Attentats : Haro sur les barbus

9 juin 2003 - 12h31 - Maroc - Ecrit par :

L’amalgame entre les islamistes sortables et présentables du PJD (Parti de la justice et du développement) et les enragés sanguinaires sortis des ténèbres, apparaît comme un règlement de comptes politicien sur fond de calculs électoralistes. Comme quoi, il y a des inquiétudes qui trahissent.

Sale temps pour les islamistes depuis les attentats du 16 mai. S’il y a eu psychose après ce carnage, c’est bien à l’égard des barbus. On les voyait partout et nulle part. On ne voulait plus les voir. Les kamikazes intégristes ont braqué l’opinion contre tout ce qui peut ressembler à de l’islamisme ostentatoire et militant.
La religion, la misère et la politique, dans ce triangle des Bermudes, trois ingrédients d’une juxtaposition explosive. Ils l’ont été ce vendredi 16 mai. Il fallait donc séparer, autant que faire se peut, ce ménage à haut risque. Particulièrement l’islamisme politique qui agit comme un détonateur sur la poudrière miséreuse. Vite dit, vite fait. Haro sur le baudet islamiste et qu’on n’en parle plus. C’est la tendance de l’après 16 mai. Malheureusement, les choses sont beaucoup plus compliquées que ce schéma simpliste.
Pour parer au danger islamiste, on a cru bon d’injecter de l’islamisme. Comme pour les vaccins. Des associations islamistes qui ne nous veulent pas que du bien ont été tolérées ; d’autres, un peu plus soft, ont été carrément suscitées et encouragées. Pendant longtemps, le vaccin semblait prendre.

Vulgate

De l’islamisme en surface, visible à l’œil nu, donc sous bonne surveillance ; plutôt qu’un islamisme underground, secret et incontrôlable. On planait dans le nirvana de l’exception marocaine. Au point que l’on ne voulait pas voir les effets pervers de cette stratégie. Des effets pervers qui s’amplifiaient, envahissaient l’espace social, prenaient pied dans le champ politique et devenaient ouvertement menaçants.
Certaines mosquées sont devenues des tribunes politiques ; des prêches du vendredi répercutées par des dizaines de micros amplificateurs appelaient les fidèles à faire un saut-arrière de plusieurs siècles. Des barbes folles et des “kamis" disgracieux et parfois sales, des têtes féminines voilées comme gage d’une bourca prochaine ; le tout donnait à la rue marocaine des airs bizarrement afghans.
Une vulgate dévoyante de l’Islam, inscrite sous le vocable générique de l’islamisme, était plus qu’une manière d’être en société. Elle devenait une valeur-refuge pour occulter la réalité sociale par l’incantation et s’opposer à toute évolution de la société par un paraître distinctif de refus.
Cela été suffisamment dit et analysé. Soit. Mais le vendredi 16 mai, on en fait quoi, politiquement ? On s’assoit dessus, après avoir tout délégué aux sécuritaires, en attendant une prochaine mauvaise surprise ?
La manifestation du dimanche 25 mai était une première réponse. La classe politique et la société civile ont exprimé, à l’unisson, leur refus de la violence intégriste et de l’obscurantisme islamiste. C’était effectivement un moment fort, un moment indispensable, un moment psychologiquement salvateur. Une sorte de thérapie collective. Un sursaut presque instinctif d’une communauté en légitime défense. Mais après, on fait quoi ?
Dans la réponse par la marche, les partis politiques avaient aussi leur propre réponse : on déclare hors la loi la mouvance islamiste en général et le PJD en particulier. Éradication à la marocaine. La chasse aux barbus était ouverte. C’est à peine si on n’avait pas organisé des rasages gratuits et forcés sur la place publique. L’islamiste, reconnaissable à son vestimentaire ou à son parler émaillé de morale et d’interdits, était devenu le paria à montrer du doigt, l’ennemi à livrer à la vindicte de la foule, le danger suprême pour la collectivité. Malgré le choc du 16 mai, il n’y a eu ni hystérie, ni vendetta.

Montée

Voilà que l’élite politico-civile pousse à des amalgames dangeureux. Assurément, À chaque époque son “tueur au couteau entre les dents". Avant c’était le marxiste vengeur et partageur ; aujourd’hui, c’est l’islamiste rédempteur et égorgeur. Au Maroc, on est passé de l’un à l’autre par l’instrumentalisation de la religion à des fin politiques, précisément.
Rappel à toute fin utile et pour que les faits têtus résistent à l’amnésie. Un fait premier mérite d’être rappelé : l’islamisme politique est une création de l’État marocain. C’est au ministère de l’Intérieur tout puissant et immensément tentaculaire que le projet a pris forme, dans les années soixante-dix, sous le général Oufkir, et mis à exécution par ses successeurs. L’idée était d’utiliser l’islamisme comme rempart contre la montée du rationalisme sous sa forme baâthiste-laïque ou marxiste-agnostique.
Les deux courants étant catalogués comme dangereusement subersifs. Premier client de cet “appel d’offre" très policier, la jamaâ islamia, de Abdelkrim Moutii. On avait, alors, ouvert la boîte de Pandore. Les campus universitaires, littéralement investis, étaient devenus des camps retranchés pour activistes islamistes en herbe.

Amalgame

Les quartiers populaires étaient proprement quadrillées par des bandes de fanatiques qui, sous couvert de sentiments humanistes à l’égard de la veuve et de l’orphelin et avec des moyens occultes, distillaient leur venin et embrigadaient à tour de bras. Le baâthisme et le marxisme ayant été endigués, il fallait alors contenir l’islamisme dans des proportions raisonnables et dans un discours politico-religieux de bon aloi. C’est le PDJ qui devait jouer ce rôle d’encadrement et de canalisation. A-t-il réussi dans la missions qui lui a été assignée ? A-t-il surtout respecté le cahier de charge politique qui devait lui servir de code de conduite ?
Premier parti islamiste à être reconnu et à avoir pignon sur rue depuis 1997, le PJD n’a pas échappé à la colère de tout un peuple, après les attentats du 16 mai. Il lui a été chaudement conseillé de ne pas participer à la marche du dimanche 25 mai. Raison officielle invoquée : éviter d’éventuelles provocations qui feraient déraper la manifestation du million de marcheurs. Le PJD n’avait d’autre choix que de s’exécuter et de le faire savoir à ses adhérents par un communiqué volontiers répercuté par la télévision. Ce qui ne l’a pas empêché de crier à l’amalgame.
Car il y a bien eu amalgame. Aux premières loges des sigles à abattre : le PJD. Pourquoi cette fixation sur un parti dûment représenté au parlement avec locaux, enseignes et journaux ? Le PJD fait-il double jeu ? Sert-il de couverture, volontairement ou involontairement, à des groupuscules extrémistes ? A-t-il une quelconque responsabilité morale, dans ce qui est arrivé le 16 mai ?
Ceux qui le mettent dans le même sac que les courants de l’islamisme radical et violent n’en pensent pas moins. Les plus indulgents à l’égard du parti du docteur El Khatib estiment que le discours du PJD au référentiel religieux avoué et aux accents réprobateurs appuyés, a servi de tremplin à des fanatiques intégristes qui voulaient allés plus loin. Ils sont effectivement aller plus loin, beaucoup trop loin, ce vendredi noir, 16 mai.
À vrai dire, le raccourci est un peu court. Même si le PJD n’a pas les moyens de contrôler tous ceux qui se revendiquent de ses principes politico-religieux, il serait difficile de lui imputer les faits et gestes de toute une galaxie islamiste. Ceux qui ont perpétré le carnage du 16 mai sont d’ailleurs les premiers à ranger les gens du PJD parmi les mécréants, comme nous tous. Et même un peu plus. Les amis de Saâdeddine Othmani, Ahmed Raissouni et Abdelilah Benkirane se définissent, eux, comme des réformateurs non-violents. Ils n’en veulent pour preuve que leur littérature dénuée de tout appel à la violence.

Crime

Dans l’entretien que nous avons eu avec Abdelilah Benkirane (voir pages 8 et 9), celui-ci se dit outragé, profondément offensé par l’anathème jeté sur le PJD et la suspicion dont il fait l’objet depuis le 16 mai. Et de lancer une interrogation grave : “à qui profite le crime ?". Une interrogation qui sonne comme un défi, comme un retournement d’accusation à l’adresse de ceux qui doutent de la sincérité du PJD lorsqu’il se dit non violent et totalement étranger à tout acte de violence, à toute activité à objectif terroriste.
Assirat Al Moustakim ou Assalafia Aljihadia, martèle-t-il, ce n’est pas le PJD ni même des protubérances issues de ce parti. “À qui profite le crime ?" Sa réponse est immédiate : “Certainement pas au PJD !”. À qui, alors ? Motus et bouche cousue. Même dans une interview, Abdelilah Benkirane n’est pas un kamikaze. Il sait que le moindre balbutiement interprété comme une indication serait gravissime, pour lui-même comme pour son parti. On ne badine pas avec un massacre comme celui du 16 mai.
En fait, c’est l’existence même du PJD, en tant que parti islamiste, qui gêne nombre de formations politiques et pas seulement dans les milieux de l’extrême gauche, comme on pourrait le penser. Un homme comme Mohamed Elyazghi, secrétaire général adjoint de l’USFP, n’a jamais caché son opposition à ce que la référence à l’Islam soit accaparée par une structure politique au point d’en faire son argumentaire exclusif.
La majorité des dirigeants de l’USFP et du PPS, pour ne citer que ces deux partis, sont de cet avis. Ils l’ont bruyamment exprimé lors de la manifestation du dimanche 25 mai, à Casablanca.
Aux élections législatives de 1997, quelques mois à peine après sa création, le PJD remporte dix-neuf sièges. Ils se sent pousser des ailes et continue à avoir le vent en poupe, pour passer à quarante deux députés aux législatives de 2002. Encore que dans ces deux scrutins nationaux, il n’a pas couvert l’ensemble des circonscriptions. Pas par manque de candidats, se plait-on à dire, mais pour ne pas semer la panique dans le microcosme.

Report

Toujours est-il que le PJD est actuellement la principale sinon l’unique force d’opposition au Parlement. Vu l’activisme inhérent à l’islamisme politique, a fortiori légalement reconnu, le PJD était donné largement gagnant aux élections communales qui devaient avoir lieu en juin 2003. On parlait même d’un raz-de-marée islamiste pour cette consultation de proximité.
Ceux qui avaient dénoncé l’introduction du “loup dans la bergerie” étaient confortés dans leur inquiétude. On lui a peut-être prêté plus qu’il ne pesait en termes de poids électoral, mais le PJD apparaissait, plus que jamais, comme le canard noir de la scène politique nationale.
Le report des communales, très opportun, n’a pas amélioré cette image. Les attentats du 16 mai, ont, eux, donné matière à faire valoir les inquiétudes électorales des adversaires déclarés d’un islamisme jouant le jeu, sous l’étiquette PJD.
Du coup, l’amalgame entre les islamistes sortables et présentables du docteur El Khatib et les enragés sanguinaires sortis des ténèbres apparaît comme un règlement de comptes politicien sur fond de calculs électoralistes. Comme quoi, il y a des inquiétudes qui trahissent. Mustapha Sehimi (voir page 10) aura eu raison de parler de récupération pas très politiquement correcte, voire pas très saine, de la tragédie du 16 mai.

http://www.maroc-hebdo.press.ma/

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