Mohamed, papa d’Anissa pour le Maroc, pas pour la France

7 mars 2005 - 12h00 - France - Ecrit par :

Mohamed Bellakhdim envoie des fax de manière compulsive. C’est urgent. A la case « objet », il écrit : « dossier du père malgré lui ». Suivent une vingtaine de pages, succession de décisions rendues par des tribunaux français et marocains depuis 2000. « Les pièces maîtresses de cette affaire insolite » dans laquelle il est englué depuis bientôt dix ans. En France, où il réside depuis 1989, ce Franco-Marocain de 40 ans n’a pas d’enfant.

Les expertises ADN et la justice ont établi une fois pour toutes qu’il n’était pas le père d’Anissa, 8 ans, pour laquelle son ex-femme réclamait le versement d’une pension alimentaire. Mais aux yeux des tribunaux marocains, il n’en va pas de même. Trois juridictions ont reconnu sa paternité juridique et l’ont condamné à verser la pension alimentaire. « Impensable, inconcevable. Un vrai casse-tête ! » répète en boucle Mohamed Bellakhdim.

Genèse

Né au Maroc, Mohamed Bellakhdim s’installe à Montbéliard en 1989. Il décroche un BTS de productique et trouve un emploi dans un bureau de dessin industriel. En 1995, il obtient « la nationalité française par naturalisation » et « rencontre le grand malheur de sa vie », Najat, 28 ans, elle aussi franco-marocaine. Ils se marient en août au Maroc. Trois mois plus tard, ils se séparent. « Ça n’allait pas du tout entre nous, raconte Mohamed. Le 11 novembre 1995, j’ai quitté le domicile conjugal et je suis parti dans ma famille au Maroc. » En février 1996, un tribunal marocain prononce le divorce.

Mohamed Bellakhdim revient en France au printemps 1996. Il y refait sa vie, sans nouvelles de Najat. Jusqu’au mois de juin 1997, où il reçoit une convocation du tribunal de grande instance de Mulhouse. Najat, qui a accouché d’Anissa le 13 septembre 1996, soit onze mois après leur séparation, réclame le versement d’une pension alimentaire de 1 500 francs par mois. Sur l’acte de naissance de la petite fille, elle a fait apposer le nom de son ex-conjoint. Mohamed Bellakhdim s’affole : « Je me suis renseigné auprès des gynécologues, des sages-femmes... Tous m’ont dit que je ne pouvais pas être le père. » Il entame une procédure en désaveu de paternité et réclame une expertise ADN.

L’affaire dure tout de même trois ans. « Lorsque le tribunal a finalement ordonné les tests ADN, j’en ai fait des roulades au bureau ! J’étais sûr que la vérité allait éclater. » Le 7 décembre 1999, Mohamed croise Anissa dans un laboratoire de Mulhouse où un médecin effectue des prélèvements sanguins. « C’est la première et la dernière fois que je l’ai vue. » Deux mois plus tard, le verdict scientifique tombe : « Monsieur Mohamed Bellakhdim est exclu de paternité vis-à-vis de l’enfant Anissa Bellakhdim par deux systèmes génétiques différents. » La justice ordonne que le jugement soit porté sur l’acte de naissance d’Anissa.

La loi du sang

Mohamed envoie immédiatement le jugement au Maroc, où Najat a introduit dès 1998 la même requête qu’en France. « Je pensais que l’ADN c’était l’arme fatale. Mais je suis tombé de haut. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi le jugement français a été rejeté. » « Parce que l’analyse du sang est contraire à la loi marocaine et à la tradition musulmane » et que « la fille est née dans le délai légal de grossesse, qui est une année après le divorce », a répondu, en mars 2002, le tribunal de première instance d’El-Jadida. Mohamed Bellakhdim est condamné à verser une pension de 400 dirhams (36 euros) par mois, à laquelle s’ajoutent des frais de garde et 1 000 dirhams par an pour les fêtes religieuses. Décision confirmée en appel en 2003 et, tout récemment, par la Cour suprême du Maroc, l’équivalent de la Cour de cassation française.

Dans son appartement de Belfort, Mohamed Bellakhdim broie du noir. Refuse de payer et se demande ce qu’il risque s’il retourne au Maroc, où vit toute sa famille. « Peut-être qu’ils vont m’arrêter. Je vais perdre mon emploi et puis quoi ? Devenir clochard ? Je suis abasourdi, fatigué de me trouver écartelé entre ces deux jugements. Cette affaire, elle m’a pris beaucoup de temps, presque neuf ans de ma vie. Je frappe à toutes les portes, mais je n’ai pas encore trouvé celle de la sortie. » Avec l’aide d’un avocat, il va encore tenter de faire reconnaître le jugement français au Maroc. Il fonde ses espoirs sur la réforme de la moudawana, le code de la famille marocain, qui autorise depuis 2004 le recours à l’expertise scientifique dans les affaires familiales. « Il y a ça ou la voie diplomatique », dit-il en faisant référence à la commission mixte franco-marocaine, composée de représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Justice et chargée de trancher les litiges concernant les binationaux. Un courrier du cabinet de Perben lui a laissé entendre que son cas pourrait être prochainement examiné. « Il faudrait qu’ils fassent vite. Scientifiquement, je ne serai jamais le père, mais cette affaire, elle me fait perdre l’esprit. »

Thomas Calinon - Libération France

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Administration - Code de la nationalité - Enfant

Ces articles devraient vous intéresser :

Blanchiment d’argent : Le Maroc serre la vis et ça paye

La lutte contre les activités de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme connaît des progrès significatifs au Maroc. En témoigne le nombre de déclarations de soupçon reçues par l’Autorité nationale du renseignement financier (ANRF) en...

La justice espagnole sépare une famille marocaine : Nasser Bourita réagit

Suite à la décision de la justice espagnole de retirer la garde des enfants à une famille marocaine établie dans le nord du pays, le ministère des Affaires étrangères a tenu à commenter cette décision et fournir quelques détails.

Maroc : révision de l’impôt sur le revenu

Le gouvernement marocain, via son porte-parole Mustapha Baitas, a annoncé une révision de l’Impôt sur le revenu (IR) avec pour objectif d’augmenter les revenus des employés et fonctionnaires.

Taxis au Maroc : Fini les arnaques ?

Au Maroc, de nombreuses licences ont été retirées aux chauffeurs de taxi qui ne sont pas en règle. Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, assure que son département s’évertue à soutenir et à accompagner diverses initiatives visant à moderniser les...

Le mariage des enfants légalisé au Maroc ? une photo sème le doute

La publication d’une image montrant des fillettes prétendues marocaines en robe de mariage tenues par la main par des hommes âgés est devenue virale sur les réseaux sociaux. Certains affirment que cela s’est produit au Maroc. Qu’en est-il vraiment ?

Maroc : les femmes divorcées appellent à la levée de la tutelle du père

Avant l’établissement de tout document administratif pour leurs enfants, y compris la carte d’identité nationale, les femmes divorcées au Maroc doivent avoir l’autorisation du père. Elles appellent à la levée de cette exigence dans la réforme du Code...

Maroc : une nouvelle hausse des salaires en discussion

Une nouvelle hausse des salaires pour les fonctionnaires marocaines serait actuellement en discussion au sein du gouvernement. La nouvelle a été confirmée par le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des...

Aïd El Fitr 2024 : une bonne surprise pour les fonctionnaires marocains ?

La ministre déléguée chargée de la réforme de l’administration et de la transition numérique, Ghita Mezzour, propose au gouvernement de décréter un congé exceptionnel de trois jours au lieu de deux à l’occasion de l’Aïd Al-Fitr 2024.

Au Maroc, le mariage des mineures persiste malgré la loi

Le mariage des mineures prend des proportions alarmantes au Maroc. En 2021, 19 000 cas ont été enregistrés, contre 12 000 l’année précédente.

Marrakech veut en finir avec la mendicité et les SDF

La ville de Marrakech mène une lutte implacable contre la mendicité professionnelle et le sans-abrisme, qui porte déjà ses fruits. À la manœuvre, la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et la brigade touristique.