L’interdiction du port du hijab lors des compétitions de football féminin, qui est en vigueur depuis 2016, a été confirmée par le Conseil d’État jeudi.
Le Centre d’art juif de l’Université hébraïque de Jérusalem mène à l’étranger des enquêtes systématiques sur l’histoire, la culture matérielle, les lieux de culte et les cimetières des communautés juives de diaspora. L’une de ces enquêtes a conduit au Maroc une équipe de chercheurs dirigée par l’auteur de cet article, le Dr Ariella Amar.
On ne peut parler du Maroc, investiguer les us et coutumes d’une communauté qui a quitté en masse ce pays pour Israël, sans faire référence à l’un des phénomènes les plus spécifiques de ce pays : le culte des saints. Un culte, partagé du reste, encore que pour des raisons différentes, par les musulmans. C’est que les homélies prononcées à la synagogue par les dirigeants spirituels du judaïsme marocain exerçaient une influence considérable sur leur auditoire. Le fait que les juifs du Maroc restent, de nos jours encore, attachés aux pélerinages sur les tombes de saints, est à relier aux prédications des rabbins : le sage est considéré comme le « fondement du monde », il prononce sa sentence et Dieu l’applique. Cette conviction fondamentale – profondément ancrée dans le culte et dans le folklore juif marocain, – sous-tend la croyance en l’intercession du saint en retour de la conduite irréprochable de celui qui la requiert. Ce sont les rabbins du Maroc qui, dans leurs prêches, ont insufflé ces principes à leurs contemporains et aux générations futures : mélange de compréhension pour les besoins d’autrui et de vertus juives de charité, d’espoir en la rédemption et d’amour du prochain.
À Ouezzane, localité qui ne recense plus de juifs à l’heure actuelle, Hassan, gardien musulman du cimetière, a entonné pour nous en hébreu toutes les mélopées des Ziaras – les chants du pèlerinage rituel sur le tombeau du saint local, Amram ben Diwan. À proximité de cette sépulture – amas de pierres surmonté d’un arbre centenaire – s’élève une synagogue dont les murs sont ornés de portraits de saints, à côté de ceux du roi et du prince héritier du Maroc. Le gardien, qui ne manque pas à ses devoirs et les accomplit avec une conviction qu’il partage manifestement, n’oublie jamais de donner aux visiteurs des bougies à allumer sur le tombeau en formulant leurs souhaits, toujours réalisés comme il se doit. À Ouezzane comme ailleurs, le visiteur juif est tout droit expédié sur la tombe du saint du coin, pour ne rien perdre des avantages spirituels et matériels tangibles que ne manquera pas de procurer la visite. La synagogue du cimetière de Ouezzane n’est pas une exception dans le paysage juif marocain, chaque tombe de saint connu et reconnu ayant inspiré l’édification d’un lieu de culte à sa proximité immédiate.
Marrakech, place Jemaa el-Fna. Une affluence de marchands venus des montagnes environnantes, de conteurs, de bateleurs, de musiciens, de diseurs de bonne aventure et de charmeurs de serpents attire une foule plus grande et plus bigarrée encore de curieux, autochtones ou étrangers. Les costumes varient : les hommes sont vêtus traditionnellement ou à la mode occidentale, les femmes portent souvent voile et haïk ou caftan, mais souvent aussi arborent pantalon et visage découvert. La couleur dominante est l’ocre rougeâtre des bâtisses, sur fond d’Atlas enneigé. Le Maroc, c’est la rencontre entre les cultures, berbère, arabe, espagnole, portugaise et française.
Le quartier juif de Marrakech n’est pas loin. La facture primitive des maisons de l’endroit a déteint sur celle du Mellah : murs d’argile rouge, quelque peu irréguliers, qui laissent au visiteur une impression d’inachevé semblable à celle retirée de ces masures bâties à flanc de coteau qui se confondent avec le paysage du sud marocain. Les maisons, les synagogues des communautés juives désormais disparues de l’Atlas sont encore plus frustes que celles de Marrakech. Le mellah a été déserté par les quelques familles juives qui demeurent encore dans la ville.
La plupart des synagogues de Marrakech se trouvent au mellah, occupé par des musulmans à l’heure actuelle. L’une d’elles est la synagogue « Neguidim », érigée à la fin du siècle dernier et dont le plafond est percé d’une lucarne, seule source de lumière. Elle comporte trois pièces de petites dimensions. On pénètre par une porte anonyme dans une entrée obscure menant directement à la pièce rectangulaire réservée aux femmes. En enfilade, la synagogue à proprement parler, de dimensions fort modestes. Sur le mur de Sion se trouve un tabernacle de facture dépouillée tandis que l’arche est placée contre la paroi occidentale de la pièce. Le long des parois, des bancs de terre rouge sont recouverts de textiles de couleur et de petits coussins. Au centre de la synagogue, entre le tabernacle et l’arche se trouve une rangée de sièges en bois.
L’autre synagogue du mellah, « Alzama », date du début de ce siècle. Elle a pour particularité de faire partie d’une série de bâtiments érigés autour d’une cour centrale, de belles dimensions et soigneusement entretenue. Ce n’est que récemment que sa paroi orientale a été garnie d’une galerie (ezrat nachim) pour les femmes – innovation au Maroc où les femmes se tenaient soit à l’entrée de la synagogue soit dans une pièce séparée – et que l’arche de bois, mobile au départ, a cédé la place à une arche de marbre située à proximité du mur oriental. Le plan de cette synagogue, dressé dans les années cinquante par l’architecte Yaacov Finkerfeld, témoigne que la galerie pour les femmes n’existait pas à l’époque et que l’espace était divisé en deux nefs par quatre colonnades. Les murs sont peints et il se dégage de l’ensemble une impression nettement moins intime qu’à la synagogue Neguidim. À l’étage au-dessus de la synagogue Alzama se trouvent une yechiva, une soupe populaire et les services communautaires.
La légende locale raconte que cette synagogue fut construite à l’époque du Deuxième Temple par des juifs qui n’avaient jamais vécu en terre d’Israël, n’avaient pas été témoins de la destruction du Temple et n’étaient pas tenus par le même rituel et par les mêmes contraintes que leurs coreligionnaires : ainsi consommaient-ils de la viande pendant la période de deuil qui s’étend entre le 17 du mois de tammouz et le 9 du mois de av (jour de la destruction du Temple).
La documentation sur les synagogues et les objets de culte de Marrakech s’est inscrite dans le vaste projet d’enquête mené à deux reprises par le Centre d’art juif de l’Université hébraïque de Jérusalem, et que j’ai eu le privilège de diriger. Vu le nombre impressionnant des synagogues marocaines, notre choix s’est porté dans un premier temps sur les lieux de prière encore actifs en semaine, voire pour le chabbat et les fêtes uniquement. L’objectif de ces enquêtes – pour les chercheurs comme pour les étudiants – est de pérenniser le patrimoine culturel, liturgique et matériel des communautés juives dans leur diversité. La documentation implique la description et le tracé à l’échelle de toutes les synagogues et de tous les objets de culte, l’étude de leurs ornementations, le déchiffrage des inscriptions et des paraphes, les dimensions exactes et l’identification des techniques de fabrication des objets rituels ; le tout dûment photographié par un photographe professionnel. L’information recueillie – assortie des clichés – est alors traitée et saisie dans l’Index de l’art juif, véritable réservoir de thèmes de recherche pour les chercheurs et les enseignants des universités et des lycées, comme pour le grand public.
Le mellah de Marrakech n’est qu’un exemple de quartier juif investigué au Maroc. La facture des synagogues ne diffère guère toutefois d’une ville à l’autre : elles sont quasiment toutes situées dans de petites impasses et leur porte d’entrée ne porte rien qui indique un lieu de prière, même quand, à l’arrière de cette porte, se déploie une synagogue vaste et somptueuse.
Le mellah le plus important du Maroc est celui de Fès, qui fut d’ailleurs le premier quartier juif séparé de l’histoire du Maroc et date de 1438. A cette époque de fanatisme encouragé par la dynastie des Almohades, le sultan, désireux de protéger les populations juives de la ville, fit construire pour elles un quartier réservé à Fès el-Jedid à proximité du palais royal. L’origine du mot mellah n’est pas claire : l’emplacement du mellah aurait été localisé sur une terre « salée », donc incultivable. Selon une autre interprétation, plus plausible apparemment, les juifs étaient chargés de la tâche peu ragoutante de saler les têtes coupées des contestataires et autres révoltés contre le régime en place avant qu’elles ne soient exposées sur la place du marché... Quelle que soit l’origine de ce toponyme, il s’étendit rapidement à tous les quartiers juifs des villes du Maroc.
Fès el-Bali ( « l’ancien ») possédait aussi son quartier juif, le premier qui fut octroyé aux juifs par le fondateur de la ville Idriss II au IXe siècle. Nous ne possédons aucune information sur les maisons ni sur les synagogues de ce quartier. Seule une légende raconte que Maïmonide y résida dans la deuxième moitié du XIIe siècle.
La documentation entreprise au Maroc nous a révélé une diversité et une richesse dans la facture des objets de culte que toutes les enquêtes antérieures sur la communauté d’origine marocaine en Israël n’avaient pas décelées. Il faut dire que la grande vague d’immigration des années cinquante s’est faite dans la précipitation et que les juifs marocains ne se sont pas souciés d’apporter avec eux dans leur nouvelle patrie les objets de culte auxquels ils étaient restés attachés pendant de longs siècles. Et le peu qui fut amené en Israël fut vite remplacé par des objets modernes de fabrication israélienne.
Notre enquête au Maroc nous a permis de mesurer les influences – islamiques, berbères, espagnoles et européennes – exercées sur la conception et sur la décoration des synagogues et des objets de culte des juifs marocains. La version israélienne de la synagogue marocaine consiste en un amalgame des diverses traditions régionales, au point qu’il est malaisé en Israël d’en extraire les caractéristiques propres aux différentes régions où vivaient des juifs. Il est intéressant de constater un phénomène semblable dans la grande métropole marocaine de Casablanca dont la communauté juive est formée de membres d’origines géographiques diverses installés dans la ville au début du XXe siècle. La fusion entre les diverses traditions iconographiques s’est opérée de façon systématique et il est impossible de trouver à Casablanca une synagogue authentiquement révélatrice des traditions propres à une région particulière.
Nous sommes parvenus à la conclusion que les traditions architecturales et stylistiques des synagogues marocaines (et des objets de culte) peuvent être classées en trois grandes catégories géographiques : le nord, le centre et le sud.
La simplicité caractéristique des synagogues de Marrakech et du sud marocain est à l’opposé du luxe et de la taille impressionnante de celles du nord du Maroc, de Tanger en particulier. À Tanger aussi, les synagogues étaient localisées au mellah et datent pour la plupart de la deuxième moitié du XIXe. Elles étaient géographiquement concentrées dans une seule et même rue, la rue des Synagogues, récemment devenue « rue de la Synagogue » puisqu’une seule d’entre elles reste ouverte. On y pénètre par une petite porte discrète donnant sur une étroite venelle qui ne laisse rien soupçonner de la taille impressionnante de la synagogue. Comme la plupart des synagogues tangéroises, elle est de plan rectangulaire divisé par des colonnades en trois nefs. L’arche, sur le mur oriental, est surmontée d’une peinture murale des tables de la Loi et d’une couronne, selon un modèle fort similaire à celui des inscriptions des synagogues de Gibraltar. Un grand tabernacle en bois ouvragé se dresse à proximité de la paroi orientale. Seule exception à ce modèle tangérois : la synagogue Nahon dont le pupitre pour la lecture de la Torah (tevah) est placé au centre du mur méridional. Les murs sont peints de façon uniforme en bleu ciel ou en jaune et des versets de la Bible évoquant le nom du donateur de la synagogue sont inscrits sur les murs. C’est le cas à la synagogue Assayag, connue sous le nom de « Massat Moshé », au nom de Moïse Azencot qui en fut le fondateur et entra après sa mort dans la nomenclature des saints locaux. La galerie pour les femmes, à l’étage, s’étend sur les parois nord, est et sud de la synagogue. Elle donne sur une terrasse où est érigée la sukka de la fête des Tabernacles (Sukkot). La lumière du jour entre par la verrière carrée du plafond et par les fenêtres de la galerie supérieure.
Dans les villes à forte concentration juive du centre du pays – Fès et Meknès – la superficie des synagogues est nettement inférieure, mais ces dernières témoignent d’une richesse d’ornementation très marquée par le style local. Ainsi de la synagogue « Em-Habanim » située au mellah de Fès, érigée en 1927 et transformée en 1932. De plan rectangulaire, elle comporte sur sa paroi orientale le pupitre. Son arche était apparemment mobile. Cette synagogue est occupée aujourd’hui par des familles musulmanes évacuées de logements insalubres.
La synagogue Sadoun de Fès, l’une des plus fastueuses que nous ayons vues au Maroc, est de facture très semblable à cette dernière. Les parois, entièrement recouvertes de stuc, sont surmontées de fenêtres aux carreaux de couleur. L’influence de l’art musulman local est manifeste, en effet les mosquées, les édifices publics comme les palais et les maisons de Fès sont décorés de plaques de stuc ciselé et de zelliges (carreaux de faïence) aux motifs et au style andalous. On les retrouvera, dans une version simplifiée, dans la seule synagogue demeurée à Sefrou, localité qui recensait une importante et dynamique communauté juive. L’une des synagogues les plus anciennes du Maroc est la synagogue « Aben Danan » de Fès, qui date du XVIIe siècle et n’est pas décorée de plaques de stuc ciselé. Sur sa paroi orientale se trouve un haut pupitre de bois placé à l’intérieur d’une paroi en bois ajouré. Selon la tradition locale, cette synagogue fut érigée par des juifs expulsés d’Espagne qui arrivèrent à Fès après 1492 et qui, face au refus des tochavim (juifs autochtones) de les laisser prier dans leurs synagogues se résolurent à en construire une pour leur propre usage....
La distinction régionale manifeste dans l’architecture comme dans la décoration des synagogues l’est également dans la facture des objets de culte. Ainsi, par exemple, au nord du Maroc, enveloppait-on les rouleaux de la Loi dans un couvre-Torah de velours en forme de trapèze richement brodé aux fils d’or par des brodeurs professionnels, appelée mappa. En revanche dans le centre du Maroc, les rouleaux étaient protégés par un me’il, étui cylindrique rigide recouvert de velours richement brodé aux fils d’or mais dont les motifs diffèrent de ceux des régions septentrionales. Ce me’il était placé par dessus un autre étui en simple étoffe non brodée. La communauté juive de Fès avait cette particularité de placer les rouleaux de la Torah dans deux housses avant de les introduire dans le couvre-Torah. Au sud du Maroc, le couvre-Torah est simple, fabriqué à partir de tissus sans prétention, et dépourvu de broderies. Les rouleaux de la Loi sont entourés d’un cordon tressé appelé hemla. Ce cordon est utilisé quotidiennement dans le sud pour encercler l’étui de la Torah, mais sert aussi, dans les synagogues comme dans les maisons privées de talisman contre les mauvais génies.
La facture des rimonim (ornements d’orfèvrerie surmontant les rouleaux de la Torah) , appelés du reste tappuhim (littéralement « pommes ») au Maroc, diverge également d’une région à l’autre. Au nord, ils se présentent le plus souvent sous forme de tourelles. Au centre, on en trouve en forme de tourelles comme en forme de motifs plats en cuivre ciselé, notamment ceux, particulièrement beaux, agrémentés d’émail polychrome qui n’existent que dans cette région. Au sud, ces ornements, de forme hexagonale mais plus courts que ceux du nord, sont faits d’un métal argenté de qualité inférieure et sont décorés de motifs floraux beaucoup plus simples.
Une caractéristique commune à toutes les synagogues du Maroc est la présence abondante de qendils (lampes à huile commémorant le souvenir de défunts) qui sont suspendues par des chaînes et retenues par un anneau d’argent ou de cuivre où est introduit un verre. Dans nombre d’entre elles les mèches ont été remplacées par des ampoules électriques qui restent allumées toute la journée et fournissent une source supplémentaire de lumière à la synagogue.
Découverte particulièrement intéressante de notre équipe dans les deux synagogues tangéroises : la présence d’une ketouba de Shavouot, dont le texte est en tout point semblable à celui du contrat de mariage avec cette différence qu’en l’occurrence le marié et la mariée sont Dieu et le peuple juif et les témoins Moïse et Aaron. Le texte usuel de la ketouba est assorti d’un poème liturgique de rabbi Israël Najjara, kabbaliste de Safed, sur l’union de Dieu et du peuple d’Israël.
L’enquête menée au Maroc nous a fait découvrir une culture matérielle et spirituelle insoupçonnée, qui exige des recherches plus avancées et plus systématiques sur le judaïsme marocain. Les pourparlers de paix nous en donnent désormais la possibilité. Ainsi de l’enquête menée par le Centre d’art juif en Tunisie. Parallèlement le Centre a procédé ces dernières années à la documentation des synagogues de la communauté juive originaire de Libye en Israël, qui s’est révélée particulièrement intéressante et exige de plus amples recherches pour dégager ses spécificités par rapport à l’art juif tunisien.
Source : http://www.israel-mfa.gov.il
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