Le Maroc s’inquiète pour ses émigrés

25 avril 2002 - 20h56 - France - Ecrit par :

Au Maroc, les réactions face à la percée de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle en France vont de l’indifférence à la consternation.
Pour l’homme de la rue, Jacques Chirac et Lionel Jospin, c’est copie conforme. A l’un et à l’autre, il reproche indifféremment d’apporter un trop grand soutien à Israël, au détriment de la cause palestinienne et de la sensibilité du monde arabo-musulman. L’éviction du candidat socialiste de la course à l’Elysée le laisse donc de marbre.

Si Jean-Marie Le Pen et son score inattendu provoquent l’inquiétude, c’est en raison de l’importance de la communauté marocaine installée en France (500 000 personnes environ). Le "délit de sale gueule" va-t-il se généraliser outre-Méditerranée ? Après avoir été rendus responsables de l’insécurité dans les banlieues, les expatriés vont-ils devoir faire leurs valises, privant ainsi leurs familles et l’Etat marocain de leurs devises, indispensables à l’économie du pays ? Beaucoup se posent ces questions avec une certaine anxiété... sans renoncer pour autant à réclamer des visas !

DÉRIVE DROITIÈRE

Cette poussée xénophobe, l’élite marocaine ne la craint pas. Bien au fait de la vie politique française, à la fois par formation et par l’écoute assidue des chaînes de télévision par satellite, les intellectuels ont d’emblée interprété la victoire de Jean-Marie Le Pen comme la conséquence d’un vote-sanction ou d’une grave légèreté. Ce qui les préoccupe cependant, c’est de constater que cette dérive droitière se traduit à l’échelle européenne. S’agit-il d’un état d’esprit destiné à s’installer durablement au sein de l’UE, se demandent les uns et les autres, avant de comparer, dans certains cas, cette montée de l’extrême droite à celle d’Adolf Hitler au début du siècle dernier.

Pour leur part, les internautes marocains qui ont visité le site de Jean-Marie Le Pen s’émeuvent d’y trouver une photo du chef du Front national en train de deviser aimablement avec... Hassan II. Pour eux, il est scandaleux que M. Le Pen "utilise cette image pour se valoriser et gommer ses positions racistes".

Si, dans la classe politique marocaine, peu de hauts responsables ont choisi jusque-là de commenter publiquement le "cataclysme" survenu en France, la gauche ne cherche pas à masquer sa "consternation" devant l’éviction de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen. C’est ainsi qu’Ahmed Lahlimi, ministre des affaires générales, proche du premier ministre socialiste, Abderrahmane Youssoufi, s’est dit choqué par la victoire du leader d’extrême droite. "Les amis de la France ont aussi ressenti ce choc, a-t-il déclaré. Cela aidera le peuple français à se mobiliser derrière les valeurs qu’il a toujours soutenues, de tolérance et de respect des droits de l’homme."

"DUCE FRANCE"

Khalid Alioua, membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), tente de trouver du réconfort dans le fait que le Maroc "a la chance d’entretenir de bonnes relations aussi bien avec la droite qu’avec la gauche françaises". Mais, comme certains de ses compatriotes, il craint les semaines à venir. Quelle sera la composition de la prochaine Assemblée nationale française ? La France sera-t-elle gouvernable ? Le pire, pour Khalid Alioua, a-t-il expliqué, mardi, dans les colonnes du quotidien L’Economiste, serait qu’après les élections législatives de juin, en France, Jean-Marie Le Pen "puisse constituer un grand groupe parlementaire, ce qui lui permettrait d’intégrer le processus de légifération. Ceci menacerait nos intérêts marocains, mais aussi ceux de notre communauté en France".

Tandis que la presse marocaine interprète la montée de l’extrême droite française comme une véritable "défaite de la démocratie" et ironise sur la "Duce France", certains tentent déjà de tirer les enseignements de ce "séisme" pour mieux en protéger le Maroc. A cinq mois des élections législatives marocaines, les interrogations affluent : la classe politique marocaine n’est-elle pas trop éloignée de son électorat ? Les socialistes marocains pourraient-ils connaître, en septembre prochain, le sort de leurs amis français ? Quels effets pervers le scrutin de liste, amené à remplacer le scrutin uninominal à un tour, risque-t-il d’avoir au Maroc ? Et surtout, surtout, comment prévenir le fléau de l’abstentionnisme, qui fait le jeu de tous les extrémismes ?

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Racisme - Elections - Immigration - Ahmed Lahlimi Alami

Ces articles devraient vous intéresser :

Racisme envers les musulmans : de nouveaux témoignages accablent Christophe Galtier

L’ex-entraîneur de l’OGC Nice, Christophe Galtier, fait face à de graves accusations de discrimination et de harcèlement moral, avec un procès prévu dans dix jours.

Haine envers les Marocains : prison ferme prononcée par la justice

Le parquet de Valence spécialisé dans les délits de haine a requis trois ans de détention contre un homme accusé de diffusion d’informations mensongères sur les réseaux sociaux ciblant les musulmans, notamment Marocains.

Ouverture exceptionnelle de la frontière entre le Maroc et l’Algérie

La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.

Un Marocain tabassé par des videurs dans le nord de l’Espagne

Un jeune homme de 23 ans, médiateur culturel d’origine marocaine résidant à la Corogne, dans le nord-ouest de l’Espagne, a porté plainte, affirmant avoir été victime d’une agression racistede la part de deux videurs.

Poupette Kenza : compte Instagram désactivé après des propos « antisémites »

L’influenceuse aux plus d’un million d’abonnés sur Instagram, Poupette Kenza, se retrouve au cœur d’une vive controverse après avoir tenu des propos jugés antisémites. Dans une story publiée le 15 mai 2024, elle affirmait sans équivoque son soutien à...

Agression de MRE en Europe : le parlement marocain interpellé

Un parlementaire du parti de l’Istiqlal vient d’appeler Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération africaine, à agir pour combattre les attaques racistes répétées ciblant les Marocains résidant à l’étranger (MRE).

Violences policières : la France sermonnée par l’ONU

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, l’organe affilié aux Nations unies, exprimé sa « profonde préoccupation » concernant les pratiques des forces de police en France vis-à-vis des minorités. Cette inquiétude fait suite au décès...

Iliass Aouani, recordman italien du marathon, répond avec élégance aux injures racistes

Après avoir battu le record italien du marathon (2h07:16), Iliass Aouani a essuyé des insultes racistes. Sur la toile, il a été attaqué notamment sur ses origines marocaines. Plutôt que d’employer le même ton que ses détracteurs, l’athlète a préféré...

Combien de Marocains ont émigré à l’étranger cette année ?

À fin septembre dernier, plus de 26 000 Marocains ont émigré à l’étranger pour s’y installer et travailler, d’après le ministère chargé de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences.

Christophe Galtier : garde à vue pour discrimination raciale

L’ex-entraîneur de l’OGC Nice, Christophe Galtier, ainsi que son fils, John Valovic-Galtier, ont été placés en garde à vue ce vendredi dans le cadre d’une enquête portant sur des allégations de discrimination au sein du club.