Gnawa Diffusion, des vrais diables de scène

8 août 2007 - 00h36 - Culture - Ecrit par : L.A

Revendicatifs, ironiques et réalistes, les Grenoblois cultivent une fusion musicale exceptionnelle unissant dans la musique les couleurs, les idées et les cultures. Mélange de musiques traditionnelles du Maghreb, de raga, punk, rock, chaâbi et gnawa, sur des textes ironiques et critiques.

Le tout est porté très loin par le chanteur Amazigh Kateb, fils de Kateb Yacine, le grand écrivain algérien et l’un des classiques de la littérature maghrébine francophone.

C’est un beau jeune homme, au regard aigu et aux cheveux longs. Il se dégage de lui comme une grâce un peu altière qui a de lointains rapports avec l’humilité des gens du désert. Et lorsqu’il s’empare de son guembri, Amazigh se transforme en diable de scène, entraîne avec les Gnawa Diffusion son public dans un tourbillon musical dont on ne sort pas indemne.

Le groupe vient de sortir au courant de l’année 2007 un DVD live. Une trace supplémentaire comme en témoigne son leader.« C’est bien pour se faire connaître, mais c’est bien aussi pour les gens qui nous connaissent. Dans ce DVD, il y a des choses qu’on a tournées en Algérie, sur la route, peut-être aussi des images du Moyen-Orient. Et peut-être qu’il y aura des gens qui auront envie de monter la pièce même le jour où on n’existera plus », explique Amazigh Kateb leader de Gnawa Diffusion qui sortira un nouvel album au début de l’année 2008.

Pour Amazigh, le choix de la musique gnawa n’est pas seulement un choix vis-à-vis de l’Algérie. « Le carcan algérien est trop étroit pour dire ce que nous sommes et ce que nous voudrions être, c’est sur un socle africain qu’il faut bâtir. Les Maghrébins ont été blanchis par un tas d’invasions. Mais, on doit reconnaître que nos ancêtres étaient des esclavagistes. C’est un juste retour des choses de dire que mon ancêtre a été esclavagiste et que moi, son descendant, je joue de l’instrument de l’esclave. C’est à la fois une démarche algérienne et une démarche d’immigré aussi, une démarche de déporté. »

Les Gnawa Diffusion sont un grand groupe. Parti d’un tremplin rock de la région de Grenoble en 1992, ils font aujourd’hui se lever des salles entières de 8.000 à 10.000 personnes et leur tournée de 1999 les a emmenés au Proche-Orient, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas... Leur public, à la fois métissé et enthousiaste, ne se demande même pas s’il écoute ou non de la world music et qui se reconnaît immédiatement dans la musique et les textes des Gnawa Diffusion. Les paroles sont un des points forts des Gnawas. Elles sont soit ironiques et sensuelles « Je voudrais être un fauteuil/ Dans un salon de coiffure pour dames/ Pour que les fesses des belles âmes/ S’écrasent contre mon orgueil » ou carrément politiques "Car sur ma terre natale se bâtissent de nombreux édi-FIS/ Les minarets culminent et les écoles rétrécissent/ FLN père et FIS nous mènent au sacrifice ». Il est logique que les textes soient au centre de la démarche des Gnawa Diffusion. « Nos textes parlent d’africanité, d’esclavage : ce qu’est l’esclavage d’aujourd’hui et ce qu’a été l’esclavage d’hier et en quoi c’est important de reconnaître l’esclavage d’hier pour pouvoir s’affranchir aujourd’hui et être de vrais hommes libres, pas dans la négation de notre histoire », souligne Amazigh dont le prénom signifie "Homme libre" en berbère.

D’abord, c’est une vraie bête de scène, à la présence charismatique et dont l’énergie semble inépuisable et il le sait. Et il en abuse parfois. Mais, surtout, c’est un garçon qui a des choses à dire, qui a trouvé son cap et qui sait le tenir. « Quand j’entends Sarkozy parler de tolérance et de métissage, je n’ai plus envie d’utiliser ces mots. J’ai juste envie de parler de musique et même "musiques du monde", ça commence à me gêner, ça devient un créneau tellement commercial que je préfère parler de musique actuelle », ajoute-t-il.

Pourtant, il n’est même pas sûr que les Gnawas aient un plan de carrière. Disons plutôt qu’ils avancent de plus en plus vite et de plus en plus loin, entraînant avec eux un public chaque jour plus nombreux. « Heureusement qu’il y a le public. Je fais bien la différence entre Gnawa Diffusion sur scène et Gnawa Diffusion en disque. C’est grâce aux gens qui viennent nous voir en concert qu’on existe. Du point de vue des ventes, j’ai l’impression que Gnawa n’a pas sa place dans le marché actuel mais le groupe a sa place auprès de son public et c’est la chose dont je suis le plus fier. Cette musique parle à des gens. Par exemple en Algérie, je sais qu’on a vendu des millions d’albums piratés certes, l’argent n’est pas rentré dans nos poches et tant mieux », remarque-t-il.

Loin de la démagogie ambiante, dénonçant les magouilles et les manipulations, les Gnawa Diffusion séduisent surtout par l’authenticité de leur démarche. A titre d’exemple, sur leur CD "Algéria", les paroles de la première chanson ne sont volontairement pas traduites et remplacées par le texte suivant : "Algéria : ce texte n’est pas traduit parce que la situation en Algérie est intraduisible et ne se brosse pas en une chanson ou en un disque. Il faut considérer les chansons qui en parlent dans cet album comme faisant partie d’une grande famille discrète d’alternatives algériennes et non algériennes. En Algérie, l’encens brûle et on sacrifie les petites filles. C’est le nouveau cérémonial que nous imposent les sorciers aux bras longs. Qui ne retiennent de la magie que le noir ».

Libération - Ayoub Akil

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