Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.
L’Espagne recrute partout depuis quelques années, surtout au Maroc. Le temps d’une vendange ou d’un chantier. L’Anapec (Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences) cherche des « candidats » pour le voisin ibérique qui iront travailler quelques jours ou quelques mois pour 35 euros par jour environ. Seuls le logement et le voyage sont compris dans le package. Les frais de visa sont payés par les futurs travailleurs, qui évidemment rentreront chez eux une fois leur tâche accomplie. Voici une réalité des Marocains en Espagne, mais qu’en est-il de ceux qui sont dans ce pays depuis la première campagne d’immigration ? Où travaillent- ils ? Quels secteurs occupent-ils ? Que signifie être « zmagri » en Espagne ?
Après la France, l’Espagne regroupe la deuxième plus importante communauté marocaine d’Europe. Depuis 1991, date de la première loi d’immigration, l’Espagne distribue des visas à tour de bras afin d’alimenter certains secteurs d’activité en manque de main-d’œuvre. Ces secteurs sont l’agriculture, l’industrie, la construction et le tertiaire. Selon de tout derniers chiffres qui s’arrêtent à juillet 2007, sur près de 15 millions d’actifs en Espagne, 240.000 d’origine marocaine ont un emploi, soit 1,6%. On recense dans toute la péninsule ibérique, 604.000 immigrés marocains ayant un permis de séjour, répartis dans différentes régions, à savoir parmi les plus peuplées : la Catalogne avec près de 200.000 personnes, suivie par l’Andalousie (89.000) et Madrid (68.000).
Le secteur primaire est celui qui emploie le plus une population immigrée. Plus d’un Marocain sur trois travaille dans l’agriculture. Dans la construction, ils sont un cinquième. Le secondaire embauche 9% de cette population. Quand au secteur tertiaire, dominé généralement par les femmes, il englobe 27% des travailleurs marocains. Ce dernier comprend l’hôtellerie, les services domestiques et le commerce. En revanche, 6% seulement sont cadres ou exercent une profession libérale.
Cela fait 17 ans, soit le temps d’une demi-génération, que les Marocains ont émigré en Espagne et l’on remarque que ce sont toujours ces mêmes secteurs qui les emploient. La seule différence se trouve dans la nouvelle loi d’immigration, adoptée en 2003, peu après la légalisation massive des clandestins sur le territoire espagnol. Cette loi spécifie le contrôle des frontières : si le visa n’est plus aussi facilement distribué ou prolongé comme il y a quelques années, cela ne veut pas dire que toutes les demandes faites par les immigrés soient rejetées. Selon le ministère de l’Intérieur, le prolongement des visas pourra se faire « exceptionnellement si les étrangers ne formant pas partie de l’ Union européenne résident en Espagne pour raisons humanitaires ou pour une éventuelle collaboration avec la justice ». Ceux-ci doivent évidemment répondre aux critères de la loi afin de demander un permis de séjour. En résumé, la loi a changé, mais pas la situation des Marocains.
Selon l’INE (Institut national de statistiques espagnol), les travailleurs déclarés sont majoritairement des hommes. Ils constituent près de 1,16% de la population active dans la péninsule, soit environ 174.000 personnes, généralement célibataires et âgés entre 20 et 30 ans. Dans l’imaginaire espagnol, l’immigré « type » est un homme, ouvrier, célibataire et âgé de 25 ans. Les femmes représentent moins de 0,5 % des actifs. Elles sont environ 37.000, également célibataires et relativement jeunes. Seule une infime partie de cet effectif englobe les femmes mariées ou divorcées. Les femmes travaillent plus aisément dans les secteurs domestiques. Un tiers d’entre elles sont embauchées comme cuisinière ou serveuse.
Néanmoins, globalement, les proportions varient en fonction de la région de résidence. Par exemple, le secteur agricole prime plus à Murcie qu’aux Baléares. Le secteur industriel reste minoritaire dans tout le pays à part à la Rioja ou dans la Communauté Valencienne où il demeure la principale source d’activité et de richesse de la région.
Les Marocains qui travaillent en Espagne sont à l’évidence plus nombreux. Même si 604.000 personnes sont en situation légale sur le territoire, c’est-à-dire possédant un permis de séjour et bénéficiant de la sécurité sociale, quelques milliers d’autres vivent dans la clandestinité la plus totale ou ne se déclarent qu’à moitié. Selon des sources dignes de foi, la combine serait de se faire enregistrer à la mairie et obtenir une attestation de logement. Cette pratique serait répandue et ne solliciterait aucune contrainte. On pourrait parfaitement déclarer où l’on habite sans pour autant avoir une carte de séjour. Une simple carte d’identité suffirait alors, qu’elle que soit la nationalité. Cette mesure n’est pas pour autant facultative, car elle permet à la Commune de recenser les habitants des environs et de pouvoir obtenir ses papiers définitifs. Elle est aussi normalement destinée à aider l’« Hacienda », le service des Impôts, mais leur communication laisse encore à désirer au grand bonheur de tous les Espagnols et de tous les étrangers résidant en Espagne.
Cette illégalité a pour corollaire l’exploitation relative de cette couche de la population dans tous les secteurs d’activité, particulièrement au sein de l’agriculture et de la construction où les conditions de travail sont souvent déplorables. On se souvient des événements du 17 janvier 2007 où deux jeunes Marocains ont été grièvement blessés suite à un accident de travail : l’un d’entre eux, tout juste âgé de 22 ans, avait succombé à ses blessures.
On se souvient aussi de la tragédie de juillet 2006 qui avait fait cinq morts suite à des irrégularités graves sur un chantier de construction. S’il est connu que les clandestins ne sont pas payés ou très mal payés et qu’ils ne jouissent pas de bonnes conditions de travail, les salariés légaux ne sont guère mieux lotis : rarement déclarés à la sécurité sociale, ils touchent presque la totalité de leur salaire au noir sans être pris en charge en cas d’accident, ajoutant à cela des comportements et des agissements intolérables de la part d’employeurs.
On constate très souvent, dans le secteur de la construction, l’absence de filets de sécurité et de congés payés et, pis encore, le licenciement immédiat en cas de maladie ou d’indisponibilité temporaire. Mustafa Dadda, une des victimes de l’incident de janvier dernier, raconte que « les remparts de sécurité étaient insuffisants » et que « le mur risquait de s’effondrer à tout moment. » D’après certains ouvriers, beaucoup n’osent pas refuser de travailler - alors qu’ils savent que cela comporte un risque pour leur vie - « par peur de représailles ».
Si les immigrés marocains acceptent ce genre de situation, c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord, par manque de choix : à cause de la ségrégation à l’embauche, il est en effet très difficile pour un étranger, de manière générale, de trouver du travail en Espagne, et encore plus pour un Marocain. Sans compter le délit de faciès. Il est clairement spécifié sur des sites Internet destinés à l’emploi, tels que trabajar.com, la mention « espagnol natif ». Cette discrimination est d’autant plus confirmée lorsque l’on sait qu’un Espagnol sur deux est davantage préoccupé par l’immigration que par le terrorisme. Effectivement, selon une étude publiée par l’agence Europa Press sur les principales préoccupations des Espagnols cette année, l’immigration serait en première position du classement en même temps que le chômage.
Selon Abdelhamid Beyuki, président de l’Atime (Association des travailleurs immigrés en Espagne) créée en 1989, « la xénophobie est en hausse et se trouve être partiellement le résultat de ce que transmettent les médias, mais elle est aussi le résultat du message que diffuse le gouvernement espagnol pour justifier sa politique migratoire ».
Toujours selon lui, « le racisme une fois enclenché devient très difficile à combattre et cela se ressent au moment d’être embauché. » Quand à l’exploitation de la population marocaine, il affirme la combattre tous les jours grâce aux syndicats et ONG espagnoles. Tout ceci nous donne une forte impression de déjà vu : malgré la différence d’évolution entre la France et l’Espagne, il semble que l’histoire de l’immigration se répète.
400.000 chômeurs
Tout comme la population espagnole, les Marocains résidant en Espagne souffrent du chômage, même si l’on considère à tort que les immigrés « volent le pain des Espagnols ». Au deuxième trimestre 2007, l’Espagne comptait près de 1,8 million de chômeurs, dont 800.000 hommes, soit 8% de la population active. La tranche d’âge la plus touchée est autant pour les hommes que pour les femmes, entre 25 et 44 ans (392.000 pour les hommes environ, 655.000 pour les femmes). Dans les différents secteurs, primaire, secondaire et tertiaire, on peut compter 65.000 chômeurs dans l’agriculture, 276.000 dans l’industrie, 250.000 dans la construction et encore 1.200.000 dans le secteur des services. Les chômeurs marocains sont au nombre de 400.000, soit 12% de la population immigrée et 5% de la population active totale (10,4% des hommes contre 10,5% des femmes).
L’Espagne championne du déclassement professionnel
Selon une étude de l’OCDE, 50% des immigrés qualifiés entre 15 et 64 ans exercent une profession en dessous de leurs qualifications. Au classement des pays qui intègrent le plus d’émigrés qualifiés exerçant une profession différente de la leur ou sous-qualifiée sont l’Espagne, en tête de liste, suivie par l’Italie et la Grèce. Les raisons de ce « déclassement professionnel » sont la non-reconnaissance des diplômes étrangers extracommunautaires (sauf Etats-Unis) mais également « les phénomènes discriminatoires ».
Même si les émigrés sont plus aptes à obtenir de très bons postes, il n’en reste pas moins vrai que l’on exerce activement ce que l’on appelle « la préférence nationale »). Reste aussi l’éducation. Selon les qualifications, l’insertion peut s’effectuer plus ou moins bien, tout dépend du niveau d’études et de l’aisance de la pratique de la langue du pays d’accueil.
L’Economiste - Vanessa Pellegrin
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