Prix de l’immobilier, l’administration coupable

29 décembre 2007 - 22h57 - Economie - Ecrit par : L.A

La lenteur des procédures administratives, la corruption institutionnalisée, le chantage des élus et des fonctionnaires… voici ce qui, d’après l’auteur de cette contribution, aggrave la hausse des prix de l’immobilier.

“Allahouma inna hada mounkar !”, s’écrie l’haj Abdelkrim, promoteur immobilier depuis plus de 20 ans à Casablanca. Son gros problème porte un nom : l’Administration. Agences urbaines, communes et cadastre constituent, pour lui, un véritable parcours du combattant. Et face aux fonctionnaires ou aux élus, l’haj ne sort pas son chéquier
uniquement pour payer les taxes ou les droits d’enregistrement. “À Casablanca, accélérer les procédures se monnaye, comme tout d’ailleurs. Cela reste plus ou moins raisonnable. Par contre, à Marrakech, c’est une véritable mafia qui rançonne les promoteurs pour leur accorder leurs droits. Exemple : même avec un dossier technique totalement conforme et dont l’autorisation est déjà délivrée par l’Agence urbaine, certains élus exigent des dessous de table, allant jusqu’à 10 000 dirhams par appartement, pour signer l’autorisation de construire. Et les négociations peuvent durer des mois”, confie notre promoteur. “Nous aussi, on veut notre part du gâteau. Les promoteurs se font 300 000 dirhams par appartement, ils peuvent bien nous en donner 10 000”, confirme un fonctionnaire d’une baladiya de Marrakech, dont le salaire mensuel de 5000 dirhams l’a dénué de toute vergogne.

Pensons aux “Quick ways”

Pourtant, une simple cellule d’écoute des promoteurs, rattachée aux brigades d’inspection administrative, permettrait certainement de dissuader (quelque peu) ces agents ou fonctionnaires qui passent pour des maîtres dans l’art du chantage. En parallèle, il faudrait aussi instituer dans les administrations des “Quick ways”. Comprenez, des procédures rapides et payantes. Le principe est simple : en échange d’un service simplifié et accéléré, le demandeur paye un droit, dont la grille tarifaire est établie par l’Administration.

Le succès de cette innovation dépend néanmoins d’un détail déterminant : les fonds récoltés ne doivent pas tomber dans les caisses de l’Etat, mais selon une procédure assez simple et flexible, être redistribués équitablement aux fonctionnaires de l’Administration dans lesquels ils sont levés. Ainsi, l’argent transiterait, comme c’est le cas aujourd’hui, mais au moins selon un flux structuré et officiel. Une telle formule a d’ailleurs fait ses preuves à l’étranger (au Canada, notamment). Et au Maroc, elle est d’autant vouée à un grand succès que les promoteurs sont déjà prédisposés à payer. Aujourd’hui, ils sont d’ailleurs forcés d’arroser grassement, juste pour arracher leurs droits.

Car plus un dossier d’autorisation de construire ou un permis d’habiter traînent, plus le promoteur pris en otage est prêt à courber l’échine. “Pour nous promoteurs, le temps, c’est vraiment de l’argent”, soupire l’haj Abdelkrim, coupable, mais victime malgré lui, d’infractions lourdes de conséquences. Les délais de construction étant maîtrisés, l’aléa administratif peut représenter un véritable surcoût financier. Et pour cause, les promoteurs s’endettent généralement pour leurs projets immobiliers. Et quand il s’agit de dizaines de millions de dirhams, les frais financiers ou les intérêts de retard grimpent très vite.

Où est le plan d’aménagement ?

Les problèmes de l’immobilier liés à l’Administration sont loin de se limiter à la seule question de la corruption. L’haj Abdelkrim, comme tous ses confrères de Casablanca, attend depuis de nombreuses années la publication d’un plan d’aménagement de la métropole. Un texte de loi censé donner de nouvelles affectations urbaines pour tous les quartiers de la ville, et créer de nouvelles zones d’habitation périurbaines (Zenata et Bouskoura, selon la rumeur). Accélérer la sortie de ce plan, quitte à y apporter des mises à jour quand elles s’imposent, est une condition sine qua non pour relâcher la pression sur le prix du foncier. En attendant, les prix des terrains flambent et les prix des appartements suivent la cadence, boostés par une demande de plus en plus forte sur les logements de première main.

Ces deux dysfonctionnements administratifs majeurs (corruption et retard dans la publication de la réglementation urbaine) pèsent sur le marché immobilier plus qu’on ne le pense. Les sorties médiatiques tonitruantes de Miloud Châabi ne sont pas du pur fantasme : “L’administration nous coûte plusieurs points de PIB !”, déclarait-il, il y a quelques mois. Malheureusement, si cela est impossible à quantifier, pour les promoteurs, cette affirmation est une triste réalité, pas suffisamment décriée.

TelQuel - Alami Berrada

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