Une des singularités culturelles des tribus des Aït Hdiddou, relevées par l’anthropologue américain David M. Hard, lors de son enquête menée, il y a plus de quarante ans, auprès de cette population montagnarde du Haut Atlas (2 300 mètres d’altitude), est le rituel annuel des mariages de groupe. Son intérêt « sociologique et ethnologique est immense, d’autant que ces pratiques, toujours vivaces, qui se célèbrent auprès du tombeau du saint Sidi Ahmed El Moughni, (situé à 20 km d’Imilchil centre), soulignait l’anthropologue, sont sans parallèle au Maroc et presque certainement dans toute l’Afrique du Nord ». Mais, de retour parmi les mêmes tribus un an plus tard, il s’émut du constat que le ministère du Tourisme avait confisqué le moussem « du début à la fin et avait ainsi réussi à le faire passer d’un rituel social vivant et collectif, à un défilé de marionnettes sans vie ».
Malgré les avatars subis, les détournements dont il est l’objet et les avanies qu’il essuie (« souk de prostituées » selon les esprits obscurantistes), le moussem des fiançailles d’Imilchil continue encore, contre vents et marées, à être célébré par les deux branches de la tribu des Aït Hdiddou : Aït Yazza et Aït Brahim, et par les autres tribus vivant aux abords de la vallée de l’oued Assif comme une manifestation d’une grande portée culturelle, économique et sociale. D’ailleurs, les gens du cru l’appellent Souk al am (le marché de l’année). Véritable foire annuelle, il attire toutes les tribus de la région qui s’y rencontrent, s’y approvisionnent en blé, en orge, y vendent bétail et autres fruits de leur labeur. Et, surtout, ils s’y marient. En hommage à ces deux amoureux qui, d’après la légende, n’ont pu sceller leur union en raison de leur appartenance à deux tribus antagonistes : les Aït Brahim et les Aït Yazza. Leur chagrin était si grand, poursuit la légende, qu’ils versèrent une cascade de larmes qui féconda les deux lacs de la région, Isli et Tislit.
Rendre ses titres de noblesse au moussem
Cette année, la liesse qui emplit Imilchil et ses alentours pendant cette pause festive s’est amplifiée. Car, en plus du moussem des fiançailles rituel, un festival artistique baptisé « Festival de musique des cimes » a été organisé sur ces terres à l’initiative du Centre Tarik Ibn Zyad en partenariat avec Ahkiam et Adrar, deux associations de développement d’Imilchil. Pendant trois jours ( les 29, 30 et 31 août), la vallée, désenchantée parce que démunie des ressources les plus vitales telles que l’eau potable et l’électricité, sans parler des infrastructures hospitalières, des centres de loisirs, de bibliothèques, du téléphone portable et de l’internet, était en effervescence. Pourquoi cette « effraction » (l’organisation d’un festival en plus du moussem) dans la vie d’un village paisible et pur comme l’air de ses montagnes ? La réponse de Mustapha Tiloua, membre du comité d’organisation du festival et auteur d’une thèse de doctorat intitulée Carthage et le Maroc est la suivante : « Il était temps de rendre ses titres de noblesse à un moussem dont l’image s’est lamentablement écornée. Les mariages de groupe, ici, sont une tradition séculaire et n’ont rien à voir avec la prostitution sacrée du temps des Carthaginois et des Phéniciens. Nous avons voulu insuffler une bouffée d’oxygène à une région isolée et très pauvre dont la seule ressource est l’élevage et très peu d’agriculture. » La joie manifestée par la population imilchilie, venue accueillir le spectacle inédit organisé dans le centre du bourg en fin de cette semaine, attestait que celle-ci a soif qu’on s’occupe d’elle en attendant des jours meilleurs. Quelques troupes musicales amazighes (Ahidous Aït Hdiddou, OulHoucine, Moha Oulmouddene...) s’étaient déployées à qui mieux mieux. Les voix, mélodieuses, s’élevaient comme une symphonie dans les cimes du Haut-Atlas. Les festivaliers ont pu suivre en outre les péripéties d’une authentique cérémonie du mariage des Aït Hdiddou, telles qu’elles sont transmises de génération en génération. Depuis l’envoi des messagers (les Isnayen) du futur époux à la famille de la future épouse, jusqu’à la bénédiction du père exprimée par l’invitation à sa fille de marcher sur son « izar » et le départ de celle-ci sur la mule en direction de sa nouvelle demeure. En passant par la cérémonie du henné et le partage d’ « abadir », le grand pain pétri de la main des hommes. Eux qui, dans ces contrées berbères arides, ne travaillent jamais dans les champs, laissant cette besogne aux femmes. « Un homme avec une faucille à la main, ici, c’est comme s’il portait une jupe », décrit un observateur des mœurs imilchilies.
Le fabuleux travail des ONG
Ni la cérémonie du mariage, ni les poèmes du sexagénaire Auray Boughanim, venu de Toufnit (province de Khénifra) chanter le courage, l’hospitalité des Amazighs et stigmatiser le terrorisme, ne masqueront la misère ambiante. Comment ne pas être révulsé par le spectacle d’enfants en haillons, pieds nus, regard hagard et qui n’ont jamais fréquenté ou très peu les bancs d’une école ? Comme cette femme dont le mari est décédé, rencontrée sur la piste pierreuse qui sépare les lacs Tislit d’Isli, (respectivement distants de cinq et de quinze kilomètres d’Imilchil centre). Nombreux étaient ceux au bord de la route à tendre la main pour quémander des bonbons, un dirham, ou un stylo.
Avec cela, l’austérité et la rudesse de la vie n’ont pas entamé la fierté et le courage des fils des Aït Hdiddou. Le 2 mars de cette année, 4 000 d’entre eux se sont mutinés. L’étincelle fut l’incapacité du seul groupe électrogène qui fonctionne dans le bourg à éclairer toutes les maisons. Les émeutiers exigeaient seulement de l’eau courante pour tous et un hôpital pour soigner les malades. Mais, dans la vallée de l’oued Assif, on n’a pas attendu la manne et la bienveillance de l’Etat. Quelques vaillants enfants d’Imilchil diplômés d’université, solidaires et jaloux de leur région ont pris à bras le corps le développement d’Assif Melloul, jetant ainsi les bases de quelques infrastructures. C’est le cas de Maghrine Lhou, président de l’association Akhiam pour le développement économique et social. A l’actif de la jeune association créée en 2000 l’extension au village l’Agoudal, le plus important de la vallée, du réseau d’eau courante puisée des puits. Entièrement financé par l’ambassade du Japon, le projet a coûté quelque 330 000 DH.
Mohamed Daamti, lui, après des études à la Faculté des sciences à Marrakech et l’obtention d’une licence en biologie végétale est rentré au bercail pour réaliser le projet dont il rêvait : un complexe touristique. Ce fut le « Collier d’Ambre Imilchil » qui a nécessité un investissement de 400 000 DH, dont la moitié fut prise en charge par un crédit jeune promoteur.
Mais, comment, avec un maximum de 500 touristes par mois visitant le site pendant la haute saison, cet investisseur pourra-t-il rentrer dans ses frais, sans parler de rentabilité ? Avec des routes escarpées, dans une région difficile d’accès à cause de la neige et les orages ? « L’on ne perd pas espoir », se contente de répondre laconiquement le jeune promoteur. Espoir qui a grandi amplement avec ce premier festival de musique
Jaouad MDIDECH pour la vie éco