Laila Lalami : Une voix marocaine en Oregon

31 octobre 2005 - 12h02 - Culture - Ecrit par : Bladi.net

Une plume intarissable, un charisme délicat, un blog à succès et un roman achevé. Laila Lalami, installée à Portland, est la première Marocaine à imposer son style dans l’univers intellectuel américain.

"Je me suis réveillée à cinq heures et demi". La voix douce, teintée d’un imperceptible accent anglais, se veut rassurante : non, l’interview n’est pas trop matinale. On est à Portland, Oregon, côte ouest des états-Unis. En pleine promotion pour son premier roman*, dont la sortie est imminente dans les librairies américaines, Laila Lalami a
pris un dernier s’hour à la maison avant d’entamer, dès demain, une vraie tournée de ministre : Seattle, Los Angeles, San Francisco, New York.

L’écrivain s’envole pour y parler de son livre, Hope and other dangerous pursuits. Cette fiction intimiste parle de Mourad, Faten, Rahal et Aziz, quatre Marocains en désespoir qui hreg à bord du même rafiot par-delà Gibraltar. Probablement encouragés par la critique - laudative - du milieu professionnel, les magazines au papier glacé font désormais la queue, de People à Elle en passant par le rouleau compresseur USA Today, pour inscrire Laila Lalami sur leurs colonnes.

Moorish voice

à trente-sept ans, Laila n’est pas seulement le premier écrivain marocain à publier un roman chez une grande maison d’édition aux états-Unis. Son blog www.moorishgirl.com, créé en octobre 2001, est en passe de devenir une petite institution dans le milieu intellectuel américain. “Au lendemain du 11 septembre, j’ai ressenti le besoin d’avoir une tribune libre, indépendante de tout journal, pour m’exprimer face à ce qui se passe”. Même si le blog demeure avant tout littéraire. Moorishgirl, prolixe alter ego de Laila, nommée en clin d’œil à ses origines et à l’art arabo-andalou qu’elle admire, dévore les livres, reçoit leurs auteurs, épluche les articles, ausculte l’actualité littéraire et réagit, avec authenticité, à l’actualité tout court, notamment marocaine : L’mrabet, la Moudawana, Nadia Yassine, jusqu’au récent drame de Sebta et Melilla. “C’est ironique que le Maroc ait maintenant son propre problème d’immigration, mais celle-ci fait partie de notre histoire”, relève-t-elle. Ses 8.000 visiteurs quotidiens sont étudiants d’Amérique ou d’ailleurs, férus de lecture, membres de maisons d’édition new-yorkaises ou journalistes des médias les plus en vue.

Certains d’entre eux, alertés par son talent, lui donnent même du pain sur la planche. Ce matin d’octobre, Laila doit par exemple s’atteler à un essai de mille mots sur la biographie qu’elle vient de lire pour le prestigieux Boston Globe. Le mois dernier, elle interviewait l’écrivain iranien Salman Rushdie pour The Oregonian. Le Los Angeles Times publie régulièrement ses critiques. Nulle surprise que son agenda soit noirci de haut en bas, et ses journées structurées avec la précision d’un horloger.
D’habitude - quand elle n’est pas en promotion - Laila se réveille d’un café avant de déposer sa fille de deux ans à la garderie, pour ensuite sauter sur la tonne d’e-mails qui l’attendent : lecteurs, agent, éditeurs. Mais surtout, avant son check-up quotidien de Moorishgirl, l’écrivain doit trouver le temps d’écrire, écrire, écrire. Six ou sept heures par jour, l’après-midi de préférence, “pendant que la petite fait sa sieste”. à défaut de pouvoir la rencontrer, on l’imagine aisément, dans sa maison de Portland, vêtue d’un jean et d’un pull, regardant la pluie tomber tout en réfléchissant au chapitre qu’elle va entamer. Car Laila est déjà sur un nouveau roman, basé entre les états-Unis et le Maroc. Pour se plonger dans l’ambiance des années qu’elle dépeint, elle écoute Depeche Mode et “découvre” le raï qu’elle snobait un peu avant, pendant ses années marocaines.

Enfant du pays

Car - on l’oublierait presque - Laila est d’abord une enfant du pays. Une R’batia du quartier Océan, élève de l’école Sainte Marguerite Marie, puis du lycée Dar Salam, puis étudiante à la fac de lettres de la capitale, avant d’aller suivre un Master de linguistique à l’University College of London grâce à une bourse du British Council. Qui, du hasard ou du destin, a le plus joué sur la trajectoire de l’auteur en devenir ? Difficile à dire. “Je voyais toujours mes parents un livre à la main, mais l’art littéraire n’était pas pour autant quelque chose de valorisé en termes d’avenir. J’ai d’ailleurs fait un bac scientifique”. Son père, ingénieur, la voyait en fac de médecine.
Qui eût cru qu’un retard d’inscription en déciderait autrement ? Acte manqué ou pas, la jeune Laila n’en a que mieux pu suivre sa vocation. Petite, elle alterne BD et romans policiers, puis découvre les auteurs marocains, Choukri lui laissant l’emprunte la plus indélébile. Plus tard vient la littérature étrangère, et Laila s’immerge progressivement dans la langue de Shakespeare, qu’elle maîtrise aujourd’hui avec un style parfait. Après Londres, la jeune femme de vingt-quatre ans revient au pays et écrit, pendant un an, dans les pages d’Al Bayane, mais ne tarde pas à s’envoler pour les états-Unis, qu’elle n’a plus quittés depuis. Arrivée le 17 août 1992 à Los Angeles avec 2.000 dollars cousus dans les épaulettes de ses quelques vestes (pour contourner la législation marocaine sur l’exportation de devises étrangères), Laila suit un doctorat d’état en linguistique à l’Université de South California. Elle pense rentrer au Maroc pour rédiger son mémoire, puis rencontre l’homme de sa vie, l’épouse, et pose définitivement ses valises outre-Atlantique.

À place to call home

De L.A, ville d’immigration pour près de la moitié de sa population, l’arrivante marocaine garde un souvenir chaleureux. Le jour, Laila travaille comme linguiste pour un programme informatique ; le soir, elle écrit, encore et toujours. Mais ce n’est qu’à la fin des années 90 qu’elle décide de prendre la chose à bras le corps, laissant son job pour se consacrer à sa passion. D’où Portland, ville “provinciale” tranquille de un million et demi d’habitants, entourée de verdure et à quelques heures seulement en voiture de sa librairie préférée, la Elliott Bay Book Company, à Seattle. Loin des bourdonnements du petit monde littéraire new-yorkais, cœur de l’industrie du publishing nationale où il paraît si facile “se détourner du plus important : écrire”. La preuve par l’exemple : dès 2003, sa nouvelle El Dorado, introduction de son futur Hope... reçoit le prix littéraire du British Council.

Derrière tout ça, Laila est bien dans ses baskets comme dans son pays d’adoption. Lorsqu’elle reçoit la nationalité américaine, c’est avec la ferme intention d’en assumer la responsabilité. “J’étais l’unique personne à ma connaissance qui voulait être convoquée pour le devoir civique”, confie-t-elle sur Moorishgirl. Celle qui n’a jamais voté quant elle habitait au Maroc - trop jeune à l’époque, mais non moins consciente de l’incurie du système - attend le 7 novembre 2000 de pied ferme. Ce jour-là, Laila fait partie du contingent de démocrates censés barrer la route à Bush Junior. L’enthousiasme de déposer son premier bulletin de vote en tant que citoyenne américaine est à la mesure de la frustration qui suivra, quand la Cour Suprême interrompt le décompte des voix de Floride. Quatre ans plus tard, à coups d’e-mails, de conversations enlevées, de billets littéraires et de billets tout court, Moorishgirl s’escrime à décrédibiliser le président sortant. La suite est connue.
Mais si son blog n’a pu empêcher le syndrome Bush II, il aura certainement contribué à booster son roman. Et à faire parler d’un drame qui la travaille. “Il n’y a pas assez de voix marocaines dans ce pays”, résume-t-elle avant de retourner à son quotidien, l’écriture, sa vie. Car son espoir à elle est une poursuite vertueuse.

Cerise Maréchaud - Tel Quel

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