Le bonheur d’écrire de Mohamed Leftah

17 novembre 2007 - 20h55 - Culture - Ecrit par : L.A

Mohamed Leftah n’a qu’une certitude, "la littérature a toujours été et peut être encore une promesse de bonheur", et préconise un seul remède : "Le roman contre la barbarie. Nous n’avons pas d’autres armes". Si ce Marocain de 61 ans, qui vit désormais au Caire, figure en bonne place, comme un déjà classique, dans le Dictionnaire des écrivains marocains de Salim Jay (Paris-Méditerranée/Eddif), il n’avait été publié qu’une seule fois en France, en 1992, avant que Joaquim Vital, le directeur des éditions de La Différence, vrai amateur de littérature, ne se passionne pour lui et ne décide de faire connaître ses textes.

Voici donc un roman, L’Enfant de marbre, et un recueil de nouvelles, Un martyr de notre temps, où Leftah, comme toujours, se laisse aller à sa folie des mots, à son goût pour le baroque et le fantastique, les couleurs et les sensations.

Le narrateur marocain de L’Enfant de marbre se trouve, un jour de Toussaint - "jour d’automne tout en évanescences, tremblant, et aux contours lumineux" - dans un cimetière de la banlieue parisienne. Il est avec sa femme, dont il est divorcé, mais avec laquelle il a repris la vie commune depuis un an, et sa belle-soeur. Chez la fleuriste, plutôt que des chrysanthèmes, il choisit "des cinéraires aux pétales finement innervés, à la teinte cendrée, si claire qu’elles étaient presque transparentes". Jusque-là rien de très étrange, même si en marchant vers le cimetière ce rêveur se laisse aller à transformer le modeste "Bar des tilleuls", devant lequel il passe, en "Don Quichotte", l’enseigne de ses folles nuits, à Casablanca.

Mais, soudain, il avise une tombe uniquement ornée de fleurs blanches, ce qui, lui signale sa belle-soeur, signifie qu’elle est celle d’un enfant mort-né. Celui-ci s’appelait Karim, comme son premier enfant - il est aujourd’hui père d’une jeune fille -, lui aussi mort-né. Il avait refusé de l’enterrer, et même de le voir, abandonnant le corps au personnel de l’hôpital.

Commence alors une longue quête, dans laquelle Leftah donne toute la puissance de son imaginaire, qui mène le narrateur, de souvenir en souvenir, du côté de Casablanca et de son père, obsédé par la perpétuation de leur nom. Tout cela, une fois de plus, dans un seul but, la littérature. "Voyez-vous, confie cet homme devenu enquêteur à l’employé du cimetière qu’il interroge à propos de la mystérieuse tombe de Karim, je voudrais écrire un livre qui serait comme la compensation tardive à la sépulture que je n’ai pas offerte à mon enfant mort-né." Cet enfant n’a sans doute jamais existé, sauf en héros fantôme du livre qu’on vient de lire.

Comme dans ses romans, Mohamed Leftah, dans ses nouvelles, ne parle que du bonheur d’écrire, de combattre avec les phrases. Ainsi dans les sept brefs textes réunis sous le titre du premier récit Un martyr de notre temps, il ne se contente pas de dénoncer, au nom de la morale, les dérives terroristes ("Un martyr de notre temps"). Il veut lutter contre la dévastation qui règne dans la société contemporaine, minée par le ressentiment.

On peut garder le goût des objets, du travail bien fait, gagné sur la violence guerrière ("Un guerrier amoureux"), trouver chez un boucher brutal une douceur inattendue ("La Petite Chamelle du Bon Dieu"), et, pour jouer au plus près avec la jubilation de la fiction, se faire relire par "un cher ami d’enfance", "premier lecteur et critique" ("L’auteur en quête d’un personnage"). Cet Ididir, comme tout bon double, "tissé dans la même étoffe que les autres personnages de ce recueil", se montre un sévère relecteur, jugeant que ce livre manque de "fil directeur". "Y a-t-il un fil directeur dans nos vies, dans la vie en général ?", lui demande l’auteur. Dans la vie de Mohamed Leftah, il y en a un à coup sûr : l’amour de la fiction.

Le Monde - Josyane Savigneau

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