Lui, cheveux noirs et teint hâlé. Fière, la tête haute et le sourire charmeur regarde droit l’objectif de la caméra. Il est marocain, elle est française. De cette union sont nés trois enfants : Sara, Maria et Sami, des prénoms qui prêtent à confusion. " Ma mère était très triste quand elle découvrit que mon fils ne s’appellerait pas Si Mohammed "
explique Ahmed, sourire aux lèvres. " Mais je ne pouvais pas exiger de ma femme une telle chose… toute notre vie nous avons essayé de trouver des compromis " continu d’argumenter ce cinquantenaire qui fait partie de ces nombreux marocains qui ont décidé de se lier à des étrangères afin de bénéficier d’une vie de couple disent-ils moins "contraignante".
Le choix d’un partenaire étranger repose sur une double fascination de l’autre : personne différente et culture différente : une sorte d’exotisme qui s’avère bénéfique mais parfois difficile à gérer. En effet, pour certains, la mixité loin d’être un handicap, devient dès lors une source de bonheur où le principal ingrédient est la tolérance : "Nous avons appris, mon mari et moi à cultiver notre différence pour nourrir notre amour. Nous essayons de trouver un terrain d’entente : il n’aime pas le couscous de ma mère, j’arbore la choucroute de belle-maman, mais ces différences ne nous posent pas de problèmes" explique Ahlam, une marocaine de 38 ans qui après avoir terminé ses études supérieures en France a décidé de se marier avec un Parisien.
"La semaine dernière alors que je me promenais avec une amie, un couple mixte qui passait devant nous l’a intrigué" crois-tu que ces gens sont heureux ?" m’a-t-elle demandé. Elle semblait oublier que j’en forme un", raconte Ahlam. Cette alliance est un choix qu’elle assume au-delà de toutes les contraintes et les obstacles qu’elle a franchit. "Je suis heureuse avec mon mari. Nous nous complétons dans notre différence".
Toute tentative de transvasement est vaine
Toutefois, cette expérience peut devenir un véritable enfer. Les différences cultivées par les uns, sont pour d’autres une véritable perte de repère : " Depuis mon retour au Maroc, je vis un véritable dédoublement de personnalité. D’un côté, je me sens français à côté de ma femme et de l’autre je retrouve mes racines dés que je suis avec ma famille ou mes amis. Mon comportement change selon chaque situation.
A la maison c’est fromage et endives pour le dîner, avec ma famille ou mes amis, c’est du méchoui, du thé à la menthe dégusté sur les rythmes enflammé des chikhates " précise Fouad. Marié depuis une dizaine d’années à Marie, il a décidé de regagner le territoire marocain le diplôme en poche. Fouad s’est retrouvé devant une toute autre réalité.
D’un côté sa famille n’a pas béni cette alliance, elle qui voulait le marier à une cousine de pure souche doukkali, et de l’autre côté sa femme qui est devenue de plus en plus exigeante ayant pris conscience de sa solitude dans un milieu trop "barbare" à son goût.
"Simple logique : les raisons de rester ensembles étaient plus nombreuses que celles de se séparer. Mais, parfois je me sens véritablement déchirée" explique Karine qui vit de son côté un véritable déchirement. Mariée depuis des années à Yasser, elle a enfin pris la décision de faire un enfant " je crois que c’est le seul bénéfice que je peux tirer de cette union qui est en chute libre. Mon mari s’est complètement transformé. Il était docile en France mais une fois au Maroc je découvre un véritable macho : il me trompe, refuse de m’intégrer dans son milieu amical, et sa famille ! …
"La famille des couples mixtes peut être la principale source de désaccords surtout quand il s’agit d’une marocaine qui épouse un étranger. Dans certains cas, le père refuse de lui donner son accord. Or, cette autorisation représente la pièce principale dans la procédure juridique. Ce refus pousse certaines promises à falsifier ce document."
Le problème se pose inéluctablement quand la fille ne réussit pas son mariage : elle se retrouve seule devant son échec, sa famille l’ayant complètement rejeté" explique Maître Abla Idrissi. "Quand j’ai présenté Karim alias Karl à mon père, j’ai eu droit à un refus parental des plus catégorique. Pourtant Karl d’origine allemande était devenu un musulman avant même notre rencontre. J’ai passé un an à supplier mon père pour qu’il accepte" Aujourd’hui Amina vit à Munich. Elle a deux enfants et porte le voile "c’est Karim qui m’a guidé dans les sanctuaires de la spiritualité…"
Dans un tout autre registre, Rabia raconte : "ma famille a exigé que je reste vierge jusqu’à mon départ aux USA chez mon mari. Ils croient que mon époux va m’abandonner une fois le mariage consommé, mais je suis passée à l’acte. D’ailleurs je ne le regrette pas. C’est mon mari. Les sacrifices dont il a fait preuve pour m’épouser me suffisent". Rabia a subit les affres de la procédure juridique nécessaire à l’obtention de l’acte de mariage. En effet, le mariage mixte fait partie de ces innombrables obstacles qui freinent les élans de la femme marocaine.
Autorisation parentale, enquête de police, conversion à l’Islam … que d’étapes à franchir avant de se voir accorder la mention "épouse d’un étranger". Le problème d’appartenance religieuse ne se pose pas
quand il s’agit d’un mariage entre une marocaine et un "Arabe". Mais, il cède la place à d’autres difficultés comme en témoigne Aïcha : "j’ai connu le cheikh Ahmed dans une soirée. Nous nous sommes mariés car j’ai refusé ses avances. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour découvrir que pour lui le mariage était juste un moyen pour obtenir mes faveurs. Il m’a offert une maison et une voiture. Ma famille de condition modeste était heureuse pour moi. Mais, quelques mois plus tard, Cheikh Ahmed a quitté sans prévenir le domicile conjugal. Disparu depuis un an, je n’ai même pas le moyen de le contacter, il m’a laissé seule devant mon désarroi : j’ai un enfant." Depuis, Aicha a fait appel à un avocat qui a contacté l’Ambassade du mari disparu. A ce jour, cette jeune mère n’a toujours aucune nouvelle.
Les enfants ... ces otages
Certains couples mixtes ne sont pas toujours une réussite. Mais tant qu’il n’y a pas d’enfants, la situation reste encore gérable. Cependant, lorsque l’enfant est là, chacun veut lui donner sa culture en priorité. "Maman m’a expliqué que c’est impossible de métisser des univers blanc/noir, sans que l’un n’étrangle l’autre" dénonce Aissa, enfant issu d’une alliance entre un marocain et une Américaine. Force est de croire que les échecs du couple mixte débouchent sur des conséquences catastrophiques pouvant ébranler à jamais les valeurs de l’enfant.
Geneviève en est aujourd’hui convaincue. Elle avoue amèrement qu’au début il y a l’amour et après… la haine. "Les parents de Simo m’ont toujours considéré comme une étrangère. Très envahissants, j’ai dû passé mon temps à repousser leurs avances en leur montrant les limites à ne pas franchir. Mais trop c’est trop est la circoncision de mon fils a été décisive dans notre rupture. Ils ont kidnappé mon fils et l’ont fait sans mon accord... Après cela, j’ai décidé de quitter Simo et j’ai obtenu la garde de mon enfant."
Simo ne compte pas lâcher prise. Il veut que la garde revienne à sa mère : "Mon ex-épouse n’a jamais fait d’effort. Chaque fois que nous sommes des vacances au Maroc ça finissait toujours par des disputes : elle n’acceptait pas de passer les vacances dans la maison de mes parents, elle ne refusait de manger les tagines et s’habillait comme en France : short, minijupe… j’étais franchement gêné par son comportement, alors que moi j’ai toujours fait des efforts : quand elle m’a invité la première fois chez ses parents, sa mère a préparé un rôti de porc. J’en ai mangé sans rechigner." réplique Simo.
Ce couple qui continue de disputer la garde de leur enfant fait partie de ces mariés qui découvrent que leur union est une erreur. Débute alors une longue bataille qui malheureusement conduit à de fâcheuses conduites : de nombreux enfants ont été enlevés par un des parents et amenés dans le pays d’origine d’un des conjoints : manque de maturité, pas assez d’amour… les dégâts peuvent êtres très lourds.
Source : " Les amoureux rêvent, les époux sont réveillés " (A. Pope, The Wife of Bath 1714)
Maître Abla Idrissi Housni, dévoile les problèmes des mariages mixtes et dénonce une procédure juridique trop compliquée et plutôt sévère.
Vous avez l’occasion de traiter des dossiers de mariage mixte qu’elle est votre premier constat ?
La procédure juridique est des plus décourageante au Maroc. En effet, elle est si compliquée et si longue que le couple se trouve bloqué. Il y en a même ceux qui renoncent ou préfèrent quitter le territoire pour se marier à l’Etranger.
Mais, ne trouvent-ils pas de problèmes là-bas ?
Les ambassades du Maroc à l’Etranger facilitent la procédure et le mariage qui peut durer ici des mois voir des années avant d’être validé, se passe en quelques heures au sein de l’Ambassade.
Existe-il des mariages mixtes plus difficiles que d’autres ?
Oui, quand le mari a une autre religion que l’Islam. Il lui faut alors une preuve qu’il est devenu musulman en plus des témoins qui prouvent sa nouvelle appartenance religieuse. De même il lui faut porter un prénom musulman.
Quelle est la procédure juridique à suivre ?
Il s’agit d’un véritable marathon. Et si le couple n’est pas solide, il se brise au premier obstacle. D’autant plus que la procédure n’est pas limitée dans le temps. En dehors de l’attestation de l’appartenance religieuse du mari, la procédure reste la même pour toutes les nationalités :
Une déclaration à l’ambassade prouvant que le prétendant est apte à se marier. Cette attestation, fourni suite à une enquête, doit porter obligatoirement le nom de la future mariée et doit être validée auprès du ministère des affaires étrangères (procédure qui peut durer deux ans). Le mari doit fournir une attestation médicale prouvant qu’il est sain de corps et d’esprit et ne souffrant d’aucune maladie sexuellement transmissible, un acte de naissance, et photos. S’en suit un formulaire dûment remplit et présenté au juge puis au procureur. Une enquête de police est déclenchée concernant la mariée et ses parents, notamment le père qui doit donner deux autorisations à sa fille : une autorisation de se marier à un étranger et une autre de quitter le territoire marocain.
Cette enquête peut durer au moins deux à trois mois. Une fois, le dossier complété, il est susceptible d’être rejeté à la moindre petite erreur, il est présenté par le couple et son avocat devant un tribunal qui donne l’accord. Pour certains pays du golf, le dossier repasse une fois terminé par leur ambassade pour être validé.
Quelles sont les nationalités les plus représentatives ?
Des Européens, peu d’Américains et beaucoup de Koweïtiens, de Saoudiens…
Les problèmes recensés sont-ils les mêmes ?
Comme pour tous les couples, les mésalliances existent mais je peux dire que les mariages avec les " Arabes du golf " souffrent d’énormes problèmes. Ainsi, celles qui quittent le territoire marocain pour vivre dans le pays de leur conjoint se heurtent à une réalité trop dure : séquestration, polygamie, masochisme… Alors que celles qui restent au Maroc, sont facilement abandonnées avec leurs enfants. Le mariage, dans de nombreux cas n’est qu’un moyen pour légaliser une relation furtive. De plus et en générale, les enfants issus de couples mixtes souffrent énormément de l’absence de l’un de leur parent en cas de divorce.
Quel est leur statut juridique ?
L’enfant issu d’une mère marocaine et d’un père étranger ne bénéficie de la nationalité marocaine qu’à l’âge de 18 ans et à condition d’avoir vécu en permanence dans notre pays. Imaginez alors les conditions déplorables des enfants en cas de divorce et qui restent avec leur mère : ils sont considérés comme des étrangers.
Imaginons donc qu’un couple a consommé son mariage avant d’avoir l’autorisation et qu’un enfant est né en ce laps de temps…
Il est considéré comme un enfant naturel même si le mariage a eu lieu. Le couple sera donc amené à entamer une procédure a fin que l’enfant soit reconnu comme légitime.
Avec tous ces problèmes comment peut-on expliquer la croissance des mariages mixtes ?
La marocaine a atteint une certaine maturité, elle est devenue de plus en plus exigeante. Elle est indépendante financièrement. Mais ni la loi, ni la société n’ont suivi cette évolution. Avec un partenaire étranger, la femme marocaine bénéficie de plus de liberté et de droit. Elle se sent valorisée et libre.