Peux-tu te présenter aux lecteurs du site ?
J’ai grandi et passé mon bac à l’Ecole Américaine de Casablanca, au Maroc. Malgré un parcours plutôt américain, j’ai toujours eu envie de vivre en Europe C’est pour ça, qu’après un court passage dans une université en Floride, je suis venue m’installer à Paris. J’ai suivi quatre années d’études de communication à l’université américaine de Paris, jusqu’à ce que Leila Marrakchi, que je connaissais bien, me tombe dessus avec le scénario de "Marock".
Tu es arrivée sur Paris à 18 ans, tu as suivi des études en communication. Qu’est-ce qui t’as amené à accepter ce premier rôle d’actrice dans Marock ?
L’histoire et le propos de "Marock" m’ont tout de suite touché. D’abord, parce que je connaissais bien le sujet, j’ai vécu dans ce même Maroc, j’ai côtoyé cette jeunesse dont parle le scénario. L’idée de faire un film qui révèlerait un Maroc que peu de gens connaissent, loin des clichés misérabilistes, me semblait capital. On allait enfin pouvoir voir des jeunes marocains picoler, faire la fête, tomber amoureux comme partout dans le monde. Je me suis sentie dès le départ concerné par ce projet.
Tu t’étais déjà essayée à la comédie ou au théâtre au Maroc ?
Absolument pas, c’était un univers qui m’était complètement étranger.
N’avais-tu pas des appréhensions en arrivant sur ce premier tournage ?
Avant le tournage, Leila essayait de me faire réaliser l’enjeu que c’était de tourner un film. Moi je ne prenais pas du tout ça au sérieux, j’allais simplement passer mon été à faire un truc génial, en étant payée en plus. Et au pire, c’était qu’un film ! Dès le premier jour du tournage, j’ai compris qu’on n’était pas là pour s’amuser.
Marock est un film qui a créé une polémique juste après son passage dans un festival à Tanger. C’est une comédie dramatique qui parle de jeunes huppées et notamment de l’idylle entre une arabe musulmane et un juif. Comprends-tu les réactions des détracteurs avec du recul ?
Pendant le tournage, on sentait déjà avec l’équipe qu’on tenait une petite bombe entre les mains. Marock est un film qui lève des tabous sur bon nombre de sujets extrêmement sensibles : la corruption, l’alcool, la religion, l’arrogance de la bourgeoisie... La polémique est née de cette incapacité de certaines personnes à voir la réalité en face.
Rien de ce qui est montré dans ce film est loin de la réalité du pays. Ce qui est encore plus incompréhensif, c’est que l’incident du festival de Tanger a été initié par des intellectuels, des cinéastes marocains. Avec beaucoup de recul, je comprends qu’il y ait eu polémique dans la mesure où la réalisatrice a pointé du doigt des problèmes importants et non résolus au Maroc. Cette polémique a d’ailleurs beaucoup servi le film. Mais je ne cautionnerais jamais toutes les attaques disproportionnées et les propos incendiaires qui ont été prononcés pendant la sortie en salle.
Quelle expérience en tires-tu ?
Marock a été une expérience exceptionnelle. Je me suis rendu compte qu’un film pouvait secouer tout un pays. Le tournage s’est déroulé dans une bonne humeur ambiante, je crois, unique. Et comme aboutissement, le fait de monter les marches de Cannes, pour défendre Marock, en tant que film marocain... c’était une immense fierté pour moi. Mais au-delà, c’était mon premier tournage, chaque jour était un apprentissage : se familiariser avec la caméra, se concentrer pour une scène, jouer avec ses partenaires... c’était une initiation au cinéma pour moi.
Pour ton deuxième film, tu frappes encore plus fort dans le genre polémique avec "Martyrs". Avant d’accepter le personnage d’Anna, c’était un plaisir personnel que d’accepter des rôles aussi forts et différents de la jeune actrice modèle qui joue dans des fictions françaises ?
Si j’ai choisi de continuer ce métier, c’est pour avoir des rôles comme ça. Je veux prendre des risques, jouer dans des films forts et percutants. Ca ne m’intéresse pas de faire des films où je suis choisie pour représenter les clichés de mes origines.
Martyrs et Marock sont quand même deux histoires plutôt trash par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir en salle, n’as-tu pas peur pour la suite qu’on te juge d’actrice barrée, comme l’est Béatrice Dalle ?
Marock n’est pas un film trash, bien au contraire, c’est un film extrêmement touchant, frais et émouvant, sur fond de critique sociale. Bien sûr, le sujet est épineux, mais l’émotion et la tendresse du film prennent le dessus. Martyrs est un film trash, mais on voit tout de suite que le fond du film, son propos, ses tripes, expriment une sincérité bouleversante. Pour répondre à la question, c’est à peine mon second film, je ne pense pas qu’on m’attribue d’image. Alors de savoir si on me jugera d’actrice barrée... et quand bien même... ça ne serait pas trop grave.
Peux-tu nous présenter le personnage d’Anna ?
Anna, c’est une sorte de sainte des temps moderne. C’est un personnage fort, calme et réfléchi. Elle vit pour les autres, sa générosité et sa dévotion sont infinies. Ce personnage est motivé par une conscience d’être là pour quelque chose, pour faire le bien. Elle le fait sincèrement et sans concession. On le voit à travers le rapport qu’elle entretient avec Lucie, et l’énergie qu’elle met dans le film à "réparer les dégâts ", une énergie concentrée et rationnelle, sans aucune hystérie.
Qu’est-ce qui t’as plu dans ce rôle ?
Ce qui m’a plu dans ce rôle c’est sa complexité. Il y a une contradiction chez ce personnage qui n’est pas forcement apparente, son extrême bonté en fait quelqu’un de presque abstrait, mais en même temps, elle existe, elle est palpable et profondément humaine.
Anna est un personnage extrêmement touchant dans le film. Sa relation avec Lucie est plus que fusionnelle. Plus l’histoire avance, plus Anna excelle. On la découvre et elle nous bouleverse. Le tournage a dû être quelque peu pénible pour toi et Mylène, vous n’avez pas hésité à foncer quitte à vous mettre en danger. Quelle expérience gardes-tu du tournage ?
C’était un tournage incroyable. J’ai mis tout ce que j’avais à l’intérieur de moi pendant ces six semaines. J’ai encore énormément de choses à apprendre mais Martyrs m’a formé en tant qu’actrice. Le travail était très intense et autonome, on n’avait pas le temps de se poser des questions, de réfléchir, il fallait foncer !
En tant que femme et actrice, la lecture du scénario a dû être quelque peu dérangeante. Qu’est-ce qui t’as conduit à accepter de jouer dans le second film de Pascal Laugier ?
Dès la première lecture de Martyrs, j’ai tout de suite été prise par l’intensité de l’histoire. J’ai trouvé que le scénario avait du fond et de la matière. C’était percutant, troublant, angoissant et touchant à la fois. Je ne pouvais m’arrêter de lire, les scènes sont puissantes et l’écriture très visuelle. J’étais absorbée par Martyrs et son suspense permanent. J’ai refermé la dernière page du scénario, je devais faire partie de cette histoire, je devais faire ce film.
Quelle était ta relation avec Pascal Laugier, comprenais-tu ses attentes pour le rôle d’Anna. Il n’y a pas eu des moments ou tu t’es dit "Hey ! Oh, on arrête !" ?
Avec Pascal, on avait beaucoup discuté et répété en amont. Je connaissais ses attentes sur le personnage, le cachet et l’atmosphère qu’il voulait donner au film. Mais encore une fois, le budget du film était trop serré et le temps trop court. On ne pouvait pas se permettre, durant le tournage, de réfléchir ou d’hésiter, il fallait être dans l’action.
Et avec Mylène ?
Avec Mylène, c’est pareil, pas le temps de faire du copinage, on se comprenait d’un regard.
S’il y’a bien une scène sur laquelle tu as pris du plaisir à jouer, ce serait laquelle ?
Toute la dernière partie, dans le sous sol. Je m’étais appropriée cet espace. On tournait dans le calme et la sérénité, on laissait la caméra tourner, toutes les conditions étaient réunies pour que je me sente à l’aise et que je m’exprime.
Et la plus pénible ?
La scène la plus pénible à tourner pour moi : l’acte final (nous avons volontairement modifié l’information pour ne pas spoiler le film Martyrs). C’était LA scène où je devais donner le plus. L’ambiance du plateau était chaotique : il y avait beaucoup de monde, les producteurs au combo, je n’arrivais pas à me concentrer. Ca hurlait dans tous les sens, on communiquait par talkies-walkies et Pascal avait 1000 choses à gérer. Toutes les conditions de tournage, ce jour là, ont fait qu’il fallait que je me démerde toute seule, que je me fasse confiance, je n’avais aucun retour.
Les scènes du sous-sol et les scènes où tu es ensanglantée ont dû être aussi très éprouvantes. Quel souvenir gardes-tu de l’équipe qui a entourée Benoît Lestang sur les maquillages ?
Ces moments au maquillage me permettaient de me détendre, de me reposer. La bonne humeur et la sérénité de Benoît et de toute son équipe me permettaient de souffler pendant le tournage. Leur travail est impressionnant, Anna prenait corps, il la faisait exister, je ne voyais plus de maquillage mais la réalité de ce personnage.
Tu dois avoir des anecdotes sympas avec les litres de sang qui t’ont été versés, non ?
Ben c’est surtout qu’à un moment ça en devenait drôle. J’étais tellement amochée que je faisais peur à toute l’équipe. Je n’osais même plus manger avec les autres.
Accepter de tourner un film de genre comme Martyrs, c’était plus pour toi un défi ou une envie de fan ?
C’était un vrai challenge. Ce film était pour moi l’occasion de me dépasser. Physiquement surtout, j’ai dû perdre du poids pour le rôle, être en super forme physique pour tenir le rythme du plateau et assurer toutes les cascades. Sur le plan psychologique aussi, c’était un défi. Je savais que j’allais devoir garder le contrôle sur mon personnage, ne pas me laisser submerger par la violence des scènes. Toutes ces appréhensions n’ont pas disparues pendant le tournage, c’était un défi de tous les jours, il fallait tout donner à chaque séquence.
Quelle a été ta réaction devant le film Martyrs ?
J’étais très heureuse de voir que le film était fidèle au scénario mais avec un quelque chose en plus. On est plongé dans un univers très particulier, bouleversant, et sincère. Martyrs porte en lui une mélancolie qui m’a énormément émue. Martyrs est un film qui ne laisse pas indifférent, c’est un film d’atmosphère, la force des images et du propos m’a marqué, on n’en sort pas indemne.
Martyrs est passé pour la seconde fois devant la commission de classification. Il est interdit aux moins de 18 ans. Comprends-tu cette décision ?
En soi l’idée d’avoir joué dans un film interdit aux moins de 18 ans est presque plutôt plaisante. C’est juste que, comme le dit très bien Pascal, un film qui subit ce genre d’interdiction, est rejeté par les exploitants et Martyrs est un film qui doit être vu. Et sincèrement je pense qu’une interdiction aux moins de 16 ans serait plus adaptée.
Martyrs est un film réac. Il n’hésite pas à blâmer la société actuelle. Pascal Laugier a souhaité avec son second long faire un constat ambiant. Rejoins-tu son avis sur la société actuelle ?
Tout ce que je peux dire, c’est qu’on s’ennuie aujourd’hui en France. Martyrs réveille les consciences en bousculant les gens de manière radicale.
Y’a-t-il des choses qui aujourd’hui te révoltent ?
Aujourd’hui, tout me révolte, il serait plus facile de me demander ce qui ne me révolte pas
Qu’es-ce qui te fait le plus peur aujourd’hui ?
L’individualisme me fait très peur
Pour en revenir aux films de genre, est-ce un cinéma qui te plaît ?
Je ne suis pas une grande connaisseuse en film d’horreur. Je découvre ce genre et je suis complètement fascinée par cette maîtrise qu’ont ces réalisateurs sur les sensations les plus complexes des spectateurs, comme la peur, le dégoût, l’angoisse.
Quel a été ton premier film d’horreur et quel souvenir en gardes-tu ?
Mon premier film d’horreur est le "Shining" de Kubrick, j’en garde un souvenir intact. Ce film m’a énormément troublé.
Ton dernier film de flippe en date c’était ?
Dernièrement, j’ai vu "Chiens de paille" que j’ai trouvé extraordinaire.
As-tu vu les autres films de genre français comme "A l’intérieur", "Haute tension", "Ils", "Sheitan" ?
Oui, et pour moi "Haute tension" est de loin le meilleur de ces films cités. C’est un film flippant qui manipule la perception du spectateur.
Si on te proposait à nouveau de tourner pour le genre, tu accepterais ?
Oui, sans hésiter.
Comment te vois-tu dans 10 ans ?
J’ai toujours eu beaucoup de mal à me projeter, et puis je me suis souvent trompée.
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Le prochain Leila Marrakchi
Source : Oh my gore - Cosmocats