« Comment sortir du monde ? » C’est le titre du tout premier roman du Franco-marocain Marouane Bakhti, paru aux Nouvelles Éditions du réveil en mars 2023. Il y raconte la vie, telle qu’elle vient, dans une famille biculturelle. Un récit éblouissant.
À travers un cas particulier, "Parle-moi de ton absence" aborde un double problème : celui de la violence faite aux femmes et celui des mères séparées de leurs enfants par un mari qui, misant sur l’éloignement, se joue de leur crédulité.
Femmes battues ou implorant tribunaux et ministères afin d’avoir le droit de revoir ceux qu’elles ont mis au monde sont des faits d’une actualité si quotidienne que la presse ne s’y intéresse que dans des circonstances exceptionnelles - la mort de Marie Trintignant - ou extrêmes - lorsque toute une école se mobilise contre l’enlèvement d’une petite fille par un père abusif. Ces exemples médiatisés ne sont pourtant que l’écume d’une situation infiniment plus vaste et souvent rendue complexe par le multiculturalisme de nos sociétés.
L’intérêt du livre de Saber Assal qui vit en Belgique où il est assistant social, tient à ce qu’illustrant une généralité, il donne à entendre une voix singulière. Celle de sa mère d’origine marocaine dont il a été séparé à l’âge de 4 ans et qu’il a retrouvée après trente années de ce qu’il a cru être un abandon. Sur cette période mal vécue, il a écrit un premier récit : "A l’ombre des gouttes". En écoutant parler la mère qu’il ne connaissait pas, ou à peine, il vient d’y ajouter la pièce manquante. Après leurs retrouvailles, ils se sont revus pour douze entretiens. Elle parlait. Il enregistrait. Et triomphant du silence des ans et des mensonges du père, il entendait la vérité d’une femme victime du pouvoir arrogant des hommes. Et ce drame d’une mère dont il n’avait souvenir que de quelques scènes déchirantes, tous autres liens avec elle ayant été rompus, était aussi le sien.
"Écris mon fils. Écris ce que je vais te raconter. Et pendant que tu écriras, nous ferons connaissance... Je n’ai pas abandonné mes enfants..." Ainsi commence, dans une forme poétique et visuelle, un récit intense, entrecoupé de réflexions du fils qui reçoit l’autre version de ce qu’il a vécu. Inès, c’est le nom de sa mère, eut une enfance pauvre mais chaleureuse dans ce qui reste pour elle un paradis perdu. Mariée à 13 ans, elle en avait 17 et trois enfants lorsqu’elle fut invitée à suivre son mari à Bruxelles pour y découvrir la solitude et la précarité d’un logement minable. De désillusions en déménagements et en manque d’argent, il ne lui restait que l’amour de ses bientôt quatre enfants pour survivre aux humiliations et aux privations infligées par un mari qui, un jour, la roua de coups jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Trop vulnérable et ignorante pour porter plainte, elle subit d’autant les gifles et les insultes qu’il demeurait impuni.
Au prétexte de vacances au Maroc, il l’y abandonna sans papiers, sans passeport et sans ressources, la laissant une nouvelle fois enceinte, ramenant les autres enfants avec lui en Belgique pour y retrouver sa maîtresse. Il ne resta à sa femme flouée qu’une dépression sans résignation, l’affection des siens et une dernière petite fille pour tenter de survivre à un arrachement plus éprouvant encore que les autres violences. En rendant justice, à travers son témoignage humain et révoltant, à la mère meurtrie dont il est évident que les blessures ne seront jamais guéries, Saber Assal ne peut que lui apporter le réconfort d’avoir pu se justifier. En nous, il suscite indignation et révolte.
Libre Belgique - Monique Verdussen
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