Maroc : L’envers du décor du statut d’auto-entrepreneur

5 novembre 2023 - 23h00 - Economie - Ecrit par : S.A

Quelques années après son adoption, la loi n° 114-13 du 19 février 2015 relative au statut de l’autoentrepreneur a montré ses limites. Seuls les chefs d’entreprise du royaume en tirent grand profit.

Les autoentrepreneurs, grands perdants de la loi n° 114-13 du 19 février 2015 ! Ils se font embaucher par des chefs d’entreprise qui exigent d’eux leur inscription au registre national d’auto-entrepreneur (RNA). « Le jour où j’étais embauché, le patron m’a explicitement demandé de m’inscrire au registre national d’auto-entrepreneur (RNA) afin de pouvoir occuper le poste. J’ai accepté cet arrangement, car je cherchais du travail depuis plusieurs mois », confie à Maroc Hebdo Zouhair, un jeune cadreur-monteur qui évolue dans le secteur événementiel. Même exigence pour les autres membres de l’équipe, également engagés en tant qu’auto-entrepreneurs. En conséquence, ce salarié se voit contraint de s’acquitter de 1 % de TVA par an pour un chiffre d’affaires plafonné à 200 000 dirhams, en échange de la rémunération qu’il perçoit de son employeur. En plus de cette mesure fiscale, le Code général des impôts (CGI) 2023 dans son article 43 bis instaure un taux d’imposition libératoire de 30 % prélevé à la source par le client.

À lire : Maroc : le statut d’auto-entrepreneur a le vent en poupe

Est concerné par cette disposition tout auto-entrepreneur ayant réalisé un chiffre d’affaires dépassant 80 000 dirhams. Ce taux d’imposition s’applique toutefois au surplus. Des mesures qui pourraient freiner l’atteinte des objectifs fixés à travers la loi n° 114-13 à savoir limiter les activités économiques informelles et lutter contre les inégalités. « Les entreprises en profitent pour se désengager de leurs responsabilités, réduire leurs assiettes fiscales, alléger les cotisations patronales et parfois gonfler leurs dépenses », résume Pr Mohamed Adraoui, professeur de finance à la Faculté des sciences économiques juridiques et sociales de Mohammedia, expliquant que les entreprises paient leurs impôts sur la base de leur résultat net, après avoir déduit toutes leurs charges. Quant à l’auto-entrepreneur, il régularise sa situation fiscale en calculant le taux d’imposition sur son chiffre d’affaires. “Normalement, ce statut a été conçu pour éradiquer les inégalités et non pas pour les aggraver davantage”, fait-il remarquer.

À lire :Maroc : statut auto-entrepreneur ou fraude fiscale ?

Le gouvernement a revu l’ancienne mouture relative à la fiscalité du régime d’auto-entrepreneur, afin de rappeler les chefs d’entreprise à la raison. Seulement, ce remaniement ne profite guère aux inscrits à ce statut – 406 301 inscriptions en 2022 contre 363 663 en 2021 selon les données de la DGI. Selon Zakaria Fahim, président de l’Union des auto-entrepreneurs, ce réaménagement fiscal permettra de dissuader les chefs d’entreprise malhonnêtes, en attirant l’attention sur le sort des vrais auto-entrepreneurs. « On cherche à les appauvrir en limitant leur chiffre d’affaires à 80 000 dirhams », regrette-t-il, estimant que les mesures fiscales consignées dans la LF 2023 sont loin d’encourager les auto-entrepreneurs. « Ceux-ci doivent désormais réfléchir à deux fois avant de rejoindre le secteur formel. […] Ces nouvelles dispositions, bien qu’elles aient sans doute pour objectif de renforcer l’intégration du secteur informel, risquent en réalité de dissuader les entrepreneurs potentiels », analyse-t-il.

À lire :Le Maroc améliore le statut des auto-entrepreneurs

L’espoir est encore permis. Fahim est persuadé que les comptables peuvent jouer un rôle stratégique dans le mentoring des auto-entrepreneurs. « Les comptables peuvent, contrairement à ce qu’ils le pensent, innover de nouvelles solutions et diversifier leurs prestations de service afin d’aider cette catégorie d’entrepreneurs à développer leurs activités en mettant à leur disposition, entre autres, un fichier client correspondant à leur secteur d’activité », assure-t-il. Les comptables ne l’entendent pas de cette oreille. « En tant que comptable, en quoi le segment des auto-entrepreneurs me concerne ? Nous avons d’autres préoccupations beaucoup plus importantes que de s’intéresser à ce créneau », affirme, cash, un comptable sous couvert d’anonymat.

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Impôts - Direction générale des impôts (DGI) - Auto-entrepreneur

Aller plus loin

Le Maroc améliore le statut des auto-entrepreneurs

Le gouvernement a annoncé l’adoption d’une réforme au profit des auto-entrepreneurs, afin d’augmenter le plafond de leur chiffre d’affaires.

Maroc : le parlement discute de la fiscalité des auto-entrepreneurs

Au Parlement marocain, des groupes de l’opposition ont proposé des amendements concernant le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2024 dont l’un vise à encourager...

Maroc : le statut d’auto-entrepreneur a le vent en poupe

Le nombre d’auto-entrepreneurs continue d’augmenter au royaume. Fin 2021, ils étaient 300 457, soit une hausse de 10,2% par rapport à un an auparavant, d’après les chiffres de...

Maroc : fort engouement pour le statut d’auto-entrepreneur

Le nombre d’auto-entrepreneurs continue d’augmenter au royaume. Fin 2021, ils étaient 373 663, soit quatre fois plus qu’il y 4 ans, d’après les chiffres la Direction Générale...

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : le gouvernement et les syndicats divisés sur la hausse des salaires

Fin de la lune de miel entre le gouvernement et les centrales syndicales. Si la première phase des négociations s’est déroulée dans une ambiance détendue, des discordes sont apparues au cours du deuxième round sur certaines questions essentielles comme...

Maroc : vers une hausse des taxes sur la chicha et les cigarettes électroniques

Le Maroc entend augmenter les taxes sur la chicha et les cigarettes électroniques. Une décision motivée, dit-on, par le souci de préserver la santé des consommateurs, notamment les jeunes Marocains.

Maroc : allègement des mesures fiscales pour 2023

Le gouvernement marocain a décidé d’alléger une série de mesures fiscales consignées dans le projet de loi de finances 2023 qui fera l’objet d’examen et de vote à la Chambre des conseillers dès ce lundi 5 décembre 2022.

Maroc : l’alcool rapporte gros aux recettes de l’Etat

Selon le projet de Loi de finances 2023, le trésor public prévoit d’enregistrer des revenus venant des diverses taxes en vigueur sur la cigarette et l’alcool, de l’ordre de 14,4 milliards de dirhams.

Fisc : Le Maroc ajuste l’IS et l’IR dans la Loi de finances 2024

Au Maroc, des ajustements ont été apportés à l’Impôt sur les sociétés (IS) et l’Impôt sur le revenu (IR) dans le cadre de la Loi de finances 2024.

YouTube : des Marocains gagnent jusqu’à 100 000 dirhams par mois, le fisc en alerte

Au Maroc, les services de la Direction générale des impôts (DGI) ont adressé un avis aux influenceurs, des youtubeurs et aux créateurs de contenus pour les appeler à déclarer leurs revenus et à payer leurs impôts.

Impôts : des procédures simplifiées pour les MRE

La simplification des procédures administratives pour les Marocains résidant à l’étranger (MRE) a permis à ces derniers de se mettre à jour vis-à-vis de l’administration fiscale, a déclaré Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des finances.

MRE et l’OCDE : l’heure de la renégociation fiscale

Le gouvernement marocain affirme vouloir préserver les intérêts des six millions de Marocains résidant à l’étranger (MRE). Il entend engager dans les prochains jours des négociations avec l’OCDE pour revoir les conventions relatives à l’échange des...

Le MRE a-t-il le droit de vendre sa voiture au Maroc ?

Le Marocain résidant à l’étranger (MRE) a tout à fait le droit de vendre son véhicule lors de ses vacances au Maroc. Nous parlons, ici, de la période de l’admission temporaire de 6 mois, autorisée par les services de la Douane. Deux situations se...

Traque aux fraudeurs : les influenceurs marocains dans le collimateur du fisc

La direction générale des impôts (DGI) vient d’adresser une mise en demeure aux influenceurs possédant des biens ou recevant de l’argent de l’étranger, les invitant à les déclarer et à payer l’impôt correspondant.