ciné des Casablancais. Il ajoute à ce propos : “La demande est très forte. Il faut faire très vite.” Ce qui demande de connaître la grosse tête du moment, qui fournit, justement, les fameuses matrices. Mehdi, ingénieur de formation, est le principal approvisionneur en matrices de séries télé du moment. “Le petit vendeur de rue tout comme le gros revendeur n’ont pas besoin de télécharger, ils cherchent seulement la matrice. Et pour la leur fournir, il faut pouvoir la télécharger avant les autres, avoir le bon contact, la bonne adresse de téléchargement. Et c’est du travail”, raconte-t-il. Et de travail, Mehdi en a un plus officiel dans une multinationale du secteur financier.

En parallèle, il laisse son ordinateur télécharger toute la journée et passe une partie de la nuit à arranger des matrices, qu’il revend dès le lendemain à travers ses contacts. “Même si l’investissement est de moins en moins cher et que n’importe qui peut acheter une tour de graveur et faire ses propres copies, il est possible de garder le monopole”, estime le fin limier. “Il y a des règles, des codes à connaître. Ce n’est pas donné à tous. Certains sites nécessitent un abonnement et ferment les candidatures à partir d’un certain nombre d’adhérents. Au fil des ans, je suis devenu un expert pour la simple raison que je maîtrise tout cela”. Mehdi gravite depuis 5 ans dans ce monde qui fait vivre des milliers de personnes. “Une anarchie hiérarchique, où le pouvoir réside dans la rapidité et l’intelligence”, commente-t-il. “Tout se trouve sur Internet. Il suffit de ne pas avoir peur de fouiner, révèle-t-il.

On peut télécharger des films à l’affiche à l’étranger et certains sites mettent en ligne gratuitement les sous-titres des derniers épisodes des séries à la mode. Gratuitement, sans aucune obligation !”. Mais sur ses gains exacts, Mehdi se fait plus discret : “Je ne propose que la matrice car je n’ai pas le temps. Ceux qui font eux-mêmes les copies gagnent plus, c’est certain”. Pourquoi se fatiguer alors ? “Car j’aime ça, ça me passionne.” Et de saluer le courage des screeners (ceux qui se hasardent à filmer dans les salles de cinéma) : “Ils prennent la peine et le risque de le faire et le mettent sur Internet juste après, pour que tout le monde en profite”. “Les champions sont, sans hésiter, les Russes, puis les Chinois et les Canadiens”, précise-t-il. Les séries proviennent des mêmes pays, directement enregistrées des télévisons américaines, mises en ligne sur Internet, sous titrées. En moins de 24 heures, elles sont, en bout de chaîne, sur la table de Nabil, au lendemain de leur diffusion.

Vu mais pas pris

Et on se presse devant l’étal. En voiture, à pied, en sortant des restaurants alentour. Un à deux policiers contrôlent la circulation, s’efforçant d’assurer un maximum de fluidité. “Je ne faits rien de mal, affirme Nabil. Les flics ne font pas de vagues avec les voitures stationnées en deuxième file. A côté, bien sûr, je leur offre des films.” Le cliché est trop tentant pour ne pas poser la question : ils regardent Prison Break ? “Non, ils préfèrent les dessins animés pour leurs enfants.”, confie-t-il. “Le seul vrai danger est de vendre les films marocains. On risque d’être poursuivi par le producteur lui-même, qui peut venir à la table et faire un scandale s’il trouve son film piraté”, explique le vendeur aguerri. Il est vrai que les longs-métrages nationaux se font rares sur le marché. Mais certains films marocains sont désormais distribués de manière légale et sont très abordables. “La société de Saïd Naciri, par exemple, produit elle-même ses propres films en VCD, et les distribue directement aux vendeurs à 13 DH l’unité. Idem pour les films berbères, distribués légalement à des prix assez bas”, rappelle Amine, propriétaire d’une boutique qui a pignon sur rue. Et la solution semble porter ses fruits.

Pour pallier le piratage des productions étrangères, Mehdi a aussi sa petite idée… et son entreprise pour commercialiser à faible prix les derniers nés des studios hollywoodiens. Car la répression organisée en 2005 et 2006 contre les vendeurs de DVD est encore dans les mémoires. Et quand un vendeur ou un grossiste est pris, la sanction peut être sévère. “De 100.000 à 300.000 DH, avance Mehdi Mghazili, chef de la division de distribution au Centre cinématographique marocain. S’ajoute un risque de sanction pénale si le contenu touche aux mœurs”. Une épée de Damoclès sur les têtes de tous les vendeurs ? Vu l’ampleur du phénomène, plutôt un canif’…

Source : TelQuel - Sonia Terrab

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Sujets associés : Cinéma - Piratage - Derb Ghallef

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