Face au refus de nombreux propriétaires de cafés et restaurants de payer les droits d’auteur pour l’exploitation d’œuvres littéraires et artistiques, l’association professionnelle entend saisir la justice.
Après une longue traversée du désert, Jil Jilala, les idoles des seventies, semblent retrouver une nouvelle jeunesse. Preuve que ce groupe possède l’art de rebondir et de tenir tête aux coups du sort.
Samedi dernier, à l’occasion de la fête de la musique, Nass Al Ghiwane mettent en transe la foule rassemblée sur la place Mohammed V, à Casablanca. Le lendemain, même lieu, même heure, c’est au tour de Jil Jilala de faire passer par le même état la même foule. Nass Al Ghiwane ou Jil Jilala en concert, ce n’est plus seulement de la musique. Ce n’est plus, non plus de la simple nostalgie. C’est un fait de société, un Mondial à part, quelque chose qui fait date. Contrairement à Lemchaheb, qui se sont très vite essoufflés, Jilala et Al Ghiwane, telle une machine qui s’emballe, fêtent, en gros, leurs 30 ans de scène. En un sens, ils rassurent. Ils assurent cette espèce de constance, presque réactionnaire qui, à l’instar de l’animateur Mostafa Alaoui ou du Raja et du Wydad, incarne une institution. Ce qui serait étonnant, c’est qu’ils prennent leur retraite. Ils sont les derniers. Les derniers à nous parler en direct des années 70. Le temps ne passe sur eux que physiquement : leurs états d’âme portent encore des pattes d’« ef » et oublient d’aller chez le coiffeur. Aux Jilala comme aux Ghiwane, nous ne demanderons au fond rien d’autre, en ces temps désenchantés, que de nous faire visiter les seventies.
Une trajectoire accidentée
A l’aube des seventies, cinq garçons dans le vent prennent d’assaut les scènes et les ondes. Ils s’appellent Nass Al Ghiwane et ils vont bouleverser radicalement le paysage musical, renvoyant au magasin des vieux accessoires la chanson fleur bleue. Dans la brèche ainsi ouverte, s’engouffrent quelque 2 500 formations. La vague, quand elle se retirera, emportera peu à peu la quasi-totalité des gloires éphémères. Aujourd’hui, seuls surnagent, avec Nass Al Ghiwane bien sûr, Jil Jilala. Non sans mal. Car loin d’être rectiligne, leur trajectoire est plutôt accidentée. Elle ressemble à une dramatique fertile en coups de théâtre et en fausses sorties.
Reconstitution. En 1972, six kids, dont la moyenne d’âge est de vingt ans, choisissent de former un groupe musical. Ils ont pour noms Hamid Zoughi, Mohamed Saâdi, Mohamed Darham, Moulay Tahar Asbahani, Sakina Safadi, Abderrahman Paca. Ils sont unis par leur expérience antérieure des planches et leur ferme volonté de dégommer la chanson conventionnelle. Une entreprise qui s’amorce dans l’inconscience artistique totale, compte tenu du fait qu’à l’exception de Mahmoud Saâdi aucun membre du groupe n’est pourvu d’un soupçon de savoir musical. Mais l’époque sourit aux inconscients. Et voilà nos six corsaires embarqués dans la galère. Auparavant, ils se dotent d’un nom de baptême : Jil Jilala, en hommage au saint de Bagdad, Abdelkader Jilali, dont les zawyas jouent uniment un rôle spirituel et un rôle de rébellion contre l’oppression et l’injustice. Le groupe est né le 28 septembre 1972.
Le 7 octobre 1972, Jil Jilala effectuent leur premier passage à la télévision. Les téléspectateurs sont d’abord déconcertés par le rythme inhabituel. Mais dans le rythme se nichent les mots. Ces mots dansent et il faut faire l’effort de les entendre, d’aller par-delà l’apparence. Et comme ils sont portés par des voix exceptionnelles, celles de Darham, de Moulay Tahar et de Sakina, le charme opère insidieusement. Les téléspectateurs sont conquis. La presse tressera des couronnes à ces amoureux des mots et de la rime, dont un des mérites, et il n’est pas moindre, est d’avoir revivifié une langue en voie - en voix - de nécrose : l’arabo-marocain. Jil Jilala en font le vecteur de leurs messages. « Ces onomatopées placées sur un rythme parfois obsessionnel, ces incantations ne me laissent pas indifférent. Le message est là. L’essentiel est qu’il doit passer. C’est ce qui me semble être le plus important, car Jil Jilala s’adressent non seulement à ceux qui ne lisent pas, mais également à ceux qui ont désappris à lire », écrivait Mustapha Dziri, un connaisseur. Des mots simples, sur des rythmiques fluides produites par des instruments immémoriaux (tambourins, « sentir » et « bouzouk »), voilà les ingrédients dont se composent les quatre premières chansons de Jil Jilala : « Laklam Lamrasaâ », « Alâar abouya », « Jilala », « Lajouad ». Elles disent toutes le spleen de l’homme, son incurable solitude et son insondable désespérance. Des thèmes porteurs, des paroles qui font mouche. Jil Jilala sont hissés au firmament, leurs disques se vendent comme des petits pains, une génération s’est découvert des idoles à sa convenance. L’année suivante, la gloire du groupe est scellée par une prestation électrisante à l’Olympia, où ils chantent, devant un public survolté, « Liyam tnadi », un téméraire plaidoyer contre l’oppression et la torture. Le groupe vole de succès en triomphes. Chose qui déplaît souverainement aux rivaux intimes : Nass Al Ghiwane.
Un des clivages passionnels des seventies demeure celui qui opposait Nass Al Ghiwane à Jil Jilala. On était partisan de l’un ou de l’autre, jamais des deux, en même temps. Nass Al Ghiwane sont casablancais, Jil Jilala sont marrakchis pur jus. Face aux franges bien coiffées de ceux-ci, les cheveux longs en bataille de ceux-là. D’un côté, des tuniques proprettes, de l’autre, un laisser-aller vestimentaire. Jil Jilala ont une image de petits-bourgeois, propres sur eux et souriants ; Nass Al Ghiwane arborent des attitudes de rebelles, aggressifs et provocateurs.
Entre Jilala et Al Ghiwane, la guéguerre
Exaltés, ils brûlent leur vie sur scène, provoquant une hystérie contagieuse chez la foule. Dédaignant le sulfureux, l’outrance et la démesure, Jil Jilala exécutent leur numéro, sans état d’âme, mais avec un talent qui force l’admiration. Entre les deux groupes, c’est la soupe à la grimace, pimentée de gracieusetés de cactus, d’aimables vachardises et de déclarations vipérines. On peut s’en gausser. Après tout, on a les Beatles et les Stones qu’on mérite. Ulcérés par tant de haine vaine, Jil Jilala décident d’y mettre fin, en abandonnant à leurs rivaux le terrain de la chanson enragée pour aller surfer sur les clémentes vagues du « malhoun ». Nous sommes en 1976. Entre-temps, Paca a quitté Jil Jilala pour Nass Al Ghiwane, Moulay Abdelaziz Tahiri fait l’inverse, Sakina déserte la chanson, Abdelkrim Al Kasbaji lui succède dans le cœur des fans, Hassan Meftah remplace Hamid Zoughi.
Dans le domaine du « malhoun », Moulay Abdelaziz Tahiri est incollable. Aussi le groupe met-il à profit le savoir du transfuge pour redonner vie à des « quasidas » tombées dans l’oubli. « Tel qu’il était chanté, le malhoun ne pouvait séduire les jeunes. Les paroles étaient dites d’une voix monocorde, les mots étaient hermétiques, souligne Tahiri. Nous nous sommes employés à le rendre accessible. » Ils y réussissent haut la main, si l’on en juge par le superbe engouement des jeunes pour les deux morceaux d’anthologie que sont « Chamâa » et « Lotfya ». Auréolés de ce triomphe, Jil Jilala continuent de creuser le sillon, avec brio, jusqu’à ce que Moulay Abdelaziz Tahiri ne leur brûle la politesse. Nous sommes en 1985. Mahmoud Saâdi a mis les voiles deux ans plus tôt, Mustapha Baqbou est appelé à la rescousse. L’harmonie tant enviée du groupe commence à s’effriter. Inexorablement. Darham, promu maître à bord, a beau se démener comme un beau diable pour sauver les meubles, rien n’y fait. Le groupe pique du nez, il ne fait plus d’audience, son charisme s’évanouit. Même une chanson comme « Ya man âana », pourtant très inspirée, rencontre un insuccès sidérant. Paradoxalement, s’ils n’attirent plus un chat en leur pays, Jil Jilala continuent d’enflammer des légions de spectateurs au-delà des frontières. Voici ce que narre Tunis Hebdo, du 10 août 1987, à l’issue d’un récital qu’ils ont donné dans l’amphithéâtre de Sidi Dhaher : « En sus des gradins, l’énorme, l’impressionnant essaim humain débordait et s’effilochait sur l’aire des courettes environnantes, sur les murettes, sur les marches, sur les rampes et sur l’avant-scène. Trois mille têtes, et même davantage, à se supporter mutuellement dans un espace initialement conçu pour offrir 2 500 places. » Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà, disait le bon Blaise qui connaissait ses classiques. Jil Jilala ne sont plus prophètes en leur pays. L’accueil réfrigérant qui leur est fait, en juillet 1995, lors du Festival de Rabat, en est l’amère preuve. Pour autant, ils ne raccrochent pas les crampons. Coup de grâce : en septembre 1995, Mohamed Darham se résout à quitter le navire en perdition. Pour une histoire de fric, qui l’aurait opposé à un autre membre du groupe, murmure-t-on.
Serait-ce la déroute finale ? Que nenni ! Quelque temps plus tard, Mahmoud Saâdi et Moulay Abdelaziz Tahiri débarquent avec fracas. Ils entendent prendre les choses en main. Ils commencent par donner un bon coup de balai : Mustapha Baqbou et Hassan Meftah sont vivement éconduits, Sakina est reconduite, un jeune lauréat du Conservatoire de Casablanca, Saïd Adraoui, est invité à faire ses premières gammes. Six mois plus tard, un album dûment mijoté, « Addami wa Rami », voit je jour. Il passe cruellement inaperçu. Vexés, Saâdi, ensuite Tahiri, reprennent leurs cliques et leurs claques. Le groupe est défait. Mais il n’est pas dissous. Moulay Tahar Al Asbahani, qui en tient désormais les commandes, rameute Baqbou et Meftah, afin de le recomposer. Décidément, Jil Jilala ont le don prodigieux de renaître de leurs cendres, au grand bonheur des nostalgiques du temps des fleurs. Et pour que le bon grain ne meure.
Source : la vie economique
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