Marocains, immigrés et patrons en Espagne

10 juillet 2008 - 23h41 - Espagne - Ecrit par : L.A

Des immigrés marocains ont réussi à devenir propriétaires agricoles en Andalousie. Les Espagnols, qui délaissent le travail de la terre, ne regardent pas toujours cette réussite d’un mauvais œil.

Salah Baih est marocain. Même si les Espagnols ne l’ont jamais regardé de travers, dit-il, aujourd’hui, ils portent un regard positif sur lui. Ce qui a changé, c’est qu’auparavant il était ouvrier agricole et qu’il est maintenant propriétaire d’une serre de 2,2 hectares à Campohermoso, dans la province d’Almería. Pour y parvenir, il a dû travailler de l’aube au crépuscule et obtenir un prêt de 265.000 euros. Mais maintenant, il travaille enfin sa propre terre.

Il y a dix-sept ans, Baih a débarqué à Gibraltar dans une patera (embarcation en bois) partie de Sebta (ville autonome espagnole enclavée au Maroc) : il n’avait pas même emporté une paire de chaussures. Il est originaire de Beni-Mellal, la région du Maroc qui compte le plus d’émigrants. Pendant toutes ces années, il a obtenu des contrats de travail qui lui ont permis de faire venir une cinquantaine de membres de sa famille et d’amis. Il emploie désormais quatre femmes marocaines, à commencer par sa propre épouse, Rouzki.

La famille de Salah Baih n’est pas une exception. Depuis quelque temps, des dizaines d’immigrés achètent ou louent des terres pour devenir chefs d’entreprise – ou "patrons", comme on appelle ici les propriétaires de serres. Un autre Marocain, Ahmed El-Hichou Ali, est en Espagne depuis plus longtemps que Salah : en vingt-cinq ans, il a épousé Soraya (une jeune femme de Bilbao), a eu quatre enfants, a acquis la nationalité espagnole et, récemment, a acheté 3 hectares de serres pour 540.000 euros. Il a dû hypothéquer trois maisons, dont l’une appartient à ses beaux-parents, à Almería. Il emploie une Marocaine et une Lituanienne. Il a le même problème que tous les agriculteurs, explique-t-il : les intermédiaires, de véritables sangsues qui empochent tous les bénéfices.

Le principal obstacle à l’accès à la propriété vient des banques, qui ont fermé le robinet des prêts hypothécaires, notamment pour les immigrés. C’est la raison pour laquelle Ahmed Basri, qui loue 10 hectares à Murcie, n’a toujours pas pu conclure l’achat de la ferme que lui propose Montserrat Jiménez, à Campo de Níjar, pour la somme de 390.000 euros.

Autant de villes ou de villages où les Marocains sont bien implantés et, dans bien des cas, ont travaillé pendant de nombreuses années pour des agriculteurs andalous. Cette ruée des immigrés sur les terres agricoles s’explique surtout par le fait que les enfants des paysans de la région n’ont aucune envie de reprendre les serres. Certains ont fait des études et exercent des métiers qualifiés, mais la plupart passent tout simplement leur temps à dilapider l’argent gagné par leurs parents. Aussi, lorsque les propriétaires prennent leur retraite, ils vendent les serres qu’ils ont eu tant de mal à créer aux seuls qui croient encore au travail de la terre : les Marocains.

Il y a quinze ans, Francisco Montoya a embauché Salah Baih dès qu’il l’a rencontré, non sans lui avoir auparavant fourni des chaussures et des vêtements. Quand il est tombé malade, il y a six ans, Montoya, qui n’a pas d’enfants, a loué sa serre à Baih puis la lui a vendue. C’est le cycle naturel de la vie, dit-il maintenant. Juan Rodríguez, un autre habitant d’Almería, a également des serres à Campohermoso. Il a deux filles, mais aucune ne veut reprendre l’affaire. "Dans cinq ans, je prendrai ma retraite et je vendrai ma propriété au plus offrant, sans doute un Marocain, car ce sont les seuls qui aient encore envie de continuer à faire ce métier", affirme-t-il.

Jesús Méndez, un courtier spécialisé dans la vente des propriétés agricoles, affirme que les Marocains représentent au moins 10 % des propriétaires de la région. "Nous autres, Espagnols, nous n’avons plus envie de travailler sous le plastique des serres et, à ce rythme, dans cinq ou dix ans, toute la campagne sera à eux", dit-il. Le gérant d’une entreprise agricole confirme que la région compte une bonne centaine de Marocains propriétaires ou locataires, dont plusieurs sont clients… et bons payeurs.

Source : José Bejarano - La Vanguardia / Courrier international

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Espagne - Intégration - Agriculture - Immigration - Murcie

Ces articles devraient vous intéresser :

Exportations d’avocats : le Maroc va établir un nouveau record

La sécheresse qui touche le Maroc ne produira pas un impact négatif sur ses exportations d’avocats. Le royaume est en passe d’établir un nouveau record.

Chute historique des exportations d’olives marocaines

Les exportations d’olive marocaine sont en net recul alors que les importations sont en hausse. Le déficit commercial s’est creusé.

Maroc : une croissance paradoxale entre exportations et importations d’avocats

Alors que le Maroc produit de plus en plus d’avocat, devenant l’un des principaux fournisseurs en Europe, la part des importations continuent de croître.

Sécheresse : plus de 5% des Marocains menacés d’exode rural d’ici 2025

Plus de 5% de la population marocaine sont menacés par l’exode rural à l’horizon 2025 en raison la sécheresse sévère que traverse le pays, selon la Banque mondiale.

Le Maroc en guerre contre la cochenille

Au Maroc, le ministère de l’Agriculture a mis en place des mesures pour limiter la propagation de la cochenille, un insecte ravageur des cultures de cactus.

Le groupe marocain OCP renforce son soutien aux agriculteurs africains

Dans un contexte marqué par la flambée des prix des denrées alimentaires au niveau international, l’Office chérifien des phosphates (OCP) a décidé d’intensifier ses efforts pour soutenir les agriculteurs africains. 4 millions de tonnes (Mt) d’engrais...

Pastèque et sécheresse : le casse-tête marocain

Faut-il continuer à produire de la pastèque rouge qui nécessite une importante quantité d’eau et épuise les sols, alors que le Maroc connaît la pire sécheresse depuis quatre décennies ? La question divise les producteurs, exportateurs et...

Maroc : les prix des fruits et légumes atteignent des sommets

Au Maroc, les prix des fruits et légumes continuent d’augmenter et de peser sur le budget mensuel des Marocains en raison notamment des exportations.

Agriculture : appel au renforcement de la coopération entre le Maroc et Israël

Le ministre israélien de l’Agriculture appelle le Maroc et l’État hébreu à s’investir davantage dans le développement du secteur agricole à travers la signature d’accords de partenariat.

Le marché britannique souffre de la pénurie de tomates marocaines

La baisse des exportations de tomates marocaines affecte le marché de légumes au Royaume-Uni. De nombreux Britanniques déplorent la situation sur les réseaux sociaux.