Le Maroc face à ses boulets

28 mars 2007 - 13h05 - Economie - Ecrit par : L.A

Il ne faut pas crier victoire. Le Maroc doit encore déployer des efforts musclés pour attirer plus d’investissements directs étrangers (IDE). C’est ce que révèle le rapport sur la politique d’investissement du Maroc de la Conférence des Nations unies sur le commerce, l’économie et le développement (Cnuced), rendu public à Genève, le 9 mars dernier, devant le Premier ministre Driss Jettou.

C’est à la demande du gouvernement marocain que la Cnuced a scrupuleusement examiné la politique d’investissement du pays. Un premier rapport avait été soumis au Premier ministre au début de décembre dernier. À la suite de ses commentaires et de ceux des investisseurs étrangers déjà présents au Maroc, une deuxième mouture a été rédigée fin janvier. C’est cette version qui a été présentée à Genève.

Riad Meddeb, administrateur du projet, déclare à L’Economiste depuis Genève que l’ensemble des pays présents ont applaudi le contenu du document et ses recommandations.

Driss Jettou semble visiblement prêt à mettre la main à la pâte, car il a demandé l’assistance de la Cnuced pour mettre en œuvre les recommandations de ce rapport de plus de cent pages, qui consacre une bonne partie aux différentes réformes engagées par le pays.

Du pain sur la planche

Selon le document, « la justice marocaine est le plus important obstacle aux IDE ». Le verdict est sans appel. Malgré le fait que les autorités soient pleinement conscientes des lacunes du système judiciaire, il demeure « lent, incertain, peu prévisible et pas suffisamment transparent, ce qui met le droit au second plan ».
De plus, l’article 85 de la Constitution, qui prévoit que les magistrats du siège sont inamovibles, ne favorise pas, toujours selon le rapport, la lutte contre la corruption.

La Cnuced recommande par ailleurs au gouvernement marocain d’adopter rapidement un code des impôts, qui ne serait pas enchâssé dans la loi de Finances. « Cela permettrait un accroissement de la transparence, de la simplicité et de la rationalité du système fiscal », suggère-t-on.

Has been

La Charte de l’investissement s’avère, quant à elle, complètement désuète. La Cnuced est sur ce point sans compromis. La création de la Charte, en 1995, visait à harmoniser un ensemble de lois qui variaient selon les secteurs. Mais cette unification ne serait qu’apparente, car « les dispositions législatives intéressant les IDE sont toujours dispersées ». À titre d’exemple, le secteur de l’agriculture est exclu de la Charte.
De plus, les dix ans initialement prévus pour la mise en œuvre de la Charte n’ont pas été suffisants. La Cnuced reproche au gouvernement marocain de s’être enfermé dans un délai. « La Charte n’a pas été mise en œuvre dans sa totalité. Ceci est de nature à faire douter de la crédibilité des engagements prévus », peut-on lire dans le rapport.
En fait, le contenu même de la Charte y est mis à mal : « certains des objectifs annoncés demeurent très vagues, beaucoup de ses dispositions restent ambiguës, voire contradictoires entre elles ».
Les Nations unies proposent plutôt l’adoption d’un code de l’investissement plus moderne que la Charte.

La D.I. débordée

Pour pallier le manque de moyens de la direction des Investissements (D.I.), la Cnuced propose la création d’une Agence de promotion de l’investissement (API). « La promotion exige à elle seule un organe indépendant avec des moyens importants et une stratégie sophistiquée », indique le rapport. C’est ce qui, selon les rédacteurs, expliquerait l’insuffisance de la D.I. « Elle n’assure pas de suivi pour les investissements inférieurs à un montant de 200 millions de DH, ne contrôle pas les avantages accordés ». De plus, le site Internet de la DI est inexistant depuis 2004, et il n’y a pas de stratégie d’accompagnement des investisseurs », déplore-t-on. La participation du Premier ministre à la rencontre annuelle de l’Association mondiale des agences de promotion de l’investissement (Amapi), lors de son déplacement en Suisse, laisse croire que la proposition sera prise au sérieux.

Mais l’organe qui pose le plus sérieux problème demeure celui de la concurrence. La Cnuced ne mâche pas ses mots : « Le Conseil ne dispose pas de pouvoirs de décision, ni de sanction. Aucun magistrat n’y siège. Le rapport annuel de ses activités du Conseil, adressé au Premier ministre, n’est pas public ». Puis, les experts de l’ONU enfoncent le clou : « C’est en définitive le Premier ministre et non le Conseil qui constitue l’organe ultime de la concurrence, alors que ce dernier devrait être indépendant de l’État ». L’inéquation entre la loi sur la concurrence et son application devrait donc figurer parmi les priorités du gouvernement.
Enfin, bien que la création des centres régionaux d’investissement (CRI) ait grandement encouragé les IDE, certaines faiblesses persistent. Le chevauchement des compétences des CRI avec celles des départements de tutelle concernés par l’investissement projeté, empêche le promoteur d’avoir une vue complète et claire sur le droit en vigueur.
La poursuite de la modernisation du cadre réglementaire et institutionnel et la transparence de l’environnement de l’investissement se trouvent ainsi au cœur de la stratégie proposée par la Cnuced. Elle met cependant le Maroc en garde contre lui-même : le problème majeur dont souffre le pays est moins celui de l’insuffisance de réformes que celui de l’articulation entre celles-ci avec leur application effective.

Le fisc, toujours le fisc

« Le système fiscal est l’un des aspects les plus critiqués par les investisseurs étrangers au Maroc », rappelle le rapport. « Le système de calcul et de paiement des impôts est jugé très compliqué, alors que les investisseurs attendent avant tout un système stable, transparent et simple ». Le secteur informel, qui représenterait 36,4% de l’économie au Maroc, est également pointé du doigt. Le fait que celui-ci soit non soumis à la fiscalité exerce une pression sur les entreprises dont l’activité est dirigée vers le marché local. Car celles-ci, contrairement aux entreprises exportatrices, ne bénéficient pas d’exonérations. Ainsi, le rapport estime que pour la fiscalité locale, 80% des impôts sont déboursés par 20% des opérateurs

L’Economiste - Marie-Hélène Giguère

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