C’est désormais une habitude, le cinéma marocain prend une fois encore ses quartiers dans ce qui reste l’un des plus prestigieux festivals cinématographiques au monde, celui de Cannes. La démarche avait été remise au goût du jour en 2003 déjà avec la sélection de deux jolis opus, « Les yeux secs » de Narjiss Nejjar (actuellement en tournage de son petit dernier) et « Mille mois » de Faouzi Bensaïdi (dont on n’a aucune nouvelle), et s’était poursuivie l’année d’après avec l’excellentissime « A Casablanca, les anges ne volent pas » de Mohamed Asli, probablement le plus beau film marocain de ces deux dernières années. Heureuse nouvelle, et bien plus encore au vu des sélectionnés qui seront donnés à voir dans cette manifestation qui compte la présence de 25 000 journalistes au bas mot, et une bonne palanquée de professionnels du septième art qui auront toute la latitude de constater que notre cinéma ne se résume plus à quelques daubes qui envahissent de manière sporadique et sans vergogne les salles obscures du Royaume. Les films donc : on en retiendra trois en particulier, disséminés dans deux sections parallèles, « Tous les cinémas du monde » ou la journée consacrée eu Maroc et « Un certain regard », qui comptera cette année des pointures du calibre de François Ozon (Le temps qui reste), Pierre Jolivet (Zim and Co), David Jacobson (Down in the Valley), james March (The King) et bien d’autres encore.
Ferhati, Kessari, Marrakchi et consorts
Choisis pour figurer dans la première section citée, « Mémoire en détention » de Jilali Ferhati et « L’enfant endormi » de Yasmine Kessari. Le 1er comme son nom ne l’indique pas mais le laisse penser très fort, est consacré aux années de plomb, ou plus précisément à leurs corollaires. Sorti début 2005, il connut un succès mitigé en salles mais rencontra un grand succès critique. Succès mérité par ailleurs, tant Ferhati fit preuve ici de maîtrise et de perspicacité dans son double rôle de réalisateur et d’acteur, en campant le rôle d’un détenu politique devenu amnésique et qui part, en compagnie d’une petite frappe, à la recherche de soi et de son passé une fois relaxé. Visionnaire, Ferhati préféra faire l’impasse sur les affres même de la torture et les différentes formes qu’elle prit en ce temps-là, laissant Saâd Chraïbi et Hassan Benjelloun s’y coller avec « Jawhara » et « La chambre noire ».
« Mémoire en détention » s’attachera davantage à mettre le doigt sur les effets du déni de soi et de l’arbitraire, porté par une interprétation sans faille de l’interprète principal mais aussi de Fatéma Loukili et Mohamed Merouazi, comme à leur habitude, nickels. Un bien beau film qui ne connut pas la réussite qu’il aurait mérité. Mais qu’importe, un adage dit que l’histoire jugera et retiendra surtout qu’il proposa le meilleur traitement cinématographique des années de plomb.
Le second, « L’enfant endormi » de Yasmine Kessari est une co-production franco-belge encore inédite au Maroc, bien que très prometteuse. Titulaire de plusieurs prix dans moult festivals internationaux (notamment celui du meilleur long-métrage lors de la 21ème édition du festival Vues d’Afrique, à Montréal), le film traite des affres de l’immigration clandestine à travers l’histoire d’une jeune femme dont le mari quitte en loucedé le Maroc le lendemain des noces et qui, une fois enceinte, décide « d’endormir » le fœtus en attendant son retour. Sujet osé et peu, voire jamais, traité, il devrait faire le bonheur des spectateurs une fois programmé.
Le dernier et tout aussi inédit ici-bas, porte le titre évocateur de « Marock » et est signé Leïla Marrakchi. La jeune réalisatrice, surtout connue pour ses courts très bons, entame une prospection de la jeunesse marocaine en butte aux traditions et à la schizophrénie de son milieu. Et le résultat, paraît-il, serait à la mesure des attentes placées en elle. En attendant de le découvrir, il squatte « Un certain regard », qui ne manquera pas d’être séduit. Si le cinéma dans sa globalité au Maroc continue de traîner la patte, il semble connaître une bouffée d’air à l’étranger qui lui évite l’asphyxie. Pourvu que ça dure.
Amine Rahmouni - Le Journal Hebdo