"Moi, Faiza, 32 ans, à qui l’on interdit de devenir française..."

3 août 2008 - 09h19 - France - Ecrit par : L.A

Le Conseil d’État s’oppose à la naturalisation d’une jeune Marocaine. Parce que, adepte d’une « pratique radicale de sa religion », elle porte le niqab. Rrencontre.

« Ce qui m’a le plus blessée, ce sont tous les mensonges que les médias français ont écrits sur moi », confie Faiza Silmi (32 ans) à Jeune Afrique (dans le seul entretien qu’elle a accordé à la presse francophone).

Dans son appartement au onzième étage d’une tranquille cité de La Verrière, petite ville-dortoir à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Paris, la jeune Marocaine raconte d’une voie monocorde ses déboires avec l’administration française. Le décor est sobre, dépouillé. À l’exception d’une vue de la Kaaba accrochée au mur du salon, rien n’indique que les locataires des lieux soient musulmans. Encore moins fondamentalistes.

Devant les étrangers, Faiza porte le niqab, ce voile d’origine saoudienne masquant l’ensemble du visage, à l’exception des yeux. Mariée depuis huit ans à un Français (d’origine marocaine) avec qui elle a eu quatre enfants, tous nés en France, elle s’exprime parfaitement dans la langue de Molière. Pourtant, le 27 juin, elle s’est vu refuser la nationalité française par un arrêt du Conseil d’État. « Je ne sais pas si j’aurai le courage d’entreprendre de nouvelles démarches », souffle-t-elle d’une voix lasse, tandis que Karim (33 ans), son mari, arborant barbe et qamis (la tunique islamique traditionnelle), sert le thé à la menthe.

Révélée par Le Monde du 12 juillet, l’« affaire de la burqa » a été aussitôt relayée par l’ensemble de la presse française. C’est en effet la première fois que le Conseil d’État invoque des motifs religieux pour justifier une de ses décisions - appelée à faire jurisprudence. À l’en croire, Faiza ne peut être française parce qu’elle « adopte, au nom d’une pratique radicale de sa religion, un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française et notamment le principe d’égalité des sexes ».

L’islam accusé

Le Conseil ne mentionne pas le niqab de Faiza, mais personne n’est dupe. Moins de deux mois après la polémique provoquée par l’annulation d’un mariage, à Lille, au motif que l’épouse avait menti sur sa virginité, l’islam - au moins, dans sa version salafiste - est une nouvelle fois sur le banc des accusés. Sauf que, cette fois, la décision du Conseil d’État suscite une approbation quasi générale.

De François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, à Fadela Amara, la secrétaire d’État à la Politique de la ville - qui, fidèle a elle-même, en profite pour comparer la « burqa » à une « prison » et à une « camisole de force », expression d’« un projet politique totalitaire » -, personne, en dehors de quelques spécialistes, ne se penche vraiment sur le fond du dossier. Nouveau président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohamed Moussaoui regrette pour sa part, du bout des lèvres, que l’arrêt du Conseil soit motivé par le concept « ambigu » de la « pratique radicale de la religion ». « Ce qui est étonnant, ajoute-t-il néanmoins, c’est que ça soit mis en exergue parce que ça concerne des musulmans. »

En confirmant le décret gouvernemental du 16 mai 2005 refusant l’octroi de la nationalité à Faiza Silmi pour « défaut d’assimilation », le Conseil d’État a pourtant pris bien soin de préciser qu’il ne cherchait pas à « porter atteinte à la liberté religieuse ». Ce qui n’empêche pas Patrick Beaudoin, l’avocat de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), de juger ces précautions suspectes. « Le Conseil, explique-t-il, a visiblement cherché à contourner le problème que lui posait la religion en liant sa décision à la soumission supposée de cette femme. Cela signifie qu’en raison de cette soumission, elle subit une double peine : celle de son entourage et celle de la société française qui l’exclut au lieu de l’accueillir comme de droit. Elle a toutes ses chances devant la Cour européenne des droits de l’homme. » De fait, Faiza admet avoir déjà été « contactée par un avocat danois » pour attaquer la décision française au niveau européen. Mais, redoutant les conséquences d’une publicité excessive, elle hésite à se porter à une telle extrémité.

Aînée d’une famille originaire de Ouarzazate, à 200 km au sud-est de Marrakech, Faiza Silmi a fait deux ans d’études au lycée avant d’apprendre la couture et la broderie, métier qu’elle a pratiqué pendant quatre ans. Ouvrier du bâtiment installé en France depuis 1973, son père ne voyait sa famille que pendant ses vacances au pays. En 1978, grâce à la nouvelle politique française de « regroupement familial », les quatre frères et sœurs de Faiza s’installent chez lui à Aulnay-sous-Bois, en région parisienne. Pour sa part, Faiza ne rejoindra la France que beaucoup plus tard, en 2000, après son mariage avec Karim, un Français dont la famille est originaire d’Agadir. « Je cherchais un mari et lui une femme. C’est la famille qui nous a présentés. Nous nous sommes mariés assez vite », raconte-t-elle avec pudeur.

Petits boulots

Ledit Karim est un enfant du 15e arrondissement de Paris. Après avoir travaillé dans les mines de charbon du nord de la France, son père est ouvrier spécialisé chez Renault, à Boulogne-Billancourt. Sa mère, tunisienne, est femme au foyer. Après l’emménagement de sa famille à La Verrière, dans les Yvelines, Karim apprend le métier de pizzaïolo, puis ouvre une pizzeria qui, faute de clients, fait rapidement faillite. Il devient alors agent de médiation, chargé d’apaiser les conflits dans les bus municipaux, puis travaille comme chauffeur de bus pour la mairie. Las, au bout de six mois, son contrat n’est pas renouvelé. « Depuis que je porte la barbe, explique-t-il, j’ai beau m’habiller en costume, je n’arrive plus à trouver un travail sérieux. Alors, je vis de petits boulots… »

Évasif sur l’origine de ses revenus, Karim se montre plus disert concernant la religion. « On aurait pu comprendre la décision du Conseil d’État, commente-t-il d’une voix douce, si nous étions des salafistes prônant la violence. Or ce n’est pas le cas. Nous pratiquons un islam orthodoxe, certes, mais totalement pacifiste. »

Faiza conteste quant à elle les attendus de la décision, qu’elle juge humiliante pour elle, du Conseil d’État : « Tout est faux ! Je ne suis pas soumise aux hommes de ma famille, ne mène pas une vie de recluse et sors quand il me plaît. Quand je conduis ma voiture, j’enlève mon niqab. C’est moi seule qui ai décidé de le porter, après la lecture de certains livres. Je respecte la loi et mon mari respecte mes décisions. » L’intéressé confirme, en riant : « Vous avez déjà vu une Marocaine soumise ? » Puis, conclut sur une boutade : « En ce moment, je n’ai qu’un rêve : m’installer en Arabie saoudite avec ma famille. Mais, ça, c’est plus difficile que de devenir français ! ».

Source : Jeune Afrique - Pierre François Naudé

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Religion - Liberté d’expression - Régularisation

Ces articles devraient vous intéresser :

Christophe Galtier : garde à vue pour discrimination raciale

L’ex-entraîneur de l’OGC Nice, Christophe Galtier, ainsi que son fils, John Valovic-Galtier, ont été placés en garde à vue ce vendredi dans le cadre d’une enquête portant sur des allégations de discrimination au sein du club.

Des prières rogatoires dans les synagogues marocaines

Après les mosquées, c’est au tour des synagogues au Maroc d’accueillir des prières rogatoires en faveur de la pluie.

Maroc : les salaires des imams vont augmenter

Les imams au Maroc verront leur allocation augmenter de façon progressive pendant les quatre prochaines années. Le roi Mohammed VI en a donné l’instruction, selon le ministère des Habous et des Affaires islamiques

La date de l’Aïd al Fitr au Maroc connue

L’observation de la nouvelle lune du mois de Chaoual 2023/1444 commencera ce jeudi 20 avril 2023, mais il semble que la plupart des pays arabes ne pourront pas observer le croissant à l’œil nu. C’est du moins ce que prévoit Hassan Talibi, astronome et...

Gad Elmaleh évoque « le modèle marocain de fraternité judéo-musulmane »

À l’occasion de la sortie de son film « Reste un peu » qui sort le 16 novembre, l’humoriste marocain Gad Elmaleh revient sur la richesse spirituelle du Maroc, « une terre de fraternité judéo-musulmane » dont le modèle n’existe « nulle part ailleurs ».

« Tu mourras dans la douleur » : des féministes marocaines menacées de mort

Au Maroc, plusieurs féministes, dont des journalistes et des artistes, font l’objet d’intimidations et de menaces de mort sur les réseaux sociaux, après avoir appelé à plus d’égalité entre l’homme et la femme dans le cadre de la réforme du Code de la...

Un lycée français au Maroc accusé d’intolérance religieuse

Le lycée Lyautey est au cœur d’une polémique après que plusieurs médias marocains ont publié qu’une employée de l’établissement aurait été empêchée d’y accomplir la prière. La direction du centre éducatif dément cette rumeur qu’elle juge « inconcevable ».

Hijab et football féminin : Le Conseil d’État maintient l’interdiction

L’interdiction du port du hijab lors des compétitions de football féminin, qui est en vigueur depuis 2016, a été confirmée par le Conseil d’État jeudi.

Les confidences de Gad Elmaleh sur sa rencontre avec le pape François

L’humoriste marocain Gad Elmaleh s’est confié après sa rencontre avec le pape François, au Vatican le 23 décembre, à qui il a présenté son film « Reste un peu », sorti en France le 16 novembre et dont le scénario repose sur son cheminement spirituel...

Le ramadan est « clairement un sujet sensible dans les clubs » de football

Alors que les joueurs musulmans tiennent à leur foi et préfèrent jeûner, les clubs se soucient bien souvent de leurs performances pendant le ramadan. Un ancien préparateur physique assure que cette période est « clairement un sujet sensible dans les...