Des Vikings dans le Sud marocain ?

6 octobre 2004 - 08h59 - Culture - Ecrit par :

Avant l’islamisation du Maroc, des hommes d’Europe du Nord seraient venus, par la mer, dans le sud du pays à la recherche du cuivre dont ils avaient besoin pour forger leurs armes. Une thèse que la découverte récente de mégalithes funéraires et de peintures rupestres semble accréditer

C’était en juillet 2001. Fatimatou Malika bent Benata avait planté sa khaïma, la tente décorée qu’affectionnent les nomades du Sahara, aux abords du puits d’Aouinet Azguer. Arrivée au plus étroit de la vallée, là où les gazelles laissent la trace de leurs pattes dans le sable, elle s’était mise à chercher un abri : le soleil cognait fort et elle craignait que son plus jeune fils ne prenne un coup de chaud. Elle avait fini par se glisser, avec l’enfant, sous l’une de ces tables rocheuses qui découpent la falaise comme autant de tranches de cake. Quelle ne fut pas alors sa surprise d’apercevoir, peints sur le plafond, des dessins dans un état de conservation parfait. Il y avait des hommes nus, armés d’un arc, dansant autour d’un bœuf - azguer, en berbère, signifie bœuf - et toutes sortes d’animaux sauvages : antilopes, bouquetins, chevreuils, félins, éléphants, autruches.

Qui était l’artiste qui avait réalisé de si jolis dessins ocre rouge dans un endroit aussi peu propice à l’habitation et à quand tout cela pouvait-il bien remonter ? Fatimatou était perplexe. Son premier réflexe avait été d’effacer ces peintures avec de l’eau. Elle n’avait pas réussi à les diluer. Elle avait alors senti confusément que les scènes qui se succédaient au fur et à mesure qu’elle se glissait sous la roche renvoyaient à des rites remontant à la nuit des temps.

« Là où il y avait des gravures, on pouvait être sûr qu’il y avait une mine »

De retour au village de M’seied, elle s’empresse d’alerter le khalifa Babouzaid el-Mghafri, qui, à son tour, prévient le caïd, lequel informe le gouverneur de la province de Tan-Tan. Une fois les autorités de Rabat averties, les « photos » que la nomade Fatimatou a découvertes par hasard au plafond de son abri-sous-roche commencent à susciter des convoitises. Le khalifa de M’seied, un sympathique quinquagénaire qui devint plus tard « découvreur » d’art préhistorique, informe un journaliste auteur de plusieurs guides spécialisés sur les pistes du Maroc, Jacques Gandini, de l’existence des peintures rupestres. Ce dernier, qui est en train de boucler l’un de ses ouvrages sur cette région, décide de monter une expédition. Il invite à se joindre à lui un archéologue français installé depuis près de soixante ans au Maroc, Robert Letan. En plus des peintures, exceptionnelles pour la région - jusqu’à présent, ce sont essentiellement des gravures qui ont été trouvées dans cette partie occidentale du Sahara, contrairement au Tassili algérien ou au Tibesti tchadien - ils vont découvrir, dans la partie supérieure de l’oued de Chebeika, une quarantaine de constructions et de structures mégalithiques en forme de croissants de grande dimension. La présence de ces tumulus « géoglyphes » - assez semblables à ceux inventoriés par Théodore Monod en 1948, que l’on retrouve dans tout le Sahara marocain et mauritanien - est une autre trouvaille majeure. Ces découvertes relancent les craintes de pillages. Sauf à interdire l’accès des sites aux chercheurs, le Centre national du patrimoine rupestre, à Marrakech, qui dépend du ministère de la Culture et de la Communication, n’a en effet pas les moyens de contrôler la zone. Jacques Gandini est critiqué pour avoir publié les coordonnées GPS des peintures d’Azguer et Robert Letan pour les avoir commentées dans le quotidien Aujourd’hui le Maroc... Ils se défendent, par presse interposée. « La promotion de la région, estime Jacques Gandini, prévaut sur des considérations archéologiques. » Il affirme avoir reçu l’aval du ministère du Tourisme et le soutien des gouverneurs de région pour dire tout le bien qu’il pense des quelque 350 sites préhistoriques recensés au Maroc.

A 82 ans, Robert Letan garde bon pied, bon oeil quand il s’agit de crapahuter sur des sites archéologiques. Le regard droit, la narine pincée et la casquette solidement rivée sur la tête dès qu’il sort de chez lui, ce soldat de l’artillerie coloniale, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, a passé sa vie à fouiller les déserts caillouteux de l’Atlas et de l’Anti-Atlas. « A l’époque, nous n’avions ni le confort d’un 4 x 4 climatisé ni la sécurité du GPS », se souvient-t-il. Pour ce natif de Lorraine, qui appartient à une génération d’autodidactes contrainte de quitter les bancs de l’école « pour apprendre à tuer ! », l’Afrique, et plus particulièrement le Maroc, où il est arrivé en 1944, a réveillé une soif inextinguible : celle d’une quête des origines que son travail dans les mines a encore aiguisé. « Connaître l’histoire de l’humanité nous rassure, nous ouvre des voies, parce qu’elle relativise les paniques à venir, nous montre que la fin du monde n’est pas pour demain. En définitive, l’ingénieur gagne toujours sur le marchand ! » insistait-il, lors d’une conférence visant à expliquer à ses collègues l’art rupestre trop longtemps sous-estimé en Afrique, alors qu’il fait partie, selon lui, des prémices de l’écriture. Son but ? Aider les autorités marocaines à développer un tourisme « intelligent », qui permette de préserver les sites archéologiques tout en autorisant les populations à profiter des retombées de découvertes dont elles sont souvent spoliées ou bien les dernières à être informées. « Sans mes écrits, jamais on n’aurait attribué la trouvaille des peintures de Tan-Tan à une nomade ! » dit-il fièrement. Même s’il est le premier à dénoncer le vandalisme qui met en danger ces trésors de l’humanité et qui a obligé, par exemple, les découvreurs de la grotte de Lascaut à créer une grotte artificielle pour satisfaire le public : toucher les peintures avec ses doigts ; essayer de renforcer leur couleur en les mouillant ; marquer leur pourtour avec un crayon feutre ou même à papier ; sans parler des vols, notamment dans les tombes. « Autant d’hérésies qui me font frémir quand on sait combien le Sahara et particulièrement le Maroc ont été peu explorés jusqu’à présent ! » s’indigne-t-il.

Préserver les sites archéologiques

Pour conjurer une histoire personnelle tourmentée dont cet ancien communiste qui participa aux combats syndicaux de 1936 s’est « libéré » dans ses deux premiers romans (Le Pied-Noir et Sofia, l’insoumise, édités à compte d’auteur et en vente à Casablanca), tout en menant de front des recherches historiques de longue haleine sur son pays d’adoption, « Monsieur Robert » a consacré un ouvrage entier à la protohistoire du Sud marocain. Actuellement en cours de réédition afin d’y inclure les découvertes de Tan-Tan, il réitère la thèse d’une influence scandinave sur la métallurgie du cuivre dans les montagnes de l’Anti-Atlas à l’âge du bronze. Car, en plus d’être écrivain, historien et archéologue, Robert Letan est aussi métallurgiste. Sa principale découverte, il la doit à une affectation à Irhem, dans les monts de l’Anti-Atlas, qui regorgent de mines de cuivre dans lesquelles il a mis au jour une grande profusion de peintures rupestres. « A tel point que, là où il y avait des gravures, on pouvait être sûr qu’il y avait une mine. » Pour lui, le commerce du cuivre s’est produit avant et pendant l’âge du bronze. Les « hommes rouges venus du cœur de la mer », dont parlent les anciens manuscrits hébreux du haut Draa, étaient probablement les ancêtres des Vikings, les Dan’s, qui sont venus chercher jusque dans le Sud marocain la matière première dont ils avaient besoin pour forger leurs armes. L’usage du cuivre s’est développé vers 3000 avant Jésus-Christ autour du bassin méditerranéen, contribuant ainsi à l’idée qu’une extension de la civilisation s’est effectuée depuis le Moyen-Orient vers l’ouest. Mais, avec l’épuisement des gisements, les peuples scandinaves sont venus se ravitailler toujours plus au sud, d’abord sur le site d’Almeria, en Espagne, avant de remonter le fleuve Draa (entre 500 avant Jésus-Christ et 500 après), jusqu’à Zagora, où convergeaient les lingots de cuivre et l’ambre. « L’incursion des Vikings dans la vallée du Draa ne s’est faite qu’après leur conversion au christianisme, probablement en même temps que leurs raids sur le sud de l’Espagne et le nord du Maroc. Ce qui permet aussi de dater cette mystérieuse Seita, reine chrétienne, dont parlent les manuscrits hébreux, qui pourrait être l’ancêtre des Touaregs. »

Peuple mystérieux aux yeux des conquérants arabes et des explorateurs occidentaux, les Touaregs puisent leurs origines dans la civilisation berbère saharienne. Le mythe d’Amamellen, concepteur d’une écriture propre, ancêtre du tifinagh, renvoie à une écriture cunéiforme non sans similitude avec celle qui est exposée au Musée national, à Copenhague. Quant au mythe fondateur des femmes, il dit que la reine Ti-n-Hinan (« Celle des tentes ») et sa servante Takama, venues du Tafilalet (Maroc) sur leur méhari blanc, auraient trouvé à leur arrivée dans l’Ahaggar un peuple primitif, les Isebaten, avec lequel elles auraient eu des filles. Ainsi, les tribus nobles du Hoggar descendraient des trois filles de Ti-n-Hinan, alors que celles de Takama seraient les mères des tribus vassales. Selon cette légende, Ti-n-Hinan aurait été enterrée au Ve siècle, bien avant l’arrivée de l’islam dans le Sahara. D’elle, les Touaregs auraient hérité leur langue en plus d’une société matriarcale organisée selon un mode tribal. La recherche de la berbérité, Lahoucine Faouzi, 32 ans, en a fait la clef de son succès. Pour cet explorateur originaire d’Agadir, grand amoureux du désert et de la vie nomade, le jackpot est arrivé avec la diffusion en 2001 à la télévision marocaine, pour la première fois en langue amazigh, d’un long-métrage que sa maison de production, Faouzi Vision, a produit et réalisé. « Quand j’ai proposé une série de 24 documentaires dans le cadre d’une nouvelle émission consacrée au voyage, Amouddou, la RTM (Radio-Télévision marocaine) a signé tout de suite », raconte-t-il. Le premier épisode, Mémoire de Tagmoute, qui raconte l’histoire d’un village préhistorique, véritable légende vivante à cause de la présence de pierres rupestres, de greniers anciens et du tombeau du prophète Daniel, a reçu le prix du meilleur réalisateur au Festival du Caire en juillet 2002. Grand amateur de spéléologie, Lahoucine Faouzi a fondé en 1996 avec quelques amis une association regroupant une trentaine de membres, ce qui lui a permis d’explorer un grand nombre de grottes. « Il était normal que nous nous intéressions aux peintures rupestres », explique Aziz Iguiss, président de l’association et fonctionnaire au ministère des Finances. Passionné de préhistoire, il a poussé pour qu’une émission d’Amouddou soit consacrée aux peintures d’Azguer, qu’il considère comme un « patrimoine unique pour l’archéologie marocaine ». Avec la complicité de Robert Letan, Faouzi Vision a monté une nouvelle expédition à Tan-Tan, en novembre 2003. « L’initiative de ces jeunes gens est la bienvenue parce qu’elle va susciter des vocations. On manque de volontaires au Maroc pour entreprendre des fouilles », commente l’intéressé.

Des liens étroits entre la berbérité et la négritude

L’expédition s’est mise en route avec la bénédiction du khalifa de M’seied, très fier de montrer une inscription en tifinagh évoquant des temps récents où les éléphants vivaient encore à Tazzout Ouarkziz. Une fois sur place, elle s’est glissée sous les abris en plein désert, rampant du mieux qu’elle le pouvait. La diffusion de la lumière, l’exiguïté du passage, la raréfaction de l’air, tout cela formait comme un halo magique autour des fragiles pictogrammes millénaires. Robert Letan semblait avoir retrouvé la dextérité de ses 20 ans. Il était intarissable. Sous le charme, on franchissait allègrement les siècles. On s’étonnait des formes stéatopyges - le développement d’une masse graisseuse dans la région du sacrum et des fesses - des personnages représentés, la plupart nus, avec un étui pénien, dansant autour d’animaux. S’agissait-il de Bochimans en provenance d’Afrique méridionale, voire de Hottentots ou de Bantous ? L’existence de barrières naturelles difficilement franchissables rendait cette hypothèse peu probable. Même si les danseurs d’Azguer confirment que, à l’instar de ceux dont on a découvert les traces dans des gisements néolithiques du Sud tunisien, algérien ou marocain, des pasteurs négroïdes auraient pu s’établir dans la vallée du Draa, restée très fertile après l’assèchement intervenu au IIIe millénaire avant Jésus-Christ.

Plus important pour Robert Letan, la présence de chars peints, qui, contrairement à ceux qui ont été retrouvés dans le Sahara central, ne sont pas attelés. Ce type de char « à traction humaine » renforce selon lui l’hypothèse selon laquelle les peintures d’Azguer seraient plus récentes qu’il n’y paraît - « une date proche du bronze final européen ». Si ces chars sont essentiellement destinés au transport du cuivre, comme il l’affirme, il est alors possible de penser que ces populations (noires) ont été en contact avec des constructeurs de mégalithes de surface (les Vikings) venus du nord de l’Europe. Dans son ouvrage consacré aux Premiers Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil, l’Algérienne Malika Hachid, directrice du Parc national du Tassili des Ajjer, affirme qu’il existe « des liens bien plus étroits qu’on ne l’aurait pensé entre la berbérité et la négritude ». Selon elle, les Libyens et les Ethiopiens d’hier seraient les Touaregs et les Izzegaren-Harratine d’aujourd’hui. Les peintures d’Azguer viennent rajouter à la mosaïque humaine complexe du Sahara les juifs yéménites et les populations nordiques christianisées qui, à l’époque des métallurgistes ayant précédé l’islamisation, auraient pu contribuer au chaînon manquant de la berbérité.

Post-scriptum

Pour mieux défendre les gravures rupestres contre les pilleurs, l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine, à Rabat, a créé un parc naturel. De son côté, l’Unesco étudie un projet destiné à développer un tourisme durable au Sahara.

Christine Holzbauer - L’Express

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